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ÉPITRE CONSOLATOIRE DE TH. DE BÈZE

A L'AMIRAL COLIGNY SUR LA MORT DE SA FEMME CHARLOTTE DE LAVAL. 27 juin 1568.

Les lecteurs du Bulletin sauront gré à M. le comte Jules Delaborde d'avoir bien voulu détacher de son riche dossier, pour la leur offrir, la lettre suivante, qui trouvera son introduction naturelle dans un fragment de la biographie de l'amiral :

« Durant qu'il était occupé au siége de Chartres, sa femme qui dès le commencement s'était retirée à Orléans avec ses enfants y mourut de maladie (3 mars 1568). De laquelle étant averti, soudain il partit du camp, et emmena tous les médecins qu'il put, qui lui vint rendre toute l'assistance d'un affectionné et fidèle mary; mais voyant que tous les remèdes et l'art de la médecine cédoient à la force du mal, après avoir recommandé son âme à Dieu, il se retira en sa chambre, où plusieurs de ses amis le suivirent pour le consoler. Alors il se prit à dire avec larmes et soupirs, comme la plupart s'en peuvent souvenir : « Mon Dieu, que t'ai-je fait ? Quel péché › ai-je commis pour être si rudement châtié et accablé de tant de maux? » A la mienne volonté que je puisse vivre plus saintement et donner un > meilleur exemple de piété! Père très-saint, regarde-moi, s'il te plaît, en > tes miséricordes, et allége mes peines. » Puis s'étant relevé par les chrétiennes exhortations de ses amis, il se fit amener ses enfants, et leur représenta qu'une si grande perte que celle de leur mère leur devait enseigner qu'il ne leur restait plus d'appui en ce monde; que les maisons et châteaux, quoique bien fortifiés et somptueux, ne nous avaient point été donnés pour une demeure et possession perpétuelle, mais comme une hôtellerie et par emprunt; enfin que toutes choses humaines étaient périssables et caduques, hors la miséricorde d'un seul Dieu, à laquelle se remettant et rejetant tout autre aide humaine, ils ne devaient point doubter de l'y trouver.

» Le lendemain il fit venir leur précepteur, nommé Gresle, et lui dit qu'il lui falloit retourner à l'armée, ne sachant pas ce qui lui pourrait arriver, et le pria d'avoir soin de ses enfants, et de les instruire, comme il lui avait souvent commandé, en toute piété et bonnes sciences.

» Or cette dame, selon que nous avons monstré ci-dessus, avoit toujours

été fort adonnée à la religion, et d'une souveraine constance à supporter les afflictions de son mari et les siennes; ayant, comme plusieurs assurent, religieusement observé la promesse qu'elle avait faite à son mari de faire profession de la religion. Entre les autres vertus et dons de l'esprit qui la rendirent recommandable, le soin qu'elle prenoit des pauvres et des malades et ses aumônes lui donnèrent une singulière louange, et les médecins eurent opinion que son mal lui vint en grande partie de l'infection des soldats malades et blessés qui étoient dans Orléans et que sans cesse elle visitait.» (La Vie de Gaspard de Coligny, seigneur de Châtillon, etc. Dresde, 1783, p. 62, 65.)

A M. l'amiral de Coligny.

Genève, 27 juin 1568.

Monseigneur, il s'en fault beaucoup que l'estat auquel il plaist à Dieu que je sois maintenant et de corps et d'esprit me permecte de faire mon debvoir pour vous soulager en une telle et si grande affliction, combien qu'encores que je fusse aussy bien dispos que je fus oncques et de l'un et de l'aultre, je m'y trouverois bien empesché, comme celuy qui ay bonne part avec toute l'Église de Dieu à une telle perte, et pour mesme raison je ay bien besoin de chercher pour moy ce que je vouldrois vous départir. Mais je scay que, graces au Seigneur, il seroit malaisé de vous enseigner remède que Dieu ne vous ayt desjà appris, tellement qu'il ne reste (?) que ce seul point. d'attendre en patience qu'en les applicquant vous en sentiez la vertu, comme il est certain qu'à la fin vous l'appercevrez, suyvant ce que le Véritable a promis, à savoir qu'il ne permettra que l'épreuve surmonte la force qu'il nous donne. L'infirmité que vous sentez non seulement ne vous doibt effrayer, mais au contraire vous doibt asseurer de la victoire, daultant que c'est le vray et ordinaire moyen duquel Dieu se sert pour consommer la vertu qu'il donne aux siens, affin que nous ayant fait sentir qui nous sommes en nous nous soyons d'aultant plus ardants de chercher nostre force en celuy qui la donne, et finalement qu'après avoir vaincu nous en donnions l'honneur entier à celuy auquel il appartient.

