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BIBLIOGRAPHIE

HISTOIRE DES CAMISARDS

Par EUG. BONNEMERE, 1 vol. in-12.

Le Bulletin a rendu compte (t. XVIII, p. 158), par la plume si autorisée de M. Anquez, de l'excellent ouvrage de M. Bonnemère sur les Camisards, et nous sommes heureux de voir attesté par une troisième édition le succès de ce livre vraiment populaire. Les Dragonnades ne sont pour l'auteur que le prologue de l'insurrection cévenole, et après avoir lu le récit singulièrement expressif des souffrances de nos pères, sous ces proconsuls du grand roi, dont la rage persécutrice s'acharnait jusque sur les morts, on est près de concéder la légitimité d'une prise d'armes qui n'était que la revendication des droits les plus sacrés : « Louis, dit M. Bonnemère, avait élargi sous les pas de ses sujets dissidents, à des profondeurs inconnues, l'abîme des douleurs humaines. Ils avaient enfin touché le fond, et par ce beau désespoir dont parle le poète, ils voulaient remonter à la surface ou mourir. » On ne saurait mieux dire.

Par quel miracle l'insurrection d'une poignée d'hommes commandés par des pâtres ignorants, et réduits à conquérir jusqu'à leurs armes sur les troupes régulières qu'on leur opposait, tint-elle en échec, durant près de quatre ans, les plus habiles généraux de Louis XIV? Ni l'héroïsme d'une race façonnée au métier de la guerre par le dur labeur quotidien, ni l'enthousiasme religieux surexcité par les prédications des prophètes, ni les talents de chefs improvisés qui excitèrent l'admiration de Villars lui-même, ne suffisent à expliquer la longue résistance où succès et revers paraissent également glorieux. La configuration du pays qui servit de théâtre à la guerre en fait comprendre la longue durée. D'âpres montagnes d'un accès difficile, percées de grottes profondes, fournissant à l'insurrection ses magasins, ses dépôts, ses cadres incessamment renouvelés, et communiquant par d'étroites vallées avec les populations de la plaine dont une notable partie faisait cause commune avec les insurgés, rendaient moins inégales les chances de la lutte, dont les alternatives émurent les puissances étrangères, sans les porter à une action effi

cace. L'aspect du pays a bien changé depuis. Les cultures, alors clairsemées, sont devenues générales. Le Désert s'est réduit, et il faut un effort d'imagination pour se représenter les bandes camisardes arrivant presque sous bois, d'Anduze ou d'Alais, aux portes de Nîmes.

Les historiens n'ont pas manqué à cet étonnant épisode de nos annales, et M. Bonnemère ne sera pas le dernier. Nous avions déjà le bel ouvrage de M. Nap. Peyrat, qu'anime un souffle vraiment épique, les récits populaires de M. Puaux, et les remarquables chapitres où l'auteur de Quinze ans de règne, M. Ernest Moret, a fait de si heureux emprunts aux archives du ministère de la guerre. L'éloquent résumé de M. Bonnemère trouvera de nombreux lecteurs, et ce n'est que justice, car l'indignation généreuse de l'écrivain ne coûte rien à son impartialité. Me sera-t-il permis cependant d'exprimer un vœu que ne m'interdit pas l'estime due aux travaux contemporains? L'excellent ouvrage d'Antoine Court qui le premier a retracé la guerre des Cévennes, devient rare ne pourrait-on le réimprimer avec des cartes détaillées, et des notes topographiques prises sur les lieux où furent livrés de glorieux combats? Le protestantisme français compte sans doute dans ses rangs plus d'un écrivain militaire ignoré de lui-même et capable d'accomplir une pareille tâche. N'y a-t-il pas là de quoi tenter son ambition? J. B.

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Monsieur le rédacteur du Bulletin de l'histoire du protestantisme français.

MONSIEUR,

Amsterdam, 13 juillet 1877.

Tout ce qui tient à l'histoire des martyrs de la foi a droit à l'intérêt des lecteurs du Bulletin. C'est à ce titre que j'ose vous offrir les notes suivantes, que j'ai recueillies, non sans quelque peine, sur un pieux confesseur dont le Bulletin a déjà souvent parlé (t. III, p. 591; t. IV, p. 122, 123; t. VII, p. 433; t. IX, p. 330 et suiv.; t. XVIII, p. 377 et suiv.), et qui pourront servir un jour au savant et courageux rééditeur de la France protestante, pour compléter une biographie que la première édition ne présente qu'avec bien des lacunes. Je veux parler de Pierre de Salve.

