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propose d'adoucir notre sort, m'accorda deux audiences dans lesquelles furent discutés les principaux points à accorder. » Il s'agit assurément de ce qu'il avait déjà demandé : la délivrance des galériens, les mariages, le retour des réfugiés, et surtout la liberté du culte. Mais un mémoire du temps, écrit quelques mois après l'entrevue et qui paraît exact, donne d'autres détails. Rabaut commença, parait-il, par exposer les points essentiels à accorder aux protestants, « pour leur donner un état tranquille et les mettre en mesure de ne plus contrevenir aux ordonnances du roi. » Conti l'écouta avec beaucoup de bienveillance et ne fit d'abord connaître que des intentions auxquelles on ne pouvait en apparence imputer rien de mauvais. Il promit d'intercéder en faveur des religionnaires auprès de Louis XV; mais voulant être assuré des dispositions de toutes les églises protestantes, afin de ne faire aucune démarche qui ne fût approuvée par elles, il insista sur la nécessité d'une réunion générale, c'est-à-dire un synode national, où les délégués de toutes les communautés établiraient d'une façon précise les demandes qu'il se chargerait de communiquer et d'appuyer auprès du roi. Rabaut approuva les scrupules du prince et promit de faire les démarches nécessaires auprès de ses coreligionnaires pour les déterminer à la convocation d'un synode. Huit jours après, il repartait pour Nîmes.

A peine de retour, il se hâta de rendre compte de son voyage aux prédicants, ses collègues, et leur fit part des objets dont il était convenu avec le prince de Conti. Il arrivait d'ailleurs plein d'illusions et fondait les plus grandes espérances sur l'issue de ses négociations. Il était persuadé que la condition des protestants n'allait pas tarder à devenir meilleure. « Les fers sont au feu, écrivait-il, et si la suite répond à ces heureux commencements, comme j'ai lieu de le croire, le printemps ne passera pas que l'on ne voie éclore quelque chose de très-flatteur pour nous... Il y a lieu d'espérer que Dieu donnera du repos à Israël. Je me suis assuré par moi-même des bonnes intentions qu'a pour nous l'homme du royaume qui nous peut le

mieux servir. » On voit qu'il n'avait alors aucun doute sur les intentions de Conti, et qu'il croyait à leur pureté comme à leur droiture.

Sa confiance fut partagée par tous les protestants. On n'hésita pas à répondre au désir du prince, et toutes les mesures furent immédiatement prises pour la réunion d'un synode.

Tandis qu'on faisait les preparatifs, le prince entretenait avec le prédicant une correspondance assez suivie, dont le mystère ne laissait pas que d'être un peu singulier. Bien que Rabaut reçut toujours par la poste les lettres de Conti, il ne voyait jamais imprimé sur l'extérieur de la lettre le nom du lieu de départ; mais, habitué par sa vie d'aventures à toutes les singularités, il n'en concevait cependant aucun étonnement, lorsqu'au mois de novembre de la même année, il reçut du prince un mémoire, sous forme de lettre, dans lequel celui-ci indiquait le véritable sujet sur lequel il souhaitait que le synode délibérât et prit des engagements. Conti demandait : 1° qu'on fit le dénombrement des religionnaires du royaume; 2° qu'on fixât le nombre des hommes en état de porter les armes; 3o qu'on spécifiât la quantité et la qualité d'armes que chaque religionnaire pouvait avoir chez lui; 4° qu'on dressât la liste des gens de condition appartenant à la R. P. R. — Il donnait en même temps le canevas du discours qu'il priait Paul Rabaut de prononcer à l'ouverture du synode. On lisait en tête du mémoire :

M. Paul Rabaut fera l'ouverture du Synode par un discours, dans lequel il prouvera l'antiquité et l'utilité des synodes; il démontrera l'insuffisance et l'inutilité des moyens que les protestants ont employés jusqu'ici pour se procurer un état plus heureux; il insistera fortement sur la nécessité de changer de système et d'avoir recours aux moyens insinués dans le mémoire ci-après; enfin il finira par une exhortation pathétique à tous les membres du synode dans la vue de les déterminer à embrasser promptement et avec chaleur ces moyens.

Quels étaient ces moyens? Était-ce un appel à l'insurrection? Le prince proposait-il aux protestants, dans un intérêt particu

lier inconnu, de recommencer sur nouveaux frais une nouvelle guerre des Camisards? On l'ignore. Assurément ils étaient graves, puisque le prédicant en fut effrayé. Il se hâta de communiquer le mémoire à quelques religionnaires de Nîmes, et il en envoya copie à ceux de la Rochelle et de Bordeaux. Partout, on fut unanime pour déclarer qu'il fallait rompre immédiatement les rapports commencés avec le prince.

Le jour cependant de la tenue du synode avait été fixé au 1er mai 1756; et de tous côtés, les délégués des églises proscrites, disséminées dans le royaume, étaient arrivés dans les hautes Cévennes, fidèles au rendez-vous donné. On commença par s'occuper des affaires ordinaires de la religion; puis les délibérations s'ouvrirent sur le fameux mémoire. Les prédicants assistaient seuls à cette seconde réunion. Paul Rabaut exposa les négociations qui avaient précédé et suivi son voyage. La discussion commença et les résolutions prises furent consignées dans un procès-verbal. Nous n'en connaissons pas le contenu; mais l'auteur du mémoire cité plus haut donne des détails précis sur les dispositions de ceux qui assistèrent à cette réunion.