Je vous supplie donc seulement de ce point pour le présent, et ce d'aultant plus que je scay que de vostre naturel vous estes pensif et solitaire, que vous fuyez tous moyens de nourrir vostre mal, non point en vous divertissant de ce que Dieu veult bien que sentíez et

considériez à bon escient, mais en oyant très souvent et volontiers ceulx en l'esprit et en la bouche desquels Dieu a mis les remèdes qui vous sont nécessaires; et puis aussy arrestant plus tost vostre pensée à considérer ceste tant juste et bonne Providence de Dieu reluisant surtout en la conduitte et au soin paternel qu'il a de ses enfans, comme vous en avez mille expériences particulières, qu'à méditer la perte que vous avez faicte ny ce qui en despend.

Si depuis que vous avez embrassé la querelle du Seigneur, mille afflictions vous sont survenues, ne vous esbahissez pas, mais vous souvienne qu'il fault que les membres soyent faicts conformes au chef. Si en la première guerre vous avez perdu vostre fils aisné, en la seconde celle que vous aimiez comme vous-mesmes, et le tout comme si Dieu luy-mesme vous faisoit la guerre, souvenez-vous qu'Abram a bien perdu son père, Jacob a bien perdu sa femme bien aymée, en suyvant le Seigneur comme pas à pas. Tels événements doncques ne sont pas arguments nécessaires de l'ire de Dieu contre nous, combien que ne puissions faillir de nous humilier et de chercher la raison de nos afflictions en nous mesmes, mais sont aultant d'espreuves pour nous apprendre à nous congnoistre, afin aussy que le Seigneur soit glorifié par la force qu'il nous donne.

Monseigneur, pour tesmoignage que je n'ay si longtemps différé à faire mon debvoir ni par ingratitude, ni pour ne sentir ma part de vostre affliction, j'ay bien voulu vous envoyer le commencement de lettres qu'il ne me fut jamais possible d'achever, pour ce que ma dernière maladie, qui m'a grandement pressé depuis Pasques jusques à la Pentecoste, m'avoit mesme osté l'usage de la voix, et d'aultre part tellement débilité et d'esprit et de corps que j'ay souvent pensé que l'heure de mon département estoit venue. Or maintenant ayant pleu à Dieu de commencer à me rendre ma santé, et m'asseurant que le Seigneur vous aura cependant fortifié grandement, au lieu de poursuivre cet argument qui seroit plus tost pour renouveler la playe que pour achever de la consolider, je loueray Dieu de la grace qu'il vous a faitte de ne succomber à une telle et si grande affliction, et plus tost d'y proffiter comme je l'ay congneu dès la première lettre qu'il vous a pleu m'en escrire, à laquelle vous avez adjousté de vostre main que par cela le Seigneur vous advertissoit de vous desdier du tout à Luy mieux que jamais, parole pour certain venant de Dieu et digne de vous, Monseigneur, qui estes du petit nombre de

A

ceux auxquels je puis appliquer ceste tant belle et précieuse sentence de l'apostre, à savoir qu'il vous a esté donné non seulement de croire au Seigneur, mais aussy d'estre affligé pour luy. Car la mort (ou plus tost l'heureux repos de feu madame vostre bonne partie) est tellement advenue selon le cours de nature, tel qu'il a plu à Dieu l'ordonner, que cependant nul n'ignore que l'estat présent de l'Église du Seigneur qu'elle a tousjours aymée sur toutes choses, et ce qu'elle prévoyoit estre prochain à icelle, ne luy ayent grandement advancé ses jours, oultre la peine qu'elle prenoit et de corps et d'affection entière pour servir les pauvres et navrés ou aultrement affligés pour la querelle du Seigneur.

