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exemplaire, dit la supplique du procureur du roi, M. Pierre de Mengin (1). Convertie par force, elle n'avait pu résister au cri de sa conscience, elle était retournée à son premier culte. C'est pourquoi l'on faisait à son cadavre ce procès odieux. Ce cadavre n'était pas encore refroidi lorsque la descente de justice eut lieu et l'interrogatoire de Louise se fit devant le lit mortuaire. De cet interrogatoire, véritable torture infligée à une sœur, il résulte que Judith avait perdu l'esprit sur les deux heures du soir, la veille de sa mort, c'est-à-dire le 29 octobre, et que dans cet état précurseur du trépas elle fut poursuivie des obsessions de M. Bidal, curé de Châtillon. Cet ecclésiastique obéissait aux ordres supérieurs. Aussi n'est-ce pas lui que je blâmerai; je blâmerai le système du compelle intrare si contraire à l'esprit du Seigneur et cette union de l'Église et de l'État qui peut plier l'Église sous les volontés d'un prince.

En lisant plus haut que ce cadavre de Judith avait été scellé, on n'a peut-être pas compris toute la portée de cette expression étrange. Eh bien, voici le texte même, le texte officiel, le texte juridique : « et à l'instant avons marqué ledit cadavre, SUR LE FRONT, du scel de nostre juridiction (2) ».

Le mobilier de la pauvre huguenote n'était pas très-considérable. J'y ai remarqué un tableau représentant un paysage, trois livres infolio « Contre l'Eucaristie; un Dialogue fait par Drélincourt, et un in-12 intitulé: Appel comme d'abus, imprimé à Sedan (3) ».

Dans le cours de son information, le bailli, M. Juif, entendit les dépositions de deux témoins, le chirurgien Viranet qui avait soigné Judith et le curé M. Bidal, docteur en théologie.

Bézard a soigné la malade du 22 octobre au 30, jour de sa mort. Il a entendu M. Bidal l'exhorter à recevoir les sacrements et il a constaté qu'elle ne répondait rien aux raisons du prêtre, bien qu'elle fût saine d'esprit et de bon jugement (4).

Le curé déclare qu'il a visité plusieurs fois Judith Piat et qu'il l'a puissamment exhortée à rentrer dans l'Église « en expliquant et prouvant par la parole de Dieu, les dogmes de nostre sainte relligion ». Non content d'exhorter par lui-même, il envoya auprès de la malade

(1) Pièce IV, 32 rôles.

(2) Ibidem.

(3) Ibidem.

(4) Ibidem.

<«<le sieur Morel, docteur en théologie, preschant actuellement la controverse en ceste ville. » La malade avait répondu qu'elle ne pouvait croire tous ce que nous croyions, et ne pouvait abjurer sa religion pour prendre la nôtre. Elle ajouta qu'elle verrait s'il y avait lieu de se confesser, mais qu'elle ne pourrait se résoudre à communier et à croire à la présence réelle.

On voit que cette déposition, qui corrige les assertions de Louise Piat, était concluante, dans le sens des décrets et des édits, contre la mémoire de la défunte. D'après la supplique de Louise, Judith aurait offert de se confesser. D'après la déposition de M. Bidal, elle aurait dit simplement qu'elle verrait. La justice en conclut qu'elle avait refusé de se confesser. Il restait à nommer un curateur au cadavre. On choisit pour cet office Jacques Duditlieu, sergent royal. C'était un singulier choix. Ce curateur fit néanmoins ce qu'il put. Il requit une instruction par audition de témoins et l'huissier René le Riche reçut l'ordre de citer Anne Pillault, servante de la veuve Bonnafos; la femme Mimard; Pierre Blanchon, cordonnier; la veuve Noras et Etiennette Desmond (1). L'interrogatoire de ces témoins eut lieu les 2 et 4 novembre. Le curateur Pierre Duditlieu, interrogé le 2, déposa que Judith avait abjuré l'hérésie entre les mains du curé Boutojourd et qu'il l'avait vue aller aux offices de l'église (2).

