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La même année, il donna une marque publique de son éloignement pour la nouvelle religion et du désir qu'il avait d'en arrêter les progrès en s'opposant à l'enregistrement de l'édit que le roi avait donné le 10 janvier (vieux style, 17 janvier), afin de permettre à ceulx qui en faisoient profession de s'assembler hors l'enceinte pour l'exercice de leur culte, jusqu'à ce que le concile ait décidé les points agités entr'eulx et les catholiques ».

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Cet édit ayant été enregistré par le parlement de Rouen, le Hennuyer s'empressa de faire opposition à sa publication dans son diocèse par l'écrit dont j'extrais ce qui suit:

« Jean le Hennuyer, après avoir vu et lu certain édict touchant la religion, fait à Saint-Germain-en-Laye le 10 janvier dernier, a déclaré et déclare qu'il s'oppose à la publication d'yceluy, en tant qu'il est contrevenant au devoir de la charge donnée de Dieu au dict évêque et pasteur pour le bien et salut de son peuple et duquel il faut qu'il réponde devant yceluy, voir âme pour âme, et offre de déduire la raison de son opposition devant le Roy en son privé conseil, toutes fois et quantes qu'il y sera appelé, etc. »

Plus tard, il empêcha que les Réformés pussent à Lisieux obtenir l'exercice de leur religion et l'établissement d'un prêche dans la ville ou dans les faubourgs, ainsi que le révèle une lettre en date du 17 avril 1563, du cardinal de Bourbon, archevêque de Rouen, son ancien élève.

Enfin, il faut l'avouer, justement irrité du pillage de son église cathédrale, dans le préambule d'un procès-verbal qu'il rédigea en latin, le 10 juin 1564, pour constater l'état dans lequel se trouvaient les reliques de saint Ursin, il s'écrie : « 0 mœurs, ô siècle corrompu, ô fléaux à déporter aux plus lointains rivages! O hommes, race de vipère, qui pensent ne pouvoir être sauvés s'ils n'ont ôté la vie à ceux qu'il falloit honorer et respecter comme leurs pères! Race enfin pour le supplice de laquelle, à raison de ses actions si audacieusement parricides, il ne suffiroit pas d'un seul sac pour les y enfermer avec un seul singe et un seul serpent: Genus, inquam, dignissimum, cui

pro tam parricidalibus ausis, non una pararetur simia, non serpens unus, non culeus unus. »

Tels sont les actes, telles sont les paroles de l'homme, de l'évêque dont on veut exalter l'humanité et qui n'usa de son crédit, de son habileté, de son talent, que pour étouffer la Réforme se propageant dans sa ville épiscopale!

Est-ce qu'il ne résulte pas de leur exposé, avec une écrasante évidence, qu'alors même que le Hennuyer eût été présent à Lisieux, en admettant un instant que des ordres soient venus de la cour ordonnant le massacre des huguenots, cet évêque ne se serait point opposé à ce massacre, qu'il l'eût laissé s'accomplir en s'en lavant les mains, comme Pilate?

Mais ce n'est point tout; à ce faisceau de présomptions morales, puisées dans le caractère même de le Hennuyer, viennent s'ajouter en foule d'autres présomptions que j'appellerai externes et qui, s'il était besoin, corroboreraient les premières.

Le silence de tous les auteurs contemporains, l'épitaphe longue et fort louangeuse gravée sur le cuivre qui recouvrait le tombeau de l'évêque dans sa cathédrale, qui, bien loin de rappeler le trait qui aurait à toujours illustré le prélal, contient au contraire ces deux vers qui en sont la négation :

Et comme un vrai pasteur, il ne laisse entrer
Le loup dans le troupeau, faute de se montrer;

la haine enfin dont il fut poursuivi par les écrivains protestants du temps qui le traitent « d'homme ignorant et méchant jusqu'au bout » (de Villemandon, lettre adressée à Catherine de Médecis en 1574), suffiraient pour faire rejeter bien loin cette légende qui ne doit plus actuellement compter qu'au rang des fables.

Je viens de dire que les écrivains contemporains étaient absolument muets sur le fait dont nous nous occupons. Ce n'est effectivement que soixante-dix ans après l'époque où il se serait passé que deux écrivains ecclésiastiques, Hémeré et Mallet, invoquant une prétendue tradition dont on ne trouve la trace nulle part, se sont efforcés de glorifier l'humanité dont le Hennuyer aurait fait preuve envers les huguenots; mais leur opi

nion, née au fond d'un couvent, sans aucune racine sérieuse, contredite par les faits, ne peut prévaloir contre le silence obstiné que gardent de Thou, d'Aubigné, les auteurs des Mémoires de la France sous Charles IX, la Popelinière, Legendre, les Normands Mézeray et Daniel, Varillas lui-même.

Les auteurs plus récents de la Gallia christiana, en 1759 Noël Deshays, de Launoy dans son Histoire du Collège de Navarre, qui, parlant de le Hennuyer, écrit : Pro religione contra novatores acriter depugnavit; l'abbé Leboeuf, en 1754, Moréri, en 1759, regardent comme une fable inventée à plaisir la légende de Hémeré.

Enfin, les écrivains de notre siècle de critique, l'abbé de la Rue en 1822, M. de Formeville en 1840, M. du Bois et M. Floquet, dans sa belle Histoire du Parlement de Normandie, refusent absolument d'y ajouter foi.

