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>> trouvoit un charme particulier dans les ma>> nières dont on y célébroit l'office divin. Le chant » des pseaumes, qui venoit seul troubler le silence » de cette vaste solitude, les longues pauses des » complies, les sons doux, tendres et perçans du » Salve regina lui inspiroient une sorte de mé» lancolie religieuse. »

L'abbé de Rancé admiroit encore plus Bossuet en le voyant assister à tous les offices du jour et de la nuit, s'asseoir à la même table, et se mêler à tous les exercices des religieux. Un si grand exemple étoit fait pour animer leur courage; et sa réforme recevoit une nouvelle approbation de l'autorité d'un tel évêque. Avant vêpres, on prenoit un peu l'air à la promenade sur l'étang, ou dans les bois qui environnoient ce désert. Alors Bossuet et l'abbé de Rancé se séparoient du groupe des religieux pour s'entretenir ensemble spectacle fait pour offrir un vaste sujet de méditation à ceux qui en étoient témoins, en pensant que l'un de ces deux hommes s'étoit arraché à l'ivresse, des plaisirs, et avoit renoncé à toutes les faveurs de la fortune pour habiter les tombeaux; et que l'autre, enlevé à la retraite où il avoit vécu jusqu'à quarante-trois ans, se trouvoit jeté au milieu des Cours.

L'abbé de Rancé regardoit les voyages de Bos

ge

III.

De l'ouvra

suet à la Trappe comme de véritables grâces de la Providence. Au mois d'août 1699, se croyant près de sa fin, il disoit à l'abbé de Saint-André, depuis grand-vicaire de Meaux: « Je mourrai » content, si je puis le voir ici encore une fois, » et recevoir sa sainte bénédiction (1) >>.

Au moment où l'assemblée de 1682 venoit de de l'abbé se séparer, le hasard fit tomber entre les mains

de Rancé.

de Bossuet, le manuscrit d'un ouvrage de l'abbé de la Trappe sur la sainteté et les devoirs de la vie monastique. L'abbé de Rancé s'y étoit uniquement proposé l'instruction des religieux de son monastère. Mais Bossuet jugea que le mérite d'un tel ouvrage ne devoit pas être renfermé dans l'enceinte d'un cloître entièrement séparé du monde; il crut qu'il pouvoit et qu'il devoit servir à l'édification de toute l'Eglise. Il écrivit à l'abbé de la Trappe qu'il exigeoit absolument

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qu'il le rendît public, et qu'il se chargeoit lui» même de le faire imprimer; qu'au surplus il » seroit inutile qu'il s'y opposât, parce qu'il en » avoit une copie à lui dont il répondoit

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L'abbé de Rancé paroît avoir opposé une résistance sincère aux premières_instances de Bossuet; il ne céda qu'à regret et par un sentiment

(1) L'abbé de Rance ne mourut que l'année suivante ( le 27 octobre 1700), âgé de soixante-seize ans.

de déférence au vou d'un juge si éclairé en matière de religion. Ce fut en effet Bossuet qui présida lui-même à tous les détails de l'impression; et l'on voit par sa correspondance qu'il eut des préventions à combattre et des oppositions à vaincre, avant même que l'ouvrage fût devenu public.

>>

* Lettre

de Bossuet

février 1683.

<«< *Hier j'entretins amplement M. l'archevêque » de Paris de la commission que vous m'aviez à l'abbé de » donnée pour lui. Je lui dis que j'avois lu le li- Rancé, du 6 » vre sans votre participation, et que j'avois cru >> absolument nécessaire de l'imprimer, tant pour » le bien qu'il pouvoit faire à l'Eglise et à tout » l'ordre monastique, que pour éviter les impressions qui s'en seroient pu faire malgré vous. » Par là il entendit la raison par laquelle vous » n'aviez pas pu le lui communiquer. Cela se » passa bien. Je lui ajoutai que vous parliez avec >> toute la force possible de la perfection de votre » état retiré et solitaire, mais avec toutes les pré» cautions nécessaires pour les mitigations auto» risées par l'Eglise, et pour les ordres qu'elle » destinoit à d'autres emplois. Tout cela se passa » bien; il reçut parfaitement toutes les honnête»tés que je lui fis de votre part, et écouta avec » joie ce que je lui dis sur les marques, non-seu»lement de respect, mais encore de l'attache

» ment et de la tendresse que je vous avois vus

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Bossuet voulut même donner une espèce d'autorité à l'ouvrage, et le prémunir contre les attaques qui sembloient le menacer, en y attachant son approbation et celles de l'archevêque de Reims et de l'évêque de Grenoble, depuis le cardinal le Camus.

Mais quelque imposant que fût un pareil témoignage, le Traité de la sainteté et des devoirs de la vie monastique excita une discussion assez vive entre le savant Mabillon et l'abbé de la Trappe. Mabillon crut trouver dans l'interdiction que l'abbé de Rancé prononçoit contre les religieux qui se livroient à l'étude des sciences, une espèce de censure contre la congrégation dont il étoit membre, et qui a élevé tant de monumens utiles à la religion et aux lettres.

Cette différence d'opinion entre deux religieux qui se rapprochoient plus dans leur amour pour la religion et l'Eglise, qu'ils n'avoient de conformité dans le caractère et dans le goût des mêmes études, produisit plusieurs écrits, où peut-être l'on mit des deux côtés un excès de chaleur (1).

(1) Don Thuilier, ami et confrère de Mabillon, en écrivant l'histoire de cette contestation, suppose tous les torts du côté de l'abbé de Rance; et don Gervaise, ami et confrère de l'abbé

Il

Il eût été facile de prévenir dès l'origine une discussion sans objet et sans utilité, si l'on eût voulu observer avec Bossuet la sage distinction qu'il établit entre l'état solitaire et retiré auquel l'abbé de Rancé s'étoit voué, et qui étoit le seul pour lequel il avoit rédigé ses instructions, et les or dres religieux que l'Eglise a destinés à d'autres emplois. Peut-être l'abbé de la Trappe avoit il trop négligé d'exprimer cette distinction; et Mabillon avoit pu se croire justement fondé à réclamer contre une opinion qui empruntoit une grande autorité du nom et des vertus du réformateur de la Trappe, et pouvoit jeter une espèce de défaveur sur tout l'ordre de Saint-Benoît.

IV. Lettre de

Bossuet sur

de la Croix.

Ce fut dans un de ses voyages à la Trappe, que Bossuet eut occasion de voir le frère Armand, nouveau catholique. C'étoit un gentilhomme fran- l'adoration çais, réfugié en Hollande, où il s'étoit attaché au service du prince d'Orange. La lecture de quelques ouvrages de Bossuet avoit commencé lui donner des doutes, et fini par le disposer par à goûter sa doctrine. Il revint en France, fit abjuration, se retira à la Trappe, et fut admis à faire des vœux, après que sa vocation eut été longtemps éprouvée. L'abbé de Rancé s'étoit singu

de la Trappe, a prétendu montrer que son adversaire n'en avoit
été entièrement exempt.
POSSUET. Tome 11.

pas

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