<< Un petit nombre, dit-il, de ministres (predicants) voulurent absolument qu'on donnât carte blanche au prince et qu'on se laissât aveuglément conduire par lui, quelles que fussent ses intentions...; un plus grand nombre, à la tête desquels était Paul Rabaut, furent d'avis qu'il fallait se prêter aux idées du prince jusqu'à un certain point, bien résolu cependant de ne jamais s'écarter des sentiments de fidélité, dont tous les bons sujets doivent être animés pour le service de Sa Majesté, et de mettre un frein aux desseins du prince s'il voulait aller trop loin; enfin, la plus grande partie des ministres décidèrent qu'il fallait absolument rompre tout commerce avec le prince et n'avoir plus aucune intelligence avec lui, ni direçtement ni indirectement. »

Sage avis qui prévalut. Bien que deux ou trois prédicants, plus impétueux que leurs collègues, eussent reçu de quelquesuns de leurs coreligionnaires le mandat d'entretenir des relations avec Conti et d'aller jusqu'aux extrémités où celui-ci voudrait les conduire, la haine de la rébellion et les principes de patience fixés dans presque tous les cœurs par cinquante an

nées de souffrances, étaient trop enracinés chez ce petit peuple persécuté pour être ébranlés par les vagues promesses d'un prince mécontent. Les lettres entre Rabaut et Conti devinrent plus rares; bientôt toute correspondance cessa et pour la plupart des protestants il ne resta plus de cette aventure que le souvenir des espérances prématurées qu'elle avait fait naître.

II

Mais cet épisode de l'histoire du siècle dernier devait avoir une suite, sinon. un dénouement. Il allait devenir l'occasion et T'origine de négociations, de voyages et de projets curieux à plus d'un titre.

Ni Le Cointe de Marcillac ni le prince de Conti n'étaieut disposés à prendre leur parti de leur insuccès; s'ils n'avaient plus le droit de compter sur Paul Rabaut, ils avaient du moins conservé quelques partisans: c'est avec eux qu'ils se proposaient de poursuivre leur entreprise. Malheureusement, quelles que fussent les précautions dont ils s'étaient entourés, ils n'avaient pas conduit cette affaire avec assez de discrétion pour n'en rien laisser transpirer. L'attention du lieutenant général de police avait été éveillée, et ils allaient se trouver placés sous sa haute surveillance.

Parmi ses amis, Le Cointe comptait un nommé Herrenschwand, grand juge des gardes suisses, protestant de naissance. Comment ce dernier fut-il mis au courant des relations du prince avec les religionnaires? Est-ce par Le Cointe luimême, par Rabaut ou tout autre? Tout fait supposer que Le Cointe fut d'abord le seul à confier au grand juge l'affaire qu'il essayait de mener à bonne fin. De toutes façons, Herrenschwand connut dans le détail cette aventure, et soit par une bassesse naturelle de son esprit, soit qu'il s'exagérât les dangers que courait la monarchie, soit intempérance de langage, soit un autre motif, il s'empressa de la raconter. A qui? A madame de 'Pompadour, à Saint-Florentin, de qui relevaient les affaires protestantes ou au lieutenant de police? On ne sait. Quoi qu'il en soit

le conseiller d'État Berryer, qui avait depuis 1747 la police entre les mains, fut mis au courant. La chose arriva jusqu'aux oreilles du roi et voici l'ordre de Louis XV enjoignant à Berryer de voir Herrenschwand et de le faire parler.

Monsieur Berryer, je vous ordonne de voir le sieur Herrenschwand, grand juge des Suisses, aussi souvent qu'il sera nécessaire pour être instruit de tout ce qui regarde les protestants de mon royaume, et de n'en rendre compte qu'à moi seul.

Signé : Louis.

A Versailles, ce 11 décembre 1756.

Herrenschwand reçut donc l'ordre de suivre attentivement l'affaire et de profiter de ses relations avec Le Cointe pour surveiller les démarches du prince de Conti. Sa qualité de protestant devait lui faciliter la tâche et dissiper les soupçons si sa curiosité en faisait naître. ·

Quelques mois plus tard, il proposait d'entreprendre un voyage pour s'assurer de ses propres yeux de l'étendue du complot dénoncé et de sa gravité. A la date du 11 avril 1757, une lettre de sa main montre bien ce qu'il voulait faire et ce qu'on attendait de son concours.

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Vous devez vous être aperçu, écrivait-il, que je n'ai pu vous faire la propositien d'un certain voyage qu'avec une sorte d'embarras; c'est une suite naturelle de mon caractère qui n'a jamais été porté pour des affaires de la nature de celles que vous connaissez; j'aurais désiré, après les premiers avis essentiels que j'ai donnés, qu'on eût pu se servir d'un autre que moi pour suivre l'affaire en question; mais comme elle peut devenir d'une conséquence infinie pour l'État, et que je sens que je puis avoir plus de moyens que d'autres pour l'approfondir, je m'y livrerai avec tout le zèle dont je puis être capable...

Ici, il demandait la grâce de deux galériens pour se faire bien voir par ses coreligionnaires et capter leur confiance, et il ajoutait :

... J'ose vous supplier, Monsieur, de vouloir bien assurer madame la marquise que je n'ai pas de plus grand désir dans le monde que celui de mériter sa protection par mon attachement au service du roi, et que je ne le céderai jamais à cet égard au plus fidèle et au plus zélé sujet de Sa Majesté.

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