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A partir de ce moment, nous perdons complétement les traces de Jehan, qui vraisemblablement mourut en pays étranger.

Les faits que nous venons d'exposer d'après des documents que nous croyons inédits, ne sont pas ce que l'on appelle de grands faits. Toutefois peut-être ne lira-t-on pas sans quelque intérêt le récit des souffrances d'une famille, dont tous les membres furent successivement voués à la torture, à la prison, à l'exil ou à la mort. CH. PAILLARD.

VARIÉTÉS

FONDATION DE L'ÉGLISE RÉFORMÉE FRANÇAISE

DE MULHOUSE.

A M. le Rédacteur du Bulletin.

Paris, le 4 juillet 1877.

Permettez-moi de vous adresser la petite notice suivante sur la fondation de l'église réformée française de Mulhouse, ainsi qu'nne copie du tableau commémoratif de ce fait, tout à l'honneur des réfugiés français.

Veuillez agréer l'assurance de toute ma considération.

Charles THIERRY-MIEG.

Mulhouse, petite république enclavée dans le territoire de l'Alsace, mais alliée des Cantons suisses, adopta de bonne heure la réformation. Dès 1523 nous voyons ses magistrats permettre la libre prédication de l'Évangile en langue vulgaire. En 1526 ils envoient au colloque de Baden en Suisse des délégués qui se rangent du côté d'Ecolampade; et à leur retour on fait un nouveau pas vers la réforme. Enfin, à la suite du colloque de Berne en 1528, la ville se rallia définitivement aux doctrines nouvelles. Ce ne fut pas toutefois sans péril : elle perdit ses alliés catholiques, et son existence nationale courut plus d'un danger. Car dans presque toutes les autres villes de la haute Alsace le catholicisme était resté dominant, et c'était tout au plus si le nouveau culte était toléré; d'ailleurs la réforme y étant venue de Strasbourg, elle y avait pris la forme luthérienne, tandis

qu'à Mulhouse, par suite de son origine suisse, elle se rattacha à Zwingle et Calvin. Mulhouse ne tarda pas à devenir, comme Bâle, une ville de refuge pour les protestants des territoires environnants. Il s'y fixa aussi bon nombre de familles de langue française, venant soit de la Suisse, soit du pays de Montbéliard ou de la Lorraine. Cette petite congrégation n'eut cependant pas, dans l'origine, de pasteur ni de culte spécial, jusqu'au milieu du XVIIe siècle.

A cette époque un gentilhomme réformé français, Constantin de Rocbine ou (Roquebine), seigneur de Saint-Germain, quitta Paris avec sa femme, Charlotte des Francs, pour fixer sa résidence dans le château d'Holée, près de Bâle. Il y séjourna peu de temps, et ses préférences ne tardèrent pas à l'attirer vers Illzach, puis vers Mulhouse. En août 1661, il se présentà devant le conseil de cette ville, et sollicita la permission d'y résider, en offrant d'y entretenir à ses frais un pasteur français. Pareille demande avait été faite déjà par la duchesse de Monbéliard, née Châtillon, et elle répondait aux désirs des officiers réformés de la forteresse de Brisach, ainsi que des familles françaises de Mulhouse. Le conseil accepta donc volontiers cette proposition, et destina au nouveau culte le choeur de l'église des cordeliers. Il y fut continué sans interruption jusqu'au commencement de ce siècle, où l'église fut rendue aux catholiques. On le transféra alors dans l'église Saint-Etienne jusqu'à la construction d'un nouveau temple spécial qui eut lieu peu de temps après. La mort ne tarda pas à enlever les deux vénérables fondateurs du service français. Ils furent enterrés dans leur église, et un tableau en bois noir d'environ 1 mètre de largeur sur 2 mètres de hauteur, consacre leur souvenir; le mausolée, qui a été transféré en 1837 dans le nouveau temple est surmonté des armoiries sculptées et peintes des époux réfugiés, et contient en lettres d'or l'inscription suivante:

« Cy-gisent Constantin de Rocbine, seigneur de Saint-Germain, né à Provins, capitaine au service des rois de France Henri IV et Louis XIII, avec sa femme Charlotte des Francs, lesquels ayant choisi cette ville pour leur dernière habitation, ont fait prècher ici les premiers la parole de Dieu en langue française, l'an 1661, et légué une bonne partie de leurs biens à ce que le magistrat avait ordonné pour la continuation. Ils rendirent leurs âmes à Dieu, le mari à l'âge de quatre-vingt-dix ans, l'an 1665, et la femme l'an 1666. »

Au dessous de l'inscription ci-dessus, viennent se placer les quatre vers suivants :

Quid juvat in terris et honor et splendor, et ætas
Longa, ubi nulla sedes firma, nec ulla quies?
Vis sapere hic, qui me jam contemplare sepultum?
Despice regna soli, suspice regna poli.