Les témoins, interrogés le 4, déposèrent ainsi « Pierre Blanchon a creusé la fosse sur la réquisition de Louise Piat, dans la cave de la maison mortuaire. Anne Pillault a vu la défunte faire abjuration dans l'église Saint-Pierre et suivre les prédications de M. Morel. Elle affirme que Judith n'a pas refusé de se confesser durant sa maladie et que c'est M..le curé qui n'a pas voulu la confesser sans la communion ensuite. M. Bonnafos l'a exhortée à communier. Judith a répondu qu'elle communierait si on voulait lui donner la communion sous les deux espèces; que d'ailleurs ses pères étaient morts dans le protestantisme, qu'elle y voulait mourir et qu'elle ne serait pas plus damnée qu'ils ne l'avaient été. Quand le curé fut parti, Louise s'approchant de la couche de sa sœur lui dit : « Ma sœur, êtes-vous toujours dans les sentiments où M. le curé vous a laissée? Elle lui répondit : Ma chère sœur, je ne puis me résoudre à changer de sacre

Pièce V, 6 rôles. (2) Pièce VI, 9 rôles.

mens. A quoy ladite Louise Piat luy dit: Ma chère sœur, il m'arrivera bien des peines après vostre mort. Vous n'y serez point, c'est moi qui auray tout le mal; et en lui disant ces paroles ladite Louise Piat se jeta à son cou en lui disant : Changez de sentiments. Il luy fut répondu par ladite deffunte : Je ne puis m'y résoudre (1). »

Certes, Louise Piat eut ici un instant de faiblesse regrettable; elle tenta une mourante. La mourante fut plus forte que la vivante. Mais Louise racheta cette faute, et fournit à sa sœur l'occasion de montrer en 1699, que la race des premiers chrétiens n'est pas éteinte et que la grâce est plus forte que la nature.

Louise Piat sortit après cette scène douloureuse et héroïque et la fille Pillault demeura auprès de Judith. La voyant s'affaiblir de plus en plus, cette femme lui dit : « Mademoiselle, estes-vous toujours dans les sentimens où vous estiez, de mourir dans la religion de vos pères?

Elle lui répondit : Ouy et mourut » (2). Lisez les actes des martyrs, y trouvez-vous rien de plus simple dans sa sublimité, et de plus sublime dans sa simplicité?

Etiennette Desmond n'apporta aucun élément nouveau dans l'information non plus que la veuve Noras.

Cette information n'alla pas plus loin à Châtillon, l'affaire ayant été évoquée au présidial de Montargis, comme nous l'avons dit plus haut. C'est donc à Montargis qu'il faut maintenant nous transporter. L'information de Montargis ne fit que reprendre et constater les faits qui résultaient des témoignages des témoins antécédents par le bailli de Châtillon. Il n'y a pas par conséquent lieu à revenir sur ces dépositions elles-mêmes (3). Le sort du cadavre nous intéresse seul désormais. En conséquence de l'ordonnance d'évocation de l'affaire au siége du présidial, le procureur du roi, Bouvier de la Mothe, frère de la fameuse madame Guyon, requit que le cadavre de Judith Piat << fut conduit prisonnier ès prisons royalle » de Montargis (4).

Il se trouva que ce cadavre était déjà corrompu. Le plan de la justice fut dès lors changé et, ne pouvant le faire venir à Montargis, elle l'alla trouver à Châtillon (5) le 28 novembre 1699. On écroua ces restes mortels dans les prisons de cette ville. Le 29, M. L'Hoste,

(1) Pièce IV.

(2) Pièces VIII et IX.

(3) Pièce X.

(4) Pièce XI. (5) Pièce XII.

M. Bouvier de la Mothe, M. Bazille, huissier, M. Juif de Launay, bailli de Châtillon, M. de Menozin, procureur fiscal, se transportèrent aux prisons. Là on les mit en présence des restes mortels de Judith Piat « dans une cave, au-dessoubs de la chambre du geollier ». La mauvaise odeur suffoqua la justice dès l'entrée du caveau. Le bailli et le procureur fiscal entrèrent seuls, sur l'ordre de M. L'Hoste, avec le greffier et l'huissier Bazille, et reconnurent le cadavre et le sceau qui avait été apposé sur son front. »

Après cette formalité pénible, le lieutenant général et criminel procéda à l'audition de l'avocat Bonnafos, nommé curateur en remplacement du curateur ancien Jacques Duditlieu (1).

Cet honnête homme certifia que si le curé Bidal eût consenti à entendre la défunte en confession, il l'aurait amenée à recevoir le sacrement d'Eucharistie. Cette assertion déconcerta un instant le lieutenant criminel qui fit représenter au déposant les trois volumes trouvés au domicile de Judith Piat. M. Bonnafos répondit que ces livres lui étaient inconnus, que jamais il ne les avait vus entre les mains de Judith ni de Louise, et que Judith avait abjuré vers 1689.

Cette déposition nous paraît charger le curé Bidal tout au moins de dureté dans son apostolat. Elle nous fait constater que ce prêtre refusa d'entendre la confession de la mourante, et sous prétexte qu'elle refusait l'Eucharistie, comme si la pénitence ne devait pas par sa vertu propre amener, suivant la remarque du déposant, mademoiselle Piat à accepter le viatique.

Évidemment, M. Bidal avait poursuivi une conquête plutôt qu'une conversion. Cette nuance n'échappa à personne.

L'avocat Bonnafos, interrogé de nouveau le 30, persista dans sa courageuse déposition (2).

Il restait à conclure. La conclusion fut ce qu'on pouvait attendre de cette législation draconienne créée par le grand roi. L'avocat Bonnafos fut condamné à aumosner 50 livres à l'Hôtel-Dieu de Châtillon, 50 livres à l'Hôtel-Dieu de Montargis, 100 livres pour la réparation de la chapelle de la salle Saint-Antoine du palais et 30 livres d'amende envers le roi, soit 230 livres; lesquelles sommes furent prises sur les biens de la défunte, le 14 décembre 1699. Le cadavre étant dans un état complet de décomposition ne put être traîné sur la claie et

(1) Pièces XIII et XIV.

(2) Pièce XVII.

fut déposé dans la terre. Tous les biens de Judith Piat furent confisqués (1).

Tel fut ce procès fait à un cadavre en pleine civilisation du Grand Siècle.

Que de préjugés, que d'illusions tombent devant des dossiers semblables à celui que je viens d'étudier!

Il en coûte de lever le voile qui cache tant d'affreux souvenirs; mais l'histoire a ses devoirs et ses obligations sacrées qu'il lui faut remplir. Certes, la voix de ces papiers est éloquente. Elle nous crie que la persécution est une mauvaise chose, de quelque part qu'elle vienne, et qu'il faut la flétrir sans hésiter, partout où elle se produit, en terre catholique ou protestante, sous Henri VIII comme sous Philippe II ou Louis XIV. Je parle d'un temps écoulé. Notre âge ne verra plus de ces choses. A nous de dire:

Sunt lacrymæ rerum et mentem mortalia tangunt!

JULES DOISNEL,

Archiviste du Loiret.

LE MASSACRE A PARIS, 1572 (2).

TRAGÉDIE EN TROIS ACTES PAR CHRISTOPHE MARLOW.

ACTE II.

SCÈNE 1.

Le duc d'Anjou, deux seigneurs polonais.

Le duc d'Anjou. Il faut que je vous l'avoue, messeigneurs : l'offre de votre prince électeur est fort au-dessus de mon mérite; car si j'en crois les informations qui m'arrivent de tous côtés, les Polonais sont une nation belliqueuse digne d'être gouvernée par un roi assez prudent pour résoudre les problèmes politiques et déjouer les intrigues des ennemis les plus rusés. Ce qui leur est nécessaire, c'est un monarque accoutumé de longue main à faire la guerre, et

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