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évitoit d'entretenir Bossuet sur un pareil sujet. Il pouvoit craindre qu'en lui parlant de M.me de la Vallière, Bossuet ne lui parlât de M.me de Montespan, ou du moins ne lui fit entendre par un silence encore plus expressif que des paroles tout ce qu'il pouvoit lui dire.

me de

On retrouve les mêmes combats de M." la Vallière dans une autre lettre de Bossuet au maréchal de Bellefonds, en date du 8 février 1674. Ce n'étoit pas qu'elle fût incertaine, ni indécise dans ses résolutions; mais tous ses sentimens doux, foibles et timides ne lui laissoient pas le courage nécessaire pour prendre une résolution forte et hardie.

<< * J'ai rendu vos lettres à M.me la duchesse de » la Vallière. Il me semble qu'elles font un bon » effet; elle est toujours dans les mêmes disposi» tions, et il me semble qu'elle avance un peu >> ses affaires à sa manière, doucement et lente» ment. Mais si je ne me trompe, la force de Dieu >> soutient intérieurement son action; et la droi»ture qui me paroit dans son cœur, entraînera

» tout. »

Ce portrait ne ressemble pas tout-à-fait à celui d'une autre femme de la Cour dont Bossuet parle à la fin de la même lettre. « J'ai fait vos compli» mens à M.me de.....; elle est meilleure que le

* Ibid.

*Lettre de Bossuet au

si bonne qu'elle se croit

» monde ne croit, et pas
» elle-même; car elle prend encore la volonté
» d'étre vertueuse pour la vertu même ; ce qui
» est une illusion dangereuse de ceux qui com-
» mencent. Nous ne lui parlons jamais de vos
» lettres; nous craignons trop les échos fré-
» quens
(1) ».

Enfin, les paroles et les conseils de Bossuet mi-
rent un terme à toutes les agitations et à toutes
les incertitudes de M.me de la Vallière ; et celui
qui avoit reproché à cette illustre pénitente sa
foiblesse et sa timidité, se sentit lui-même étonnể
et accablé de tant de
courage.

me

«< * Je vous envoie une lettre de M.' de la Val

maréchal de » lière, qui vous fera voir que, par la grâce

Bellefonds.

6 avril 1674.

» de Dieu, elle va exécuter le dessein que le Saint

>>

Esprit lui avoit mis dans le cœur. Toute la Cour » est édifiée et étonnée de sa tranquillité et de sa

>>

>>

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joie, qui s'augmente à mesure que le temps

approche. En vérité, ses sentimens sont si di

vins, que je ne puis y penser sans être en de >> continuelles actions de grâces: et la marque du

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doigt de Dieu, c'est la force et l'humilité qui » accompagnent toutes ses pensées. Ses affaires » se sont disposées avec une facilité merveilleuse.

(1) On peut conjecturer qu'il est question de M.me de Thianges, sœur de M.me de Montespan.

» Elle ne respire plus que la pénitence; et sans » être effrayée de l'austérité de la vie qu'elle est

prête d'embrasser, elle en regarde la fin avec » une consolation qui ne lui permet pas d'en >> craindre la peine. Cela me ravit et me confond. Je parle, et elle fait. J'ai les discours, » et elle a les œuvres. Quand je considère ces » choses, j'entre dans le désir de me taire et de » me cacher, et je ne prononce pas un seul mot » où je ne croye prononcer ma condamnation. »

Le maréchal de Bellefonds et le cardinal Le Camus, alors simple évêque de Grenoble, avoient aussi contribué par leurs lettres à affermir le courage de M.me de la Vallière, et à la défendre, non de sa foiblesse, mais de sa timidité. Le père Bourdaloue, qui prêcha le carême à la Cour en 1674 l'année même de sa retraite, acheva de fixer irrévocablement sa détermination. On voit dans deux lettres de M.me de la Vallière au maréchal de Bellefonds, combien elle fut touchée des paroles évangéliques de ce célèbre jésuite. Elle voulut même avoir un entretien avec lui, et elle se proposoit de l'engager à prêcher le sermon de sa prise d'habit, dans le cas où Bossuet ne pourroit pas remplir ce ministère.

Un sentiment trop naturel et bien cher à son

*Lettre de M.me de la Vallière.8 février 1614.

cœur, avoit entretenu long-temps les irrésolu-
tions de M.me de la Vallière. Elle étoit mère, et
la douleur de se séparer de sa fille étoit le seul
lien qui auroit pu désormais l'attacher au monde.
C'est ce qu'elle écrivoit au maréchal de Belle-
fonds, avec cette candeur qui donne une expres-
sion si simple et si touchante à tous ses sentimens.
* Je n'ai plus qu'un pas à faire. Je sacrifie de
» bon cœur les grandeurs et les richesses; mais
» pour de la sensibilité, j'en ai; et on a raison de
» vous dire
M.lle de Blois (1) m'en a donné...
» Je l'aime; mais elle ne m'arrête pas un seul ins-
» tant. Je la quitte sans peine, et je la vois avec
» plaisir. Ce sont des sentimens opposés ; mais je
» le sens comme je le dis. Il faut que je parle au
» roi, et voilà toute ma peine. Priez Dieu pour
» moi, qu'il me donne la force qui m'est néces-
»saire pour cette démarche. »

que

Elle ajoute dans une autre lettre du 19 mars suivant (1674). <«< Enfin je quitte le monde sans » regret, mais ce n'est pas sans peine. Ma foi» blesse m'y a retenue long-temps sans goút, ou » pour parler plus juste, avec mille chagrins. » Vous en savez la plus grande partie, et vous >> connoissez ma sensibilité. Elle n'est pas dimi(1) Depuis princesse de Conti.

» nuée, je m'en aperçois tous les jours, et je vois » bien que l'avenir ne me donneroit pas plus de » satisfaction que le passé et le présent. »

Ce fut le 20 avril 1674, que M.me de la Vallière alla s'enfermer aux Carmélites. Elle n'avoit pas encore trente ans.

Elle avoit demandé à Bossuet de vouloir bien prêcher le sermon de sa prise d'habit, et Bossuet en avoit pris l'engagement; mais il fut obligé d'accompagner M. le Dauphin, qui faisoit cette année sa première campagne au siége de Dol, où le roi commandoit en personne. Au défaut de Bossuet, M.me de la Vallière avoit jeté les yeux sur Bourdaloue. On ignore les raisons qui ne lui permirent pas de remplir un ministère qui auroit si bien convenu à sa piété et au genre de son éloquence. Ce fut M. de Fromentières, depuis évêque d'Aire, prédicateur estimé, qui prononça le 6 juin 1674 le sermon de vêture de cette illustre pénitente.

Mais elle eut la satisfaction d'entendre Bossuet le jour de la profession solennelle de ses vœux. Cette cérémonie, un des triomphes les plus éclatans de la religion, eut lieu le 26 juin 1675.

Madame de Sévigné a écrit que ce sermon ne répondit pas à l'attente publique (1).

(1) Il fut imprimé sans l'aveu de Bossuet, et sur des copies peu

VI.

Bossuet prê

che le sermon de la

profession des vœux de M.me de la Vallière.

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