MDCLXV.

Le seigneur de Rocbine avait consacré un capital de 1800 florins à l'entretien du pasteur. La ville y ajouta 1000 florins, ainsi qu'un revenu en nature (denrées et vins) et une habitation. D'autres bénéfices vinrent peu à peu s'y joindre, et ne tardèrent pas à produire 6000 livres pour le pasteur et 3500 pour les pauvres de la paroisse.

Pendant les années 1675 à 1679, des officiers réformés du régiment de Turenne, venus du midi de la France et faisant partie des garnisons de Colmar, Altkirch, Ferrette, Massevaux, Brisach, etc., vinrent régulièrement à Mulhouse à Pâques pour participer à la sainte Cène. Leurs noms sont inscrits dans les registres de l'église française.

Bientôt vint la révocation de l'édit de Nantes, de nombreux réfugiés passèrent par Mulhouse, heureux d'y trouver leur culte libre et prospère. Les magistrats les entretenaient en attendant qu'ils pussent gagner de nuit Bâle où ils étaient plus en sûreté; car Mulhouse, quoique ville libre alliée des Suisses, était enclavée dans l'Alsace, et par conséquent entourée de toutes parts des autorités françaises qui mettaient à mort ou envoyaient aux galères les fugitifs, et même leurs guides, dès qu'ils parvenaient à les surprendre.

Voici les noms des premiers pasteurs de l'église française de Mulhouse.

Benjamin Mimard, d'Yverdon...

Nicolas Chambrier, aussi de la Suisse française... 1663

J.-Jacques Faber, de Bâle....

Gabriel Guerre, de Saint-Imier.
Josué Robert, de Neuchâtel.
Gabriel Guerre le jeune..
Lucas Wurtz, de Bâle..

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1667

1667

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1674

1679

1679

1699

1700

1700

1710

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Nous empruntons à un ouvrage récent qui touche de trop près aux controverses de la théologie contemporaine pour que nous puissions l'apprécier dans le Bulletin, quelques pages sur l'enfance du célèbre professeur Daniel Encontre, mort comme on sait, en 1818, à peine àgé de cinquante-six ans. Le Désert, qui rappelle tant de tragiques souvenirs, a eu aussi ses idylles. En voici une dont on ne contestera ni la fraîcheur ni la grâce naïve :

II Y a une cinquantaine d'années que vivait encore dans la Gardonenque un être singulièrement remarquable par sa piété et par la protection particulière dont la Providence ne cessa pas de l'honorer pendant le cours de sa longue carrière. Cet homme, convaincu par son propre cœur que tous les hommes étaient ses frères, les aimait tous comme tels. Et réciproquement, toutes les personnes de sa connaissance ne doutant pas d'avoir en lui un véritable frère, il en résulta que savants et ignorants, riches et pauvres, protestants et catholiques, s'accordèrent à l'appeler Frère Pinet.

Frère Pinet n'a jamais connu ni son père ni sa mère; on le trouva tout petit égaré dans les champs, et il ne sut dire autre chose sinon qu'il s'appelait Pinet. Les perquisitions, probablement très-inexactes faites par le bailli, n'en apprirent pas davantage. Quelques personnes charitables eurent soin du pauvre petit malheureux. Mais il eut bientôt la consolation de se rendre utile à ses bienfaiteurs; il demanda qu'on lui permît d'aller garder les dindons, et s'acquitta de cet office avec tant de diligence et de bonheur que jamais on n'eut occasion de lui faire le moindre reproche. Il fut bientôt assez fort pour garder les moutons, et tandis que les autres bergers étaient assaillis par les loups, ou faisaient aux propriétaires fonciers des dommages qui occasionnaient à leurs maîtres des procès souvent ruineux, le frère Pinet menait et ramenait son troupeau sans éprouver jamais la moindre mésaventure. On raconte même à ce sujet des choses singulières qui ont l'air d'être un peu fabuleuses et que je crois devoir supprimer.