J'ai terminé, je le pense, ma démonstration, et j'en résume les conclusions en ces trois propositions qui me paraissent dès à présent indiscutables, à savoir: 1° que les réformés de Lisieux, assez peu nombreux d'ailleurs, n'ont point été menacés dans leur vie lors de la Saint-Barthélemy, aucun ordre de mort n'étant parvenu dans cette ville; 2° que s'ils ont été assez heureux pour échapper aux conséquences, toujours difficiles à prévoir, d'un mouvement populaire, ils le doivent à la prudente bienveillance de MM. de Carrouges, de Fumichon du Longchamp, et des ménagers de la ville; 3° enfin, que l'évêque le Hennuyer, en admettant sa présence à Lisieux, n'aurait rien fait pour empêcher et arrêter l'effervescence populaire et les conséquences à jamais regrettables qu'elle eût pu produire.

Peut-être, dira-t-on, ces conclusions ne valaient point de si longs motifs, et leur intérêt est bien faible. Sans doute, nous ne nous sommes occupé que d'un point d'histoire locale; mais, quand il s'agit d'un événement aussi douloureux pour le protestantisme et pour l'humanité que la Saint-Barthélemy, il importe de ne laisser se glisser aucune erreur dans l'interprétation du moindre de ses épisodes.

C. OSMONT DE COURTISIGNY .

DOCUMENTS INÉDITS ET ORIGINAUX

PROCÈS-VERBAUX

DE LA PROPAGATION DE LA FOY DE MONTPELLIER (1)

(1679)

26 février 1679.« M. Agret a été chargé d'aller avec M. le curé de la paroisse dire à Bigarrode que depuis qu'elle a été au sermon aujourd'hui matin, il faut qu'elle fasse abjuration ou qu'on la retiendra comme relapse, ayant abjuré autrefois l'hérésie. » En marge « a fait abjuration. »

« M. de Ratte est chargé de parler à la veuve Colas, relapse, pour tâcher de la ramener, et si elle refuse, il avertira M. de Montp. afin de la faire punir. » En marge : « La veuve Colas a dit qu'elle voulait mourir huguenote. M. Dumas prendra soin de faire continuer l'information nécessaire. »

« Moles, frère de la veuve Colas, est employé au papier timbré, M. de Montp. s'est chargé de parler à M. l'Intendant pour le faire déposséder.

>> M. Dumas, chirurgien, a été chargé de s'informer avec soin de tous les relaps qui sont dans Montpellier. » En marge: «Faire un état des relaps. »

12 mars 1679. —« MM. Agret et Dumas visiteront sur les registres quels sont les véritables relaps. »« Ont commencé et continue

ront. >>

25 mars 1679. « M. Dumas a été prié de continuer l'information qui a été commencée par ses soins contre la relapse veuve Colas. » En marge: « Elle est en prison. »

25 mars 1679. << M. Dumas donnera à M. Béros un mémoire du nommé Durant, praticien, qui se fit catholique à Toulouse, à ce

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qu'on croit, pour épouser sa femme, et qui depuis environ deux ans est retourné au prêche, afin qu'avec ce mémoire Mgr de Montp. écrive à Mgr. l'archevêque pour avoir l'acte d'abjuration dud. Durant et ensuite le faire punir comme relaps. » En marge : « M. Agret est prié de retirer de M. Gache, chapelain de la Charité, un mémoire du temps de l'abjuration faite par led. Durant de Toulouse, qui est connu du dit sieur Gache. »

25 mars 1679. « M. Agret est prié de faire informer contre une relapse de Pignan, pour ensuite la faire punir, et en conférera avec M. Rey, qui, étant de Pignan, lui donnera des lumières. »

En marge « M. Agret priera les curés de faire leur verbal de la mauvaise réponse que cette femme leur a faite; elle a de jeunes enfants qu'il lui faut ôter ou la faire punir si elle les fait aller au prêche, leur père étant mort catholique. »

9 avril 1679. « M. Dumas aura des preuves contre Durant; il a été prié de parler à M. Dalmet, curé de Notre-Dame, pour parler au d. Durant. » En marge : « Durant s'est sauvé. »

9 avril 1679. « Le nommé Pagès est relaps, contre lequel M. Delmas a dit qu'il aurait des preuves; il a été prié de dire aussi à M. Dalmet de parler aud. Pagès. » En marge : « Pagès veut revenir à l'église, et a promis à M. Delmas de lui rendre réponse demain. »

23 avril 1679.« M. Delmas continue de prendre soin de Pagès qui lui a promis de lui rendre réponse demain lundi. » En marge : « Pagès veut revenir, mais il craint sa femme et demande qu'on la mette en prison, et 25 livres à prêter. On prendra soin de cette affaire. On ne lui prêtera qu'après sa conversion, s'il y a lieu. »

23 avril 1679.— « M. Rey, bourgeois, est chargé de faire informer contre Bollarelle relapse, qui fait aller ses deux filles au prêche à Pignan, quoique baptisées à l'église. »

23 avril 1679. « M. Agret fut chargé d'aller à Cornontarral avec une lettre à M. le curé pour l'obliger d'aller, en présence de témoins, sommer la nommée Judith, qui s'est sauvé autrefois de la Providence, de faire son devoir pascal, et si elle refuse, de faire acte au ministre de ne la point épouser, attendu qu'elle a abjuré l'hérésie et qu'on ne pourrait que la poursuivre comme relapse si elle retournait au prêche. » En marge : « La fille a été chez M. Agret pour lui dire qu'elle désirait aller à l'église, et que même elle avait gagné son fiancé, mais depuis son mari a été diverti et la fille est catholique. »

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