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tres fanatiques. Exerçant dans le secret d'une maison privée des devoirs religieux qui ne pouvaient avoir aucune influence sur la tranquillité publique. Qu'un débat contradictoire vienne à se produire, ils ne le redoutent pas, ils l'appellent de tous leurs vœux; car ce n'est plus le ci-devant parlement qui aura à prononcer, mais un tribunal dont les vertueux magistrats ont été élus par le peuple (1). »

Leurs conclusions sont nettes et précises : « Ils sont dans un siècle où les réhabilitations demandées pour d'illustres victimes ont été accordées aux applaudissements de la nation. Aussi veulent-ils être déchargés de l'accusation intentée contre eux et que leurs noms, inscrits sur le registre d'écrou de la conciergerie, soient rayés et biffés. »

Il est aisé de voir la sympathie qui entourait les victimes du parlement de Normandie, alors que l'on est témoin de la rapidité avec laquelle leurs justes demandes étaient accueillies. Au verso de la supplique adressée aux juges du district de Rouen, nous lisons « Présentée le 7 décembre », et plus loin « communiquée au commissaire du roy, Rouen ce 7 décembre 1790 », et plus bas, « le commissaire du roy n'empêche les fins de la présente, cedit jour et an, signé Leclerc, » et au-dessous « soit fait ainsi qu'il est requis et consenti par le commissaire, Rouen ce 7 décembre 1790, signé le Boullenger. » Comment ne pas marquer ici notre reconnaissance pour ces vertueux magistrats qui prirent à cœur de réparer, autant qu'il était en leur pouvoir, cette erreur judiciaire dont avaient souffert deux innocents, et qui montrèrent par leur activité à s'employer pour le bien de cette cause, combien il était nécessaire d'effacer jusqu'aux dernières traces de cette persécution (2).

Ce n'est pas sans émotion que nous avons lu le procès-verbal de la radiation d'écrou, comme le jugement qui ordonnait cette réparation si légitime; nous ne pouvions oublier que ces pièces, déjà jaunies par les années, étaient les derniers témoins du dernier procès intenté pour cause de religion sous la monarchie des Bourbons. Nous nous reportions à cette douloureuse liste des édits rendus avant et après la révocation de l'Édit de Nantes, pour comparer dans notre reconnaissance le présent au passé, et bénir la mémoire de ces généreux martyrs qui par leurs souffrances avaient préparé le triomphe de la liberté de conscience. La différence seule des préambules dans

(1) Supplique aux juges du district de Rouen, pièce 27. (2) Pièce no 21.

la rédaction des arrêtés montre assez combien grande a été la révolution qui s'est produite dans notre pays. « Louis, lisons-nous, à la tête de tous ses édits qui frappent les protestants de mille persécutions, Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, » tandis que dès les premières lignes de cet arrêt qui lave la tache d'infamie, nous trouvons ces mots éloquents, « Louis par la grâce de Dieu et par la loy constitutionnelle de l'État, roi des Français. » C'est ainsi que s'inscrivent dans les annales judiciaires ces grands mouvements qui changent la face des nations, l'inscription solennelle qui consacre, au point de vue du droit, la légitimité de la victoire obtenue. Fait non moins remarquable, l'arrêté parle de la qualité de Mordant, ministre protestant, sans élever une de ces protestations injurieuses, si faciles à rencontrer dans les édits précédents. Ainsi tout concourt à montrer que la nécessité de la réparation s'imposait à tous les esprits. L'affaire fut mise en discussion le 22 février 1790, et l'arrêt rendu le 7 mars; il déclarait qu'il n'y avait de la part des sieurs Mordant et Couturier aucune contravention à l'édit de 1787, qu'il n'y avait pas lieu à l'accusation contre eux formée, les en déchargeait et ordonnait la radiation des écrous (1).

Le 22 mars de la même année, François Hullin, sergent royal, se transportait à la conciergerie du palais, se faisait présenter, en vertu du jugement du tribunal, le registre des écrous criminels et, en exécution de l'arrêt, biffait et rayait les noms de Mordant et de Couturier (2). Ces événements, si peu importants aux yeux de la grande foule, sont pourtant au nombre de ceux dont l'histoire doit garder le plus fidèle souvenir, car ils marquent une victoire d'autant plus glorieuse qu'elle était plus difficile à remporter.

C'est l'honneur des plus grandes causes que d'être défendues souvent par les plus humbles et de ne devoir leur succès qu'aux souffrances endurées pour assurer leur triomphe. La vérité religieuse et la liberté de conscience n'ont pas eu de plus fidèles défenseurs que ces martyrs obscurs qui tombaient dans les arènes du peuple-roi, que les confesseurs sur les galères, les femmes de nos Cévennes à la tour de Constance, que nos humbles pasteurs du désert sur les échafauds. Mais rien de grand ne demeure si un sacrifice n'assure sa durée; il faut semer dans les larmes pour moissonner avec chants de triom

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phe. La foi religieuse pleine de puissance a donné au monde les martyrs, et les martyrs ont forcé le glaive de la persécution à se briser dans leur sein. Ils n'ont rien redouté, car ils étaient les soldats de la vérité qui doit vaincre, de cette vérité qui, malgré les opprobres et la haine dont on la couvre, ne perd rien de son prix ni de sa majesté. Ils savaient, pour parler avec le grand Claude, que servir Jésus-Christ et suivre sa vérité est le plus grand avantage des vrais fidèles, et ceux de ce monde ne sont rien au prix du salut éternel que nous attendons et qui sera la couronne d'une vraie foi et d'une adoration perpétuelle (1). FRANK PUAUX.

L'ORIGINE DU GÉNÉRAL DAUMESNIL.

Il y a quelques années, par l'organe de M. Léopold Quénault, alors sous-préfet de Coutances, la Normandie disputait au Périgord l'honneur d'avoir, sinon donné le jour au général Daumesnil, du moins d'avoir été le berceau de sa famille.

Aujourd'hui, pour la gloire du protestantisme français, comme je l'ai fait naguère pour Malherbe, je veux essayer de démontrer que l'illustre et héroïque général est bien le descendant d'une famille normande protestante, qui, à une époque encore incertaine, par suite, sans doute, des malheurs des temps, a abandonné la religion dans laquelle elle avait vécu, sans perdre toutefois la tradition d'honneur que l'on rencontre toujours dans les cœurs où coule une goutte du vieux sang huguenot.

Pour arriver à ma démonstration, les documents ne me feront point défaut. Effectivement, si j'ouvre Chamillard, dans sa Recherche de 1666, sur la noblesse de Normandie, je lis ce qui suit : « Guillaume Daumesnil, en Normandie, élection de Caen, porte de gueules à la fleur de lys d'argent. » La même mention se retrouve dans d'Hozier. Mais ce qui est caractéristique dans Chamillard, c'est la présence à l'article Daumesnil, des trois lettres, R. P. R. indicatives de la reli'gion professée par la famille ou du moins par des membres de la famille dont il s'occupe.

(1) Claude, réponse aux deux traités intitulés : la Perpétuité de la Foy. Charenton, MDCLXV, p. 715.

Or la famille Daumesnil citée dans la Recherche de Chamillard est bien la famille du général Grieix Daumesnil, dit la jambe de bois, fils légitime de-Jean-François Daumesnil et de Anne Piétré son épouse, baptisé à Périgueux, le 27 juillet 1776, où son père résidait momentanément. Effectivement, comme le Guillaume Daumesnil de Chamillard, Jean-François Daumesnil portait de gueules à la fleur de lys d'argent, armes que son fils a échangées plus tard contre celles qui lui furent concédées par l'empereur avec le titre de baron; comme Guillaume Daumesnil, le père du général, était né à Fresney, canton de Bretteville sur Laize, près de Caen.

Le doute n'est donc plus permis, l'origine protestante de la famille Daumesnil est prouvée ainsi que son origine normande. Mais poursuivons; Chamillard indique un assez grand nombre des descendants de Guillaume Daumesnil; il indique aussi les alliances contractées par les membres de cette famille, antérieures à 1666. Presque tous ont épousé des femmes se rattachant à la Normandie par leur origine, au protestantisme par leur foi.

A titre d'exemple, je ne citerai que le mariage de Marc Daumesnil avec Marguerite Héroult, et celui de Pierre II Daumesnil avec Marie. Osmont.

Et qu'il me soit permis à ce sujet d'extraire quelques lignes d'un vieux dictionnaire du droit normand publié par Houard en 1780, 3o volume, page 706, v° Protestants. L'auteur traitant des successions des protestants, rapporte les faits suivants qui compléteraient, si besoin en était, la preuve que j'ai entreprise. « Le 18 juin 1730, la demoiselle Esther Osmont (elle était arrière-petite-fille de Pierre Osmont de Courtisigny, dont celui qui écrit ces notes descend en ligne directe), étant décédée à Caen, le procureur du roi fit apposer les scellés sur les papiers, meubles et effets de la défunte, sous prétexte de l'absence du sieur de Montfiquet, époux de la demoiselle Thérèse de Bleds, et en cette qualité présomptif héritier. Divers particuliers, entre autres Louis Daumesnil, représentant Pierre Daumesnil époux de Marie Osmont, Nicolas et Bernardin Osmont, prétendant aussi être héritiers, firent opposition à la levée des scellés. Une sentence renvoya le sieur de Montfiquet et le sieur Gohier en possession de la succession d'Esther Osmont; mais inquiétés par le directeur à la régie des biens des réformés, une ordonnance de M. l'intendant de Caen du 29 mars 1731 déclara la succession non sujette à régie, y

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ayant des héritiers régnicoles. Immédiatement après cette ordonnance, l'intendant communiqua à MM. de Montfiquet et Gohier un placet présenté à M. le garde des sceaux par les sieurs Nicolas, Bernardin Osmont et Louis Daumesnil, par lequel ils demandaient à établir qu'ils étaient les vrais et uniques héritiers de la demoiselle défunte; que les sieurs de Montfiquet et Gohier n'étaient tout au plus que ses alliés, que d'ailleurs l'épouse du premier était absente du royaume depuis trois ans, qu'elle et le sieur Gohier ne faisaient aucun acte de catholicité, et que celui-ci avait fait enlever sa fille alors âgée de douze ans pour empêcher qu'elle fût instruite en la religion catholique. »

J'arrête ici cette cilation qui présente de l'intérêt à plusieurs points de vue; et je crois être en mesure de conclure de tout ce qui précède que si malheureusement, dès avant 1730, la famille Daumesnil n'était plus protestante, elle l'avait été antérieurement, tout en regrettant que quelques-uns de ses membres n'aient point hésité à se faire une arme de leur qualité de nouveaux catholiques contre leurs adversaires les sieurs Gohier et de Montfiquet restés fidèles à la foi de leurs pères.

Je dois ici faire remarquer que, soit par inadvertance de l'auteur, soit par le résultat d'une faute d'impression, le nom de Daumesnil se trouve défiguré et écrit Dumesnil dans le dictionnaire de Houard, plus préoccupé d'établir un point de jurisprudence que de citer exactement des noms propres. Mais l'erreur de Houard disparaît devant les minutes des sentences qu'il rapporte, et il ne faut pas s'y

arrêter.

J'ose espérer que ces notes auront quelque intérêt pour les lecteurs du Bulletin. Si le protestantisme doit regretter de ne pouvoir compter au nombre de ses enfants des hommes tels que l'illustre défenseur de Vincennes, qui, sans une pression coupable et une faiblesse d'un moment qui ne se comprend, hélas ! que trop facilement, auraient été sa gloire; il ne peut oublier que c'est à ses principes et à ses fortes doctrines que ces hommes ont dû, peut-être sans s'en rendre bien compte, et leur héroïsme, et leur désintéressement.

C. OSMONT DE COURTISIGNY,

juge au trib. civil de Lisieux.

PARIS, IMPRIMERIE DE E. MARTINET, RUE MIGNON, 2

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