Devenu plus fort frère Pinet entra comme valet chez un menuisier de Boucoiran, qui avait la crainte de Dieu. Cet homme, touché de la piété simple et sincère de son jeune domestique, de son activité, de sa prévenance et de l'extrême douceur de son caractère, lui offrit de lui-même sa fille en mariage. Le frère Pinet ne put qu'accepter avec reconnaissance un parti qui était bien au-dessus de tout ce qu'il pou

vait raisonnablement espérer. Son épouse lui apporta une dot qui s'élevait à environ cinq cent francs. Le frère Pinet crut devoir et pouvoir en faire usage pour se procurer l'aisance et la liberté; moyennant une petite redevance envers le seigneur, il acquit un terrain inculte qu'il défricha et où il bâtit une petite maison. Elle est située sur la route qui va de Brignon à Uzès. Le frère Pinet, après s'y être établi, ne la quitta plus, et ses cendres reposent dans le terrain environ

nant.

Tant que vécut cet homme singulier, ses champs furent tous les ans couverts des plus abondantes récoltes. Ses arbres furent chargés des plus beaux fruits, sa volaille et son troupeau multiplièrent audelà de ses désirs, malgré les brèches énormes qu'il y faisait quelquefois lui-même. Il tenait en quelque sorte table ouverte. Tous les voyageurs, de quelque condition, de quelque religion qu'ils fussent, étaient indifféremment invités à se rafraîchir chez lui. Le tonneau de bon vin était toujours en permanence. L'excellent pain ne manquait jamais, et lorsqu'il avait le bonheur de recevoir quelque ministre de l'Evangile, quelque personnage recommandable par des services importants rendus à l'Eglise, il n'épargnait plus rien. Les agneaux les plus tendres, les chapons les plus gras tombaient sous sa main. La table était servie avec une abondance qui tenait de la profusion, et c'est le seul reproche qu'on ait jamais eu occasion de lui faire.

J'ai été baptisé chez le frère Pinet, qui, à ce qu'on m'a raconté depuis, donna dans cette circonstance une fète vraiment magnifique. Je fus nourri dans un hameau des environs. Mon père et ma mère, obligés d'aller s'établir à Montpellier, me recommandèrent tout spécialement au frère Pinet. Cet homme bienfaisant venait me voir régulièrement deux fois par semaine, quoiqu'il eût déjà soixante et dix ans, et que le trajet fut long et difficile. Du reste, il ne venait jamais les mains vides. Toujours quelque friandise pour moi et quelque chose d'un peu plus considérable pour ma nourrice.

L'extrême bonté de frère Pinet ne peut être comparée qu'à son extrême bonheur. Tout prospéra sous sa main. Il n'eut jamais de dispute, jamais de procès, et dans le temps que les lois ordonnaient de raser toutes maisons où il serait prouvé qu'on aurait reçu un ministre de l'Évangile, ce que MM. les subdélégués exécutaient avec une extrême rigueur, il ne cessa pas de loger les ministres chez lui, et il ne fut jamais inquiété.

J'avais environ dix ans quand le frère Pinet mourut sans agonie, ou plutôt qu'il cessa de vivre dans ce monde pour vivre dans un monde meilleur; mais je n'avais guère que six à sept ans la dernière fois que je le vis. Je me rappelle encore tous ses traits : sa taille était petite, son regard extrêmement vif. La bonté semblait peinte sur son visage; jamais physionomie ne fut plus douce, plus propre à inspirer la confiance et l'amitié. Il était toujours habillé de gris. Son habit était remarquable par deux immenses poches qu'il remplissait de noix, d'amandes, de châtaignes, de raisins secs pour donner aux enfants de ses amis. Il paraît avoir partagé tout son temps entre le travail, la prière et les actes de bienfaisance. Je ne me souviens pas de lui avoir jamais entendu dire un mot de français, excepté lorsqu'il récitait les psaumes, les cantiques et les prières de l'Eglise qu'il

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