Pierre de Salve se trouva parmi la foule des Réfugiés français qui ne firent que traverser Genève et la Suisse, vers la fin de 1685, et qui trouvèrent un asile temporaire dans la ville de Schaffouse. Arrivé là, il désira mettre le sceau à ses études et à sa vocation, en demandant au conseil ecclésiastique de la ville d'être admis au saint ministère, ainsi qu'un autre de ses compagnons. En conséquence, nous voyons paraître, le 28 janvier 1686, devant le conseil des scholarques: M. Etienne Petit, de Saint-Rome de Tarn, en Rouergue, et M. Pierre Salve, de Vergèzes près de Nîmes, pour y être examinés, selon la manière du pays, dans les langues et les diverses branches de la théologie. Étaient aussi présents, entre autres, les pasteurs français Blanc, Sigalon, Astruc, Motthe, Roman, Bonnet, Bamier et Benoît. Le résultat de l'examen fut que Étienne Petit obtint les plus grands éloges et fut admis au saint ministère; mais Pierre Salve fut jugé trop faible (sehr schlecht) et renvoyé « ad melius discendum ».

Malgré cet échec, Pierre de Salve ne se découragea pas. L'énergie de caractère dont les deux fugitifs avaient fait preuve, en se soumettant à un pareil examen au milieu d'un rude voyage, se déploya dans le travail auquel il se livra durant les six semaines qui suivirent, et déjà le 11 mars il put se présenter devant les scholarques pour subir un nouvel examen, qui fut jugé infiniment meilleur que le précédent, et à la suite duquel il fut « agréé et admis au saint ministère (1) ».

Muni de son acte d'admission, Pierre de Salve se rendit en Hollande et assista au synode wallon assemblé à Rotterdam le 24 avril, où il signa, avec 200 autres pasteurs français, les articles de la confession de foi. L'art. 24c des actes de ce synode, après avoir traité une question relative à quatre jeunes pasteurs: Isaac Ledrier; Jean Briffaut, Isaac Molier et Jean Rivasson, qui avaient été examinés et admis au saint ministère au synode de Tonneins, en décembre 1683, et avaient eu charge d'église, mais sans avoir encore reçu l'imposition des mains, — contient ce qui suit : « Et à l'esgard de nostre cher frère monsieur Pierre Salve qui a esté receu au saint ministère à Schaffhausen sans qu'on luy eust assigné de troupeau, la compagnie a considéré que nous avons dans le passé plusieurs personnes pareilles, qui n'ont esté receues parmi nous, que dans le nombre et sur le pié des proposans; mais la conjuncture du triste temps où nous sommes, nous sollicitant plus que jamais à la compassion et à la complaisance chrétienne, et les choses

(1) Cuique suum. Ces renseignements m'ont été procurés, avec une extrême obligeance, par M. le Dr J.-C. Mörikofer, de Zurich, le savant auteur de l'Histoire des réfugiés en Suisse, dont le Bulletin a rendu compte l'année dernière et dont la librairie J. Sandoz, de Neuchâtel, nous promet une traduction française, s'il se trouve un nombre suffisant de souscripteurs qui en encouragent la publication. M. Mörikofer lui-même a reçu ces détails dû savant anthistès de Schaffhouse, M. Mezger, qui n'a épargné ni peine, ni recherches, longtemps sans résultat, et qui a fini par les découvrir dans les protocoles du conseil des scholarques de l'année 1686. Qu'ils reçoivent ici l'expression de ma reconnaissance.

qui ont esté rapportées de sa famille et de sa personne, nous ayant beaucoup édifiés, la compagnie a voulu pour cette fois, et sans conséquence, relâcher de la rigueur de sa précédente conduite, et luy a accordé l'imposition des mains, pour le sceler du sceau accoustumé du saint ministère parmi nous, et mons le Moyne pasteur de Leiden, mons" Piélat modérateur de ce synode, mons de Joncourt qui en est le secrétaire, mons" Carré pasteur de la Haye, et mons Gallé pasteur de Haerlem, ont esté nommés pour imposer les mains aux cinq frères nommez dans cet article, ce qui a esté exécuté en présence du synode et de l'église de Rotterdam le dimanche 28 avril 1686. »

Pierre de Salve paraît s'être retiré alors en Zélande, et y avoir joui de la pension que les états de cette province avaient assignée à douze pasteurs réfugiés. Il y avait, dans la ville d'Aardenbourg, à 7 lieues au sud de Middelbourg, une église où, depuis le commencement du siècle précédent, l'un des pasteurs flamands prêchait de temps en temps en français, pour les Wallons qui s'y étaient autrefois réfugiés. Dès l'année 1685, François de la Resseguerie, auparavant pasteur de Mont-Michel (1), qui s'était réfugié dans cette ville avec sa famille, travailla à réunir en une église distincte les Wallons et les protestants français qui y arrivaient en grand nombre, fuyant la persécution. Ses efforts furent couronnés de succès, et il allait jouir du fruit de son travail, quand la mort vint le surprendre dans l'été. de 1686, le 25 décembre suivant, le collége qualifié élut Pierre de Salve pour remplir la charge de pasteur dans l'église naissante; cette élection. fut confirmée par le synode wallon en avril 1687, et le 11 mai suivant Pierre de Salve fut installé solennellement dans sa charge par le délégué du synode Pierre de Brunville, pasteur à Groede.

