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une guerre aussi sérieuse que la chrétienté en ait jamais eu: d'un côté contre les Moscovites; de l'autre contre les Turcs, c'est-à-dire contre deux souverains également riches, également puissants. Cependant, mon frère Charles, notre roi de France, et les membres de son conseil, craignent qu'en acceptant la couronne de Pologne je renonce par cela même à mes droits sur celle de mon pays. Il est donc bien entendu que si par la mort de Charles le trône de France m'appartenait jamais, je serai dégagé de mes obligations envers la Pologne; à cette condition je serai fort heureux d'accepter votre offre, et je vous promets, messeigneurs, de défendre les droits et la prospérité de vos États.

Premier seigneur.

delà.

Votre Altesse royale sera satisfaite, et au

Le duc d'Anjou. Eh bien! messeigneurs, partons.

(Ils sortent.)

SCÈNE II.

Deux spadassins tirant après eux le corps de l'amiral.

Premier spadassin.

Voyons, qu'allons-nous faire de l'amiral? Deuxième spadassin. — Parbleu! brûlons-le comme hérétique. Premier spadassin. - Non, non, le cadavre infecterait le feu, l'infection se communiquerait du feu à l'atmosphère, et nous serions empoisonnés, nous aussi.

Deuxième spadassin.

-- Quel parti prendre?

Premier spadassin. Jetons-le à la rivière.

Deuxième spadassin. Non, non, le cadavre corromprait l'eau, l'eau infecterait les poissons, et les poissons nous rendraient malades si nous en mangions.

Premier spadassin.
Deuxième spadassin.

arbre.

Jetons-le, alors, dans ce fossé!

Non, non, crois-moi, pendons-le à cet

Premier spadassin. - Convenu!

(Ils pendent le cadavre, et sortent.)

(Entrent le duc de Guise, la reine mère, le cardinal de Lorraine et leur suite.)

Le duc de Guise. Eh bien, madame, que vous semble de notre digne amiral?

XXVI. -21

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La reine mère. Sur ma foi, monsieur de Guise, il est là tellement à sa place que je regrette qu'il n'ait pas été pendu beaucoup plus tôt. Mais éloignons-nous, l'odeur de ce cadavre est par trop désagréable.

·Le duc de Guise. -- Vous avez raison, madame. Họlà! qu'on l'enlève et qu'on le jette dans quelque fossé.

(Les hommes de la suite emportent le cadavre.)

On m'a donné à entendre qu'une centaine de huguenots assemblés dans les bois y tiennent leurs réunions à peu près à cette heure-ci; je m'y rends de suite, et je les passerai au fil de l'épée.

La reine mère. — Mon cher cousin de Guise, ne perdons pas de temps; car si les hérétiques, maintenant dispersés, parviennent à relever la tête encore une fois et se répandent à travers la France, nous en viendrons difficilement à bout.

Le duc de Guise. J'y vais, madame, avec la vitesse du tourbillon qui précède la tempête.

(Il sort.)

La reine mère. — Avez-vous remarqué dernièrement, monseigneur de Lorraine, combien mon fils Charles se lamente au sujet du massacre récent des huguenots à Paris?

Le cardinal. Je l'ai entendu s'engager avec le roi de Navarre, ce prince rebelle, à venger sur nous tous la mort des hérétiques.

La reine mère. Que cela ne vous émeuve en aucune façon. Catherine ne souffrira pas que son bon plaisir soit annulé en France. Aussi vrai que je suis ici, Charles périra, et Henri prendra sa place; et s'il s'avisait de me résister, je le renverserais, lui et tout le reste, car je gouvernerai la France, quel que soit celui qui porte le diadème, et pour peu qu'ils fassent les mutins, je les jetterai à terre. Venez, monseigneur.

(Пs sortent.)

SCÈNE III.

Entrent cinq ou six protestants avec leurs Bibles; ils s'agenouillent. D'un autre côté le duc de Guise entre, suivi de ses soldats.

Le duc de Guise. A mort les huguenots! tuez-les!

Un protestant.

Monsieur de Guise, veuillez m'entendre.

Le duc de Guise. Non, maraud, non. Ta langue, après avoir

t

blasphémé la sainte Église romaine, ne fera parvenir à l'oreille de Guise aucune plainte qui puisse désarmer ma justice. Tue! tue! tuė 1 qu'il n'en échappe pas un! (Ils les tuent). Maintenant, emportez-les. (Ils sortent.)

(Entrent Charles IX soutenu par le roi de Navarre et par d'Épernon, la reine mère, le cardinal de Lorraine, et du Plessis-Mornay.)

Charles IX.

Laissez-moi m'arrêter et me reposer un peu ici; une douleur poignante m'a saisi au cœur; douleur soudaine qui est comme l'avant-coureur de la mort.

La reine mère. Ne parle pas ainsi; tu me frappes toi-même jusqu'au fond de l'âme.

Charles IX. C'est plus fort que moi, la souffrance m'arrache cette plainte.

Navarre.

Tranquillisez-vous, sire; je ne doute pas que Dieu ne

vous rende bientôt la santé.

Charles IX. — Oh! non, mon cher frère de Navarre; j'ai mérité un châtiment, je l'avoue; et cependant on peut montrer sa patience autrement qu'en détruisant le bonheur du roi (?) Dieu veuille que mes amis en soient quittes à aussi bon marché. Soutenez-moi, ma vue s'obscurcit, mes muscles s'affaissent, mon intelligence s'égare, le cœur me manque... je suis mort! (Il meurt.)

La reine mère. Quoi! es-tu mort, mon fils bien-aimé? parle à ta mère... Non, l'âme s'est envolée. Messieurs, il nous faut maintenant envoyer des ambassadeurs en Pologne, afin de rappeler Henri à qui reviennent la couronne et la puissance de son frère. Veillez-y, monsieur d'Épernon, et arrangez-vous pour que le prince soit de retour ici le plus tôt possible.

D'Epernon. Comptez sur moi, madame. (Il sort.)

La reine mère. - A présent, messieurs, occupons-nous des funérailles, puis nous ferons couronner Henri aussitôt qu'il sera revenu de Pologne. Voyons, qu'on emporte ce cadavre.

(Le cadavre est enlevé, tous sortent, excepté le roi de Navarre et du Plessis-Mornay.)

Navarre. Et maintenant, Mornay, pendant que ces querelles dureront, mon meilleur parti est de quitter la France et de me rendre dans mes États, car il n'y a plus de sûreté ici pour moi. Puisque Henri est rappelé de Pologne, la Navarre m'appartient par droit de naissance. Je vais donc réunir secrètement une armée, de peur que

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le duc de Guise uni au roi d'Espagne n'essaye de traverser mon entreprise. Mais Dieu, qui est toujours du côté de la justice, sera miséricordieux envers nous et nous continuera sa protection.

Du Plessis-Mornay. — La vertu de notre pauvre religion soutiendra, sans nul doute, votre armée, abaissera vos adversaires, et vous couronnera enfin à Pampelune comme souverain légitime de Navarre, malgré l'Espagne et toute la puissance de la papauté qui retiennent ce qui est bien à vous.

Navarre. Tu as dit vrai, Mornay, et comme je suis déterminé à me battre pour la vérité et pour la parole de Dieu, que Dieu me soit en aide dans toutes mes entreprises. Viens, suis-moi, pendant qu'il en est temps encore.

(Ils sortent.)

SCÈNE IV.

Bruit de trompettes derrière la scène, et cris de Vive le roi ! répétés à plusieurs reprises.

Entrent Henri III, couronne en tête, la reine mère, le cardinal, le duc de Guise, d'Épernon, Maugiron, un coupeur de bourse, gens du peuple.

Tous. Vive le roi! vive le roi! (Les trompettes sonnent.)

La reine mère. Soyez le bienvenu, Henri, à votre retour de Pologne! Soyez le bienvenu en France, le domaine de vos aïeux ! Vous gouvernez ici un peuple de braves qui défendront vos droits; vous serez entouré d'un conseil d'hommes prudents pour préparer les lois, et une tendre mère veillera à vos intérêts. Bref, tout ce qu'un monarque peut désirer appartiendra à Henri, outre la couronne.

Le cardinal. Et puisse Henri jouir longtemps de sa prospérité.
Tous. Vive le roi! vive le roi! (Fanfare.)

Le roi. Je vous remercie tous de vos souhaits. Que le dispensateur des couronnes me donne de mériter votre affection par ma conduite. Et c'est ce qui arrivera si le destin m'est favorable, et si mes pensées et la dette que j'ai contractée envers vous restent à l'unisson. Que disent nos mignons? Croient-ils que dans le cœur de Henri la majesté et l'amour ne puissent habiter ensemble? Chassez de tels soupçons, l'alliance est déjà consommée; mon attachement pour vous ne sera détruit par personne; il résistera aux attaques du temps, à l'influence des événements. Vous serez toujours pour moi ce

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qué vous êtes en ce moment, en possession entière et absolue des bonnes grâces de votre roi.

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Maugiron. Nous savons que le fait de porter la couronne ne change rien aux desseins d'un noble cœur, parce que Votre Majesté occupait le trône de Pologne avant de monter sur celui de France. Le roi. Je te le répète, Maugiron, notre amitié subsistera en dépit de tous les orages.

(Le coupeur de bourse vole les boutons d'or du manteau de Maugiron.) Maugiron. Plaise donc à Votre Majesté me permettre de châtier ceux qui profanent cette sainte cérémonie.

Le roi. Que veux-tu dire?

(Maugiron abat l'une des oreilles du coupeur de bourse.)

Le coupeur de bourse. O Seigneur! mon oreille!

Maugiron. Allons, monsieur, rendez-moi mes boutons, et je vous restitue votre oreille.

Ici, emmenez-moi ce dròle.

Guise. Le roi. Ah! laissez-le tranquille; je lui servirai de caution cette fois. Attends, vaurien, que le jour de mon couronnement soit passé pour exercer ton métier. Et maintenant que les rites de l'Église sont dûment accomplis, donnons quelques jours aux banquets, aux tournois et à tous les exercices convenables à une cour. Venez, mes seigneurs, le dîner nous attend.

(Ils sortent tous, excepté la reine mère et le cardinal.)

La reine mère. Cardinal de Lorraine, que vous semble des manières agréables de mon fils? Il ne pense, vous le voyez, qu'à ses mignons. Tout ce qu'il désire, c'est de prendre son déduit; et pendant qu'il s'endort ainsi dans la mollesse, votre frère le duc de Guise et moi nous avons tout le loisir d'acquérir tant de pouvoir que pas un seul homme en France ne vivra sans notre permission. Alors la religion catholique romaine dominera à l'exclusion de toute autre.

Le cardinal. Madame, d'après ce qu'on m'a révélé sous le sceau du secret, mon frère de Guise a réuni une armée destinée, dit-il, à exterminer les huguenots, mais c'est la maison de Bourbon qu'il entend détruire. Il faut que vous vous efforciez de persuader à Sa Majesté que cette action est pour le bien du pays et le plus grand honneur de la religion.

La reine mère.

Remettez-vous-en à moi du succès d'une telle entreprise; s'il refuse son consentement, je l'enverrai rejoindre son

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