Et je ne doubte point aussy que cela, entr'autres choses, n'aye beaucoup servy et serve encore désormais à vous consoler et fortifier contre plusieurs pensées diverses que je me suis vivement forgées, pensant à ce que vous pouviez penser. Mais oultre tout cela, puisque la vraye amitié porte qu'on s'oublie soy mesme pour ce qu'on ayme, voyant le paouvre et calamiteux estat présent, et prévoyant tout clèrement les misères certaines qui suivront les présentes, je m'asseure que vous avez conclu comme moy qu'il y a sans comparaison trop meilleure occasion de s'esjouyr de ce que le Seigneur l'a retirée à point, que de lamenter le dommage que vous en avez reçeu, pour ce que en ce faisant, se seroit monstrer que durant sa compagnie vous vous seriez aymé vous-mesme, et non pas elle, ce que je m'asseure estre esloigné de vostre intention, hormis qu'il ne se peult faire que le trésor (?) que vous avez perdu ne vous face regretter ce que vous aviez et dont vous appercevez de plus en plus la nécessité. Mais le souverain remède est celuy que vous avez pris, à savoir la puissance, la sagesse, la bonne volonté du Seigneur : la puissance pour vous asseurer que nul moyen ne luy défaut; la sagesse pour bien recongnoistre qu'il scayt trop mieux sans comparaison que vous mesme ce qui vous est bon et aux vostres; la bonne volonté pour vous résouldre à ceste tant ferme et certaine conclusion qui est propre aux esleus de Dieu, à savoir que celuy qui nous a choisis par son conseil éternel et immuable (dont nostre vocation nous est un témoignage infaillible résonnant en nos aureilles par la prédication de sa parolle accompagnée de ses sacremens, et en nos esprits par son Sainct-Esprit), ainsi comme il peut tout, ne veult rien aussy et par conséquent ne fait rien que pour le salut des siens.

Ceste consolation, Monseigneur, vous est nécessaire non-seulement pour ce coup, mais aussy pour toutes les difficultés tant grandes et terribles qui se présentent et que j'estime de ma part inévitables, veu le pauvre et très mauvais gouvernement de plusieurs qui ont fait grand tort à une si juste cause et à ceux qui les y ont employés. Car cest ordre est mesme convenable à nature que chascun moissonne de mesme qu'il a semé. Cependant le dernier événement monstre que la vérité et la bonne conscience tiennent de la nature du liége, en ce qu'estant mesmes abysmées jusques au fond, elles reviennent au dessus en leur temps et saison.

Pour la fin de ce propos, lequel j'ay estendu plus loin que je ne pensoys (ce que je vous supplie me pardonner), il vous plaira recevoir pour gage et tesmoignage de mon debvoir quelques vers latins que j'ay dressé sur ce mesme subject et bastis le moins mal que j'ay pu, comme aussy autrefois, estant requis par feu madame de Caen, j'escrivis les vers françoys sur le trespas de feu madame la maréchalle (1), que j'ay veus depuis en vostre chapelle de Chastillon, ne sachant pour lors ce grand heur que Dieu m'avoit apresté de vous veoir et faire service de plus près.

Au reste, quant à nostre estat de deça, combien que Son Altesse (2) n'ayt encore rien respondu sur l'arbitrage de messieurs des Ligues, de sorte que de ce costé nous sommes tousjours en suspens, toutes fois nous allons (graces à Dieu) nostre train accoustumé en bonne paix, n'estoit que le Seigneur a commencé à nous visiter de peste depuis environ sept semaines; et combien que ce soit en toute doulceur et qu'on y mette tout l'ordre qu'il est possible, și est ce qu'il y a apparence que nous aurons des verges. Mais estant entre les mains d'un si bon Père, nous vous asseurons que tout ira bien et par mesure.

Quant à mon particulier, Dieu m'a rendu santé et force pour me remettre à faire ce que je puis par une singulière grâce pour autant de temps qu'il luy plaira mettre en œuvre son pauvre et inutile serviteur, remettant le surplus au présent porteur qui m'a promis, allant à ses affaires, vous rendre les présentes et faire plus ample rapport de nos nouvelles de deça.

(1) Louise de Montmorency, veuve du maréchal de Châtillon, et mère de l'amiral Coligny, morte le 12 juin 1547, dans les sentiments de la plus vive piété. (2) Le duc de Savoie, Emmanuel-Philibert, toujours en guerre plus ou moins ouverte avec les Genevois.

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