La première année de son ministère à Aardenbourg fut extrêmement laborieuse et difficile. Il eut à constituer un consistoire distinct de celui de l'église flamande et à élaborer des règlements qui devaient en déterminer les attributions, marquer les limites qui devaient désormais séparer les deux églises, préciser les affaires qui seraient du ressort de l'un ou de l'autre des deux consistoires. Dans ce travail délicat, il eut des luttes pénibles à soutenir contre son collègue flamand, Pierre du Bois, qui y avait autrefois prêché dans les deux langues et qui prétendait conserver à cause de cela la qualité de pasteur de l'église française et avoir toujours le droit

(1) Je n'ai pas pu découvrir où était cc Mont-Michel. M. Corbière, Hist. de l'Egl. de Montpellier, p. 531, appelle ce pasteur : le sieur Resseguières, ministre de Saint-Naufary, diocèse du bas Montauban. M. C. Rabaud, Hist. du protest. dans l'Albigeois et le Lauragais, p. 406, l'appelle Larresegarie, et l'indique comme député pour le bas Quercy au synode provincial de Saint-Antonin. Quoi qu'il en soit, Jeanne de Faure, veuve de François de la Resseguerie, en son vivant ministre à Aardenbourg, et Françoise de la Resseguerie sa fille, se retirèrent à Amsterdam et sont inscrites dans nos registres le 20 mai 1691.

de prendre part aux affaires de cette église. Il fallut que le synode tenu à la Haye en septembre 1688 s'en occupât: il rendit justice à Pierre de Salve, en le déclarant seul pasteur, conformément à ce qui avait été convenu dès l'origine, et le recommanda comme tel à l'appui du magistrat. Sur ces entrefaites, Pierre de Salve avait eu la joie, le 13 juin 1688, de confirmer dans la charge d'ancien de son église son père, « noble Marc-Antoine de Salve », élu par le collége qualifié le 21 mai précédent. Toutefois, cette joie ne fut pas de longue durée, car, déjà au mois d'octobre suivant, la mort vint enlever ce père à son affection. Dès lors nous ne savons rien de particulier sur le ministère de Pierre de Salve à Aardenbourg, sinon qu'il assista comme député de son église au synode d'Utrecht en avril 1689, et qu'il fut empêché par une indisposition d'assister, le 30 août suivant, synode de Flessingue, où il aurait dù faire le sermon d'ouverture sur le texte I Tim. 1, v. 17.

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Cette indisposition qui empêcha Pierre de Salve d'assister au synode de Flessingue, ne l'arrêta pas dans l'exécution d'un dessein qu'il nourrissait, paraît-il, depuis un certain temps dans son esprit. Le 7 décembre 1689, il demanda à son consistoire « la permission de quitter son église pour quelque temps pour aller terminer quelques affaires importantes. » C'était l'expression reçue, qui est développée dans une assemblée suivante du consistoire, où il est parlé d'« un voyage qu'il a fait en France par un pur mouvement de son zèle, et de l'avis de diverses personnes considérables qui en ont concerté avec lui et qui en ont loué et approuvé son dessein ». Le consistoire lui accorda sa demande « d'autant plus volontiers, est-il dit dans les actes, qu'il laisse à sa place un ministre capable de la remplir et d'en faire toutes les fonctions. » Le zélé missionnaire ne tarda pas à se mettre en route, car le 26 du même mois, le proposant Antoine Coulan est déjà à Aardenbourg pour remplir sa charge. Vers la fin de janvier 1690, le consistoire reçoit avec joie des nouvelles de son pasteur et attend patiemment son retour. On lit dans les actes du 29 janvier : « En attendant l'arrivée de M. de Salve, qui est encore en voyage et qui nous a donné de ses nouvelles, on fera une nouvelle tentative auprès du magistrat pour qu'il permette de faire la collecte pour les pauvres. » Hélas! il ignorait que déjà alors Pierre de Salve avait été arrêté à Paris et enfermé, le 12 de ce mois, au château de Vincennes! (V. Bullet., t. XVIII, p. 378.)

Voilà, monsieur, les quelques notes que je prends la liberté de vous communiquer. Si vous les jugez dignes de figurer dans le Bulletin, j'en serai réjoui, et je serai encouragé à vous adresser bientôt quelques communications intéressantes sur un autre confesseur de la foi, Gabriel Maturin.

En attendant, permettez-moi d'achever ma page en vous communiquant

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