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VI.

Etat de l'Eglise de France en 1682.

tion, dont le seul objet étoit de prévenir tout ce qui auroit pu porter atteinte à la tranquillité de ses Etats. Jamais peut-être Louis XIV ne se montra ni plus grand, ni plus fort, que lorsqu'il se borna à opposer les maximes de l'Eglise de France à toutes les menaces D'INNOCENT XI. Ce fut dans son clergé qu'il chercha, et qu'il trouva les défenseurs les plus utiles et les plus éclairés des prérogatives de sa couronne.

Par un bonheur remarquable, l'Eglise de France réunissoit alors au plus haut degré les vertus, les lumières, les talens, la régularité des mœurs, et cet esprit d'ordre et de soumission qui assurent les succès de la religion, et la paix des empires.

On voyoit au premier rang, des évêques dont les noms sont consacrés depuis long-temps par le respect et l'admiration de la postérité, ou dont les vertus moins éclatantes peut-être, mais non moins utiles, ont rendu la mémoire chère et précieuse aux diocèses qu'ils ont gouvernés.

Dans un rang inférieur, on comptoit une multitude d'ecclésiastiques répandus sur toute la France, dont les uns par leurs écrits, leurs exemples et l'autorité de l'instruction, entretenoient dans toutes les classes de la société l'amour de la religion, le goût de la vertu, le respect des mœurs;

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et les autres fondoient ou dirigeoient tous les res d'établissemens que la charité chrétienne a préparés à l'indigence, au malheur et aux infirmités humaines.

Des ordres religieux, des congrégations séculières et régulières se livroient avec autant de zèle que de désintéressement à toutes les parties de l'instruction publique, ou se consacroient à ces recherches profondes et savantes dont les monumens encore subsistans enrichissent toutes les bibliothèques de l'Europe.

Tel étoit le beau spectacle qu'offroit l'Eglise de France à l'époque où s'ouvrit l'assemblée de 1682.

La disposition générale des esprits en France, n'étoit pas moins favorable à Louis XIV, que n'étoit fondée la juste confiance que lui inspiroient l'attachement et la fidélité de son clergé.

Malgré des apparences aussi rassurantes, Bossuet n'étoit pas entièrement exempt d'inquiétude; et sa lettre à l'abbé de Rancé le laisse assez apercevoir.

Il observoit que les esprits agités par la chaleur des discussions qui s'étoient élevées sur des discussions d'un bien plus grand intérêt que l'affaire de la régale, pouvoient s'égarer sans le vouloir, et peut-être sans le savoir, par un excès de

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zèle pour l'Eglise ou pour l'Etat. Il voyoit dans le ministère des dispositions capables de conduire à des mesures extrêmes qui prépareroient peutêtre dans la suite des regrets au gouvernement lui-même. Il voyoit dans le clergé des évêques très-recommandables par leurs lumières et leur piété, et dont l'estime et l'amitié lui étoient chères, s'abandonner inconsidérément à des opinions qui pouvoient les conduire bien au-delà du but où ils se proposoient eux-mêmes de s'arrêter, Il ne se dissimuloit pas que parmi ce grand nombre d'évêques, il en étoit quelques-uns que des ressentimens personnels avoient aigris contre la Cour de Rome. Bossuet savoit enfin que dans toutes les assemblées, le plus grand nombre ne fait qu'obéir à l'impulsion qui lui est imprimée; et que tout étoit à craindre, si l'on s'engageoit imprudemment dans une fausse direction.

Dès le moment où l'assemblée s'étoit formée*, tobre 1681. elle avoit jeté les yeux sur Bossuet pour le sermon de l'ouverture. Il profita d'une circonstance si naturelle et si précieuse, que la providence elle-même sembloit lui offrir pour tracer à l'assemblée la marche qu'elle devoit suivre.

Si jamais Bossuet a bien mérité de la religion et de l'Eglise, ce fut certainement dans une circonstance si critique. Il ne s'agissoit point, à la

vue d'un pareil danger, de rechercher les vains succès d'un orateur. Ce qui distingue éminemment Bossuet dans ce célèbre discours, c'est la profondeur des vues et l'habileté, ou plutôt la sagesse avec laquelle il posa dès-lors tous les fondemens de la doctrine que nous le verrons bientôt consacrer dans les quatre articles de 1682.

Quelle réunion de science et de sagesse ne falloit-il pas pour marquer le caractère et l'action des deux puissances, en fixer les bornes, éviter toutes les maximes et toutes les résolutions extrêmes, et exposer la véritable doctrine de l'Eglise de France avec l'exactitude et la précision nécessaires pour calmer les inquiétudes et échapper à la malveillance.

Bossuet au

Bossuet a expliqué lui-même sa pensée dans Lettre de une lettre confidentielle au cardinal d'Estrées du mois de décembre 1681 *.

cardinal

d'Estrées.

de Bossuet,

« Je me suis proposé deux choses, écrit Bos- *OEuvres >> suet, l'une en parlant des libertés de l'Eglise gallicane, d'en parler sans aucune diminution

» de la vraie grandeur du saint Siége. L'autre, de » les expliquer de la manière que les entendent » les évêques, et non pas de la manière que les » entendent les magistrats..... Je n'ai pas mis dans >> mon discours une seule parole qu'avec des rai» sons particulières, et toujours je vous l'assure

tom. IX.

>> devant Dieu, avec une intention très-pure pour >> le saint Siége et pour la paix. Les tendres oreilles » des Romains doivent être respectées, et je l'ai >> fait de tout mon cœur..... Je n'ai voulu ni tra» hir la doctrine de l'Eglise gallicane, ni offenser » la majesté romaine. En un mot, j'ai parlé net, » car il le faut partout, et surtout dans la chaire; » mais j'ai parlé avec respect, et Dieu m'est té» moin que ç'a été à bon dessein..... J'ai toujours » eu dans l'esprit qu'en expliquant l'autorité du » saint Siége de manière qu'on en ôte ce qui la fait plutôt craindre que révérer à certains es

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prits, cette sainte autorité, sans rien perdre, » se montrera aimable à tout le monde, même > aux hérétiques et à tous ses ennemis ».

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* ThéoloBossuet écrivoit à M. Dirois * à Rome, au sujet gien du car- du même discours : « Je fis hier le sermon de l'as

dinal d'Es

trées.

» semblée, et j'aurois prêché dans Rome ce que >> j'y dis avec autant de confiance que dans Paris; » car je crois que la vérité se peut dire haute» ment partout, pourvu que la discrétion tem» père le discours, et que la charité l'anime ».

Il est bien certain que ce fut aux principes et aux sentimens que Bossuet exprima dans ce célèbre discours, qu'on fut redevable de la parfaite unanimité avec laquelle l'assemblée de 1682 posa sur des fondemens inébranlables les grandes

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