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principautés, droits et possessions quelconques et ses domaines. dévolus au premier occupant catholique, sans préjudice des « peines plus graves » qu'elle aurait pu encourir. En même temps, on assure qu'un complot fut ourdi entre les agents de Philippe II et les chefs de la faction ultra-catholique française pour assurer l'exécution du mandat inquisitorial; des troupes espagnoles, secondées par les catholiques de Gascogne, devaient descendre brusquement des Pyrénées et surprendre dans Pau la reine de Navarre, son fils et sa fille. Le bûcher attendait Jeanne, ses enfants Henri et Catherine auraient eu en partage une éternelle captivité (1). La conspiration, si le fait est vrai, n'aboutit pas. Le pape fut obligé de reculer; la cour de France lui adressa, au nom de la dignité royale, des libertés gallicanes et de la suzeraineté d'Albret, une protestation si vigoureuse que le vieux Pie IV laissa tomber la citation non-seulement de la reine de Navarre, mais des prélats qui avaient été déposés ou suspendus par contumace (2) ».

On voit que l'historien émet un doute sur le projet d'enlèvement de Jeanne d'Albret et de ses enfants. Les expressions « on assure, si le fait est vrai,» montrent qu'il n'est pas bien sûr que ce projet ait été conçu, et que l'exécution en ait été tentée. De plus, quoiqu'il résume très-fidèlement, mais à grands traits, le plan qui devait être suivi, il attribue au complot un caractère très-différent de celui qui résulte de la relation de Villeroy. Selon lui, Philippe II aurait eu une part importante, peut-être principale, dans cette affaire; il aurait agi comme exécuteur de sentences papales ou inquisitoriales de concert avec les ultra-catholiques de France, qui n'auraient pour ainsi dire, fait que le suivre et le seconder. La relation de Villeroy, au contraire, attribue l'idée première du complot à ces ultra-catholiques, ou pour mieux dire aux Guises;

(1) L'explication du plan, toute brève qu'elle est, est absolument conforme au récit qui se trouve dans les mémoires de Villeroy, mais ce récit ne parle pas du sort réservé aux victimes. Il dit seulement qu'elles devaient être livrées à l'Inquisition. Leur sort final ne pouvait donc pas être autre que celui qu'indique l'historien. (2) Histoire de France, IX, p. 169.

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ce sont ceux-ci, et eux seuls, pour ainsi dire, qui l'auraient conçu et auraient pris l'initiative des négociations; Philippe II n'aurait guère fait autre chose que se prêter à l'accomplissement de leur dessein; encore n'en eut-il pas le temps. Il y a là une différence notable, presqu'une interversion de rôles. Il ne nous paraît pas possible de présenter les choses comme le fait Henri Martin, si l'on s'appuie uniquement sur le document fourni par Villeroy. Mais ce document est-il exact? quelle en est la valeur? C'est ce que nous avons à examiner.

Il est certain que la relation, telle que nous l'avons, est bien postérieure aux faits qu'elle révèle; ce n'est pas seulement dans le titre où il est question de « notre roi Henri IV », qui n'avait pas dix ans à l'époque des faits racontés; c'est aussi dans le récit lui-même, surtout au commencement et à la fin, qu'on trouve des traces évidentes de postériorité. Il faut en conclure, ou bien que ce récit a été rédigé au moins vingt ans après les événements, ou que, s'il avait été écrit dans un temps plus rapproché d'eux, il a été remanié plus tard et a reçu, après l'avénement de Henri IV, la forme sous laquelle il nous est parvenu.

Serait-on autorisé à tirer de là des conclusions défavorables à l'authenticité de ce récit, à n'y voir qu'une sorte de roman inventé pour nuire aux Guises, un pamphlet destiné à achever leur ruine? Nous ne le pensons pas. Évidemment on avait l'intention de leur faire du tort en publiant leurs méfaits, et notre document ne saurait être l'œuvre d'un de leurs amis. Mais il ne suit pas de là qu'on leur ait prêté gratuitement un dessein criminel auquel ils n'auraient pas songé.

Le document dont nous parlons est tellement circonstancié, les faits y sont si bien indiqués par le menu, qu'il est difficile d'y voir autre chose que les révélations d'un homme bien informé. A la vérité, nous ne savons pas qui est l'auteur du récit, ou qui en a fourni les éléments: était-il catholique? On le croirait, en le voyant se servir d'expressions telles que << hérétiques >>, << religion prétendue réformée », « notre religion

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catholique »; mais ces expressions sont quelque peu ironiques, et un sentiment religieux très-profond règne d'un bout du récit à l'autre. Dieu y est représenté comme dirigeant tous les événements par sa providence et sa souveraine sagesse.

Il y a cependant dans ce récit, d'ailleurs si vraisemblable, quelque chose d'extraordinaire. Le complot échoue par l'intervention de la reine d'Espagne et par celle de son grand aumônier; et ce n'est pas la reine qui a décidé le grand aumônier à agir; c'est le grand aumônier qui a pris les devants et est venu consulter la reine. Il serait bon d'avoir des renseignements sur ce grand aumônier. Est-il distinct du confesseur de la reine, « dont l'histoire n'a pas conservé le nom, » nous dit l'auteur de la Vie d'Élisabeth, mais qui avait été « chef de son ordre en la province du Lyonnais, docteur de Paris (1) » et qui fut choisi avec le plus grand soin par ordre de Philippe II? Ce confesseur devait préserver la reine de toute hérésie et lui enseigner l'obéissance passive. Brantôme ne parle pas du confesseur de la reine, mais il dit un mot de son précepteur, M. de Saint-Étienne, qu'elle respectait beaucoup. On comprend que la reine ait fait venir son précepteur auprès d'elle, et qu'elle s'entendit parfaitement avec lui: on comprend moins que Philippe II ait laissé auprès d'elle un homme capable de traverser les desseins du roi, ou du moins d'empêcher la réussite des projets auxquels son adhésion pouvait paraître assurée. L'historien d'Élisabeth cite des dépêches de l'ambassadeur de France en Espagne, attestant l'accord de la reine avec le roi son mari sur les affaires de l'État dont il lui faisait la confidence. Ces dépêches infirmeraient-elles les assertions du document contenu dans les mémoires de Villeroy? Nous ne le pensons pas. Il s'agit dans notre document d'une intrigue secrète qui n'avait rien d'officiel, quoiqu'elle eût sans doute produit des actes officiels, si elle avait pu être poussée jusqu'au bout. Pour déjouer cette intrigue, la reine agit par des moyens secrets analogues à ceux qu'on employait. Par le fait, elle allait à l'en

(1) Le Marquis du Prat, un volume in-8°. Paris, Teschener, 1858.

contre des intentions du roi; mais il ne semble pas qu'on puisse inférer de là qu'elle était en désaccord avec lui sur les affaires de l'État. Du reste, les deux dépêches citées sont du 11 mai et du 10 août 1563; c'est seulement après cette dernière date que la reine a dû avoir connaissance de « l'entreprise » racontée dans les Mémoires de Villeroy.

L'historien d'Élisabeth de Valois raconte en détail ce qui s'est passé en 1563 et ne dit pas un mot des événements dans lesquels, selon notre document, la reine aurait joué un ròle important. Il ne lui était cependant pas permis de le passer sous silence. Que ce fùt pour le faire connaître, ou pour le démentir, il devait en parler. Voici un texte qui nous apprend que Henri IV enfant a été pour ainsi dire arraché à la mort par la troisième épouse de Philippe II; cela est imprimé dans un recueil de documents sérieux, dont plusieurs sont officiels, et l'on n'en parle pas! Le devoir de l'historien d'Élisabeth était de signaler ces faits et de les discuter. Rien ne l'autorisait à les négliger.

Une des imperfections de ce document, c'est qu'on n'y trouve aucune date; la seule qui soit donnée est dans le titre, et elle est fausse. Le titre place les événements en 1565. Mais le récit les faisant commencer après la mort d'Antoine de Bourbon et avant celle de François de Guise, c'est-à-dire à la fin de 1562 ou au commencement de 1563), et ne les prolongeant guère au-delà des Cortès de Monçon (septembre 1563) on voit qu'ils doivent tenir dans l'année 1563. Tout en regrettant de n'avoir pas d'indications plus nettes sur l'époque précise des différents épisodes de « l'entreprise » racontée, nous n'argumenterons pas contre notre récit de cette date 1565 qui est évidemment une faute d'impression. Ce n'est pas, du reste, la seule qu'on ait à relever : Saint-Sulpice est appelé « Saint-Suplice», Monçon est écrit « Mouson » et « Mouzon (1) ». Bref, l'impression de notre document est faite assez négligemment : il y a deux passages qui sont restés en blanc; mais les lacunes indi

(1) Le marquis du Prat a aussi le tort d'écrire Mouzon.

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quées par ces blancs sont courtes, sans importance, et n'empêchent pas de saisir la suite du récit.

Nous reconnaissons qu'il serait désirable de retrouver l'original du texte imprimé dans les Mémoires de Villeroy, et d'en découvrir l'auteur. Il serait également heureux qu'on pût consulter d'autres documents relatifs à cette affaire, afin de contrôler celui qui est, pour le moment, la source unique à laquelle nous pouvons puiser. En attendant, puisque ce document, dont il est impossible de ne pas tenir compte, a été négligé, que les historiens qui auraient dû l'utiliser ne l'ont pas fait, ou ne l'ont fait que d'une manière insuffisante, il nous semble à propos de le faire mieux connaître, et nous allons raconter les faits tels qu'il les rapporte. Sauf quelques développements assez courts sur la situation générale et sur quelques-uns des personnages les plus marquants dont nous aurons occasion de parler, tout ce que nous dirons sur « l'entreprise » elle-même sera emprunté uniquement au document qui figure dans les Mémoires de Villeroy.

Léon FEER.

BIBLIOGRAPHIE

HISTOIRE GÉNÉRALE DES HONGROIS, par ÉDOUARD SAYOUS 2 volumes in-8°.

On n'a pas oublié le touchant épisode des pasteurs hongrois sur les galères de Naples (Bull., XXIV, p. 49-60), ainsi que les belles pages sur l'établissement de la Réforme en Hongrie, lues en 1873 par M. Sayous à l'assemblée annuelle de notre Société (Bull., XXII, p. 207-219). C'étaient là des fragments, développés à notre usage, de la grande histoire consacrée par notre collègue « à un des peuples les plus braves, les plus éloquents et les plus tenaces dont les annales du monde fassent mention. » Pour accomplir sa tâche, M. Sayous n'a reculé devant aucun des rudes labeurs imposés à l'historien. Il a parcouru plusieurs fois la Hongrie, appris sa langue, exploré à fond ses bibliothèques et ses archives. Puis, dans une

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