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cembre pour les conduire au parlement de Lijon; mais quatre en furent retirés tout près par un ordre qui arriva de M. l'intendant du Languedoc. Les autres trente arrivèrent à Dijon le dimanche 29 du dit mois. On les enferma dans les prisons de la Conciergerie où ils ne furent pas trop mal. Ils y en trouvèrent d'autres en bon nombre, des quels étoit le s Pierre Durand de la Salle en Cévennes, qui y fut condamné aux galères t conduit pour cet effet à Marseille, où il a été cruellement traité pour ne vouloir pas assister à la messe qu'on célébroit dans la galère, et ensuite transporté à l'Amérique où il est heurensement tombé entre les mains d'un sien ami du Languedoc marchand à la Martinique qui l'a gardé chez lui (1) jusqu'à ce qu'il a pu passer dans une île des Hollandais, où il a bientôt après heureusement fini sa course et sa vie entre les mains d'un ministre de la Lorraine qui y avoit été transporté pour le même sujet, et qui y avoit épousé da dule Guérin de Sodorgues près de la Salle.

Dans cette prison de Dijon on y faisoit la prière en commun deux ou trois fois par jour, l'on y lisoit la Parole de Dieu, l'on y chantoit des psaumes; on s'y exerçoit à la persévérance; on y recevoit beaucoup de charités des frères des environs, même de bien loin, et des catholiques mêmes. Madule de la Croix, de Châlons sur Saône, dont la mémoire mérite de vivre dans les siècles à venir, s'est absentée de sa maison et de sa famille pendant plusieurs mois pour rendre service aux pauvres prisonniers de Jésus-Christ, à quoi elle a heureusement réussi par des moyens qu'on ne doit pas divulguer. Dieu lui en soit le rémunérateur! Cette prison n'a pas été peu utile à ceux qui en ont voulu bien user. Notre Jeanne n'y demeura pas oisive, soit à l'égard du corps, soit à l'égard de l'âme. Elle s'y occupa à des choses honnêtes à son sexe, comme à la dentelle au poind, à la tapisserie, témoin une belle ABC en soie rouge qu'elle en apporta avec les deux lettres de son nom et surnoms, qui a été donné dule Anne-Marie Lombardet, et une belle dentelle de tissu vendue à Mme sa mère (2).

Enfin le Parlement ayant fait monter notre Jeanne, de Olimpe Fillion et Suzon Lambert, M. le président Jacob les ayant interrogées, questionnées et menacées, si elles ne changeoient de sentiment, et ne pouvant pas les intimider, les condamna à être

(1) En marge: M. Tendon de Montpellier qui avoit été en pension chez lui. (2) En marge: elle l'avoit appris de la dle Jeanne Gruas de Montélimar.

razées par la main du bourreau (ce qu'ayant entendu notre Jeanne, elle se décoiffa promptement pour être rasée, mais on ne l'exécuta pourtant pas) et à être renfermées à perpétuité dans l'hôpital de la ville. On les y conduisit le lundi 3 mars 1687, où elles trouvèrent autres neufs sœurs au Seigneur de divers endroits, qui y avoient été déjà jugées, sçavoir dules Marie Caussard parisienne; de Jeanne et Marie Lopin, germaines de Mirabeau, Marie Sabourin de Saint-Ambroix en Languedoc pour les premières, qui avoient été accompagnées depuis quelques jours de ces cinq amenées de Bellay avec notre Jeanne, et jugées environ un mois devant, scavoir dame Jeanne, femme à Mr Trouchaud de Montpellier, qu'elle a appris de tous ses enfants à Genève être mort chez lui pendant qu'elle étoit en prison; dle Jeanne Gruas, âgée d'environ dix-huit ans, fille unique à Mr Gruas, appoticaine de Montélimar, Marie Gubert de Montpélier, qui se sauva avec Suzon Lambert, environ huit jours après l'arrivée de nos trois; Isabeau Ollier et Marie Lombard, toutes d'eux d'Annonay, auyquelles neuf furent donc jointes le 3 mars: la dito Suzanne Lambert, de Olimpe Fillion, fille à M. Fillion appoticaire d'Aimargues en Languedoc, notre Jeanne Faisses.

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Quinze jours après furent jointes à ces douze deux soeurs, Marie et Louise Belloeil de Barjac en Languedoc: Louise mourut dans la persévérance. Quelque temps après y arriva Fleurie Ganeyron du côté de Chalençon en Vivarais, compagne de lit de notre Jeanne. Elle y mourut dans la persévérance vers le mois de novembre suivant. Le lendemain arrivèrent encore à leur chambre ces trois, Sara Vieux du Dauphiné, qui ayant été descendue dans la chambre des malades, s'enfuit, fut rattrapée, maltraitée etremontée à la chambre des.soeurs; Esther et Isabeau Chessier de Baume en Dauphinè. La pauvre Isabeau étant analade fut descendue à la chambre des malades et séparée pour jamais de sa pauvre [sour] qui fendoit l'air de cris. Elle y fut séduite malheureusement, et pendant 4 ou 5 mois elle souffrit de maux incroyables. La gangrène enfin se mit à son corps, et on la découpa plusieurs fois avant que mourir. A ces 18 furent jointes Marie Marcheval et Marie Guelie, de Tonneins en Guienne; ensuite dame Jonquète de Nimes, dont le mari est mort en galère pour la Religion; Claudine et Anne Marnay sœurs, de Bussi en Bourgogne, Marie Liamante du dit Bussi, Judith Crapois, et sa belle-[sour] Crapois, avec deux de ses enfans qu'on arrêta en bas avec leur mère, à la chambre des enfans.

Ces vingt-cinq filles ou femmes furent donc mises dans une chambre en haut de l'hôpital. On l'avoit parée toute de neuf pour cet usage de quatorze lits tout neufs et des utencilles pour les repas. Elles étoient sous l'inspection d'une religieuse qu'on nommoit la sœur La Fayole, parisienne fort honnête et d'assez bon naturel. Elle y demeura seule jusqu'à ce que deux de nos captives se furent sauvées pendant qu'elle étoit à la messe, ce qui fit qu'on lui adjoignit la sœur Oléon de ..., d'une humeur fort opposée aux pauvres prisonnières, faisant tout le contraire de ce qui pouvoit leur être à quelque consolation, si bien qu'à fin que notre Jeanne ne put fortifier sa compagne ou se consoler ensemble, on l'a toujours faite coucher seule depuis la mort de sa compagne Fleurie, les ayant pour toujours séparées de sa chère Olimpe que l'on donna pour compagne à la jeune Gruas, qu'elle assista et consola pendant sa maladie. La fièvre tierce qui la tint environ quatre mois lui causa un étrange flux de ventre 'qui l'emmena. Sa chère compagne Olimpe la voyant hors d'espérance la consoloit de tout son pouvoir, prioit doucement pour elle pour n'être entendue des religieuses, lui lisoit des chapitres et des psaumes. [Elle] lui demanda un jour si elle n'étoit pas bien disposée à la mort, si elle ne regrettoit pas son père et sa mère, et ses frères, qu'elle lui avoit dit aimer beaucoup. Elle lui répondit qu'elle n'avoit pas de plus grand regret que de ne pouvoir pas voir un ministre pour se réconciller, et recevoir l'assurance du pardon du péché qu'elle avoit commis en promettant à Bellay de faire abjuration, ce qu'elle n'avoit pas pourtant, gràce à Dieu, exécuté; qu'après cela elle mourroit contente. Elle se reprochoit de n'avoir pas mieux employé sa jeunesse, ce qui lui causoit beaucoup de déplaisir et de larmes, se déplaisant de n'en pouvoir pas assez répandre. Que je suis malheureuse, disoit-elle, de ne pouvoir pas pleurer mes péchés! Elle la pria de lui dire souvent Tourne à mon tourment ta face, voi ma peine et mon soucy et tous mes péchés efface — qui sont cause de cecy; de lui dire encore souvent la prière à la Sainte-Trinité ; O glorieux Créateur! o benin Rédempteur! o Éternel Consolateur! Elle s'efforçoit de lui témoigner plus de force qu'elle n'en avoit en effet, afin de n'être pas emportée à la chambre des malades, et séparée pour jamais de ses chères sœurs. La bonne Olimpe cachoit ses infirmités aux religieuses. [Elle] la conseilla que si on l'emportoit elle devoit faire la sourde et la muette pour n'être point tentée, ce qu'elle fit. Enfin la œur Oléon l'emporta un soir au grand regret de toute la chambrée,

et l'après demain matin on l'enterra dans un pré au bord de l'eau (signe qu'elle n'avoit pas voulu succomber à la tentation), ce que les pauvres prisonnières virent de leur fenêtre et en rendirent grâces à Dicu. Elle avoit été arrêtée dans le mois d'aout, au lieu de Rossillon, et conduite à Bellay, où ayant appris qu'à Nantua il y avoit une prisonnière, