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En continuant le classement de la collection Coquerel, j'ai trouvé des vers qui ne me semblent pas sans mérite. Je ne sais de qui ils sont ; mais ils paraissent être de la fin du siècle dernier.

J'ai copié cette pièce, et je vous l'envoie pour le cas où vous la jugeriez digne de figurer au Bulletin.

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Votre bien dévoué,

WILLIAM MARTIN.

Dans ma jeune saison, dans cet âge où l'enfance

Prête à s'évanouir touche à l'adolescence,

Quand deux fois six printemps avaient lui pour mes yeux,
Mon vénérable ayeul, d'un pied mystérieux,

Me guidait en silence à travers ces ombrages.

Il avait vu ces tems de discorde et d'outrages,
Ces tems de fanatisme où ceux qui dans leur foi
Des pontifes romains méconnaissaient la loi,
Accablés sous le poids de rigueurs inhumaines,
Illustraient l'échaffaud, ennoblissaient les chaînes;
Quand Louis vieillissant, déchu de sa grandeur,
A la voix d'une femme et d'un prêtre imposteur,
Foulant aux pieds l'État, l'intérêt, la justice,
Du plus grand des Henri renversait l'édifice.
La politique enfin reconnut ses erreurs;
Elle arrêta le cours de ces saintes fureurs;
Mais toujours méfiante et toujours inquiète,
A ces chrétiens, objets de sa crainte secrète,
Elle interdit leur culte; et ces pieux proscrits,
Loin des débris récens de leurs temples détruits,
Sous l'asile des bois, dans l'ombre des vallées,
Rassemblaient en tremblant leurs tribus désolées,
Présentaient à leur Dieu leurs vœux et leurs douleurs,
Et priaient comme lui pour leurs persécuteurs.

C'était leur assemblée où, devançant l'aurore,
Mon digne ayeul guidait ma marche faible encore.
Déjà nous approchions, et les sacrés concerts
Au loin retentissaient dans le vague des airs;
Ces accens prolongés que le seul zèle anime,
Des âmes et des voix cet unisson sublime,
Ce chant égal et lent par l'écho répété,
De l'hymne solennel l'auguste majesté;

Les vents qui, s'agitant sous les chênes antiques,
Unissaient leur murmure à ces pieux cantiques;

Tout un peuple accourant, tant de fronts prosternés,
De regards recueillis, de genoux inclinés;

Des monts, des champs, des eaux, les ravissants spectacles.
De la création étalant les miracles;

Le soleil pour flambeau, la terre pour autel,

Pour temple la nature et pour dôme le ciel,
Tout de l'être éternel annonçait la présence.
Cependant, à pas lents, le saint pasteur s'avance.
Les zéphyrs se jouaient dans ses cheveux blanchis,
De sa robe flottante ils agitaient les plis.
Il s'avance, et la foi, la douce patience,
L'ardente charité, la divine espérance,
De ses devoirs sacrés le sentiment profond,
Ses vertus, ses travaux, se lisent sur son front.
Deux fois dans les cachots plongé par l'injustice,
Deux fois le bras de Dieu le ravit au supplice.
Ses périls renaissant accrurent sa ferveur;
Mais sans fiel, sans excès, sans que jamais son cœur
Conçût un sentiment de haine ou de vengeance.
Seulement sa pâleur attestait sa souffrance;
Et depuis soixante ans, la consolation,
Le mépris des faux biens, la persuasion,

De sa bouche coulant comme une source pure,

De mille infortunés ont guéri la blessure.
Une chaire modeste au pied d'un tronc noueux
S'appuye; on n'y voit point ces ornemens pompeux
Dont l'éclat étranger distrait l'âme occupée :
La grossière étamine en franges découpée,

L'osier, la simple bure et la couleur du deuil

Forment son vêtement, son luxe et son orgueil.

L'homme de Dieu s'y place; il parle, et son pur zèle
Descend dans tous les cœurs de la troupe fidèle.
Chacun redit ses voeux; sur une aile de feu
L'ardente piété les porte au sein de Dieu.
De nos égaremens doux et puissant remède,
A la sainte prière un saint discours succède:
Il y peignait nos maux, nos vices, nos erreurs,
Les vertus et leur paix, le crime et ses malheurs,
Et le monde éternel ouvert à l'espérance.
La nature et sa voix semblaient d'intelligence;
Le ciel, les élémens lui prêtaient leur appui;
Ils confirmaient sa cause et parlaient avec lui.
Des rigueurs du Très-Haut s'il effrayait la terre,
Un orage lointain, le bruit sourd du tonnerre,
Attestaient sa menace. Ouvrait-il à nos yeux
Les immenses trésors de la bonté des cieux,
Un rayon vif et pur échappé du nuage
Venait de l'homme saint éclairer le visage,
Et, messager brillant de la divinité,
D'un avenir douteux perçait l'obscurité.
Sous la sainte tribune une table est dressée
Le pasteur y descend, et la foule empressée
En ordre s'y présente et reçoit de sa main
De l'agape sacrée et la coupe et le pain.
O spectacle touchant! objets doux et célestes!
Un chœur d'adolescens et de vierges modestes,
Pour la première fois admis au saint repas,
Vers le banquet divin porte en tremblant ses pas.
De ces tendres beautés, que soutiennent leurs mères,
D'ardens ruisseaux de pleurs inondent les paupières;
Non de pleurs de regret, d'erreur, de repentir,
Mais des larmes d'espoir, de bonheur, de désir,

De ce désir sacré que le pur zèle enflamme.
Leur scrupule craintif cherche en vain dans leur âme
Quelque chose à reprendre et ne l'y trouve pas;

Tant leurs pensers sont purs, tant leurs vœux délicats!

Tant la blancheur du lin qui couvre leur visage
Est de leur innocence une fidèle image!
Approchez, leur disait le ministre inspiré,
De l'union de Christ voici le pain sacré;
Voici l'auguste coupe à vos lèvres offerte,
La coupe du salut, hélas! ou de la perte;
Des coupables plaisirs buvez-y le mépris,
Les torrens de bonheur à la vertu promis;
Puisez-y le devoir, la pudeur, la sagesse,
Et de l'amour divin l'ardente et pure ivresse.
Il se tait chacun garde un silence pieux,
Aux vœux de l'homme saint chacun unit ses vœux.
Vérité, sentiment, quelle est votre puissance!
Vous seuls vous inspiriez toute son éloquence,
Et pourtant tous les cœurs, tous les regards émus,
Aux lèvres du pasteur demeuraient suspendus.
Allez, dit-il enfin, troupeau cher et fidèle,
Allez; que le Seigneur vous couvre de son aile;
Qu'il répande sur vous sa bénédiction;
Que de sa face auguste un lumineux rayon
Luise sur vos sentiers, les éclaire et vous guide.
Allez; n'oubliez pas l'indigence timide.
A ces mots les anciens, entre le peuple élus,
De l'humble charité reçoivent les tributs,
Et le cœur plein de joye et de reconnaissance,
La foule se sépare et s'écoule en silence.

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NÉCROLOGIE. Nous apprenons avec regret la mort de l'habile imprimeur genevois, Jules Guillaume Fick, auquel on doit les Mémoires des deux Platter, et tant d'œuvres intéressantes pour la littérature et l'histoire éditées, avec autant de luxe que de goût, par M. Gustave Révilliod. Jules Fick semblait avoir pris à tâche de renouer à Genève d'illustres traditions, et son nom demeure associé par un juste retour à ceux des Estienne, des Crespin et des de Tournes.

J. B.

ERRATA. M. Douen nous signale quelques erreurs dans l'impression de son article sur Un opuscule de Bayle. Page 94, ligne 35, lisez : vendit; p. 95, lig. 3, lisez loyale exécution; et même page, lig. 27: écrivit dans le sens des dix.

1

PARIS. -IMPRIMERIE DE E. MARTINET, RUE MIGNON, 2

SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE

DU

PROTESTANTISME FRANÇAIS

ÉTUDES HISTORIQUES

JEAN LE HENNUYER ET LES HUGUENOTS DE LISIEUX EN 1572 (1).

Sola fere urbs Lexovea clemens Abstinuit misera et crudeli cæde suorum.

Il est de tradition d'attribuer à l'évêque de Lisieux le Hennuyer, l'honneur d'avoir préservé les huguenots de cette ville, lors des massacres de la Saint-Barthélemy.

Un certain nombre d'historiens, suivant et copiant Hémeré et le dominicain Mallet, qui écrivaient soixante-dix ans après l'événement, ont accepté sans discussion cette légende si glorieuse pour le Hennuyer, si elle était conforme à la vérité, mais qui, malheureusement pour sa mémoire, ne peut subsister un instant en présence des faits qui se sont déroulés à Lisieux pendant cette année à jamais néfaste.

(1) Sous ce titre la Saint-Barthélemy en Normandie, ce sujet a été déjà traité dans le Bulletin (t. vi, p. 465-470) par M. le pasteur Paumier de Rouen, avec une rare compétence. On le retrouvera ici exposé avec plus d'étendue, et heureusement rajeuni par des emprunts faits aux archives locales. (Réd.)

XXVI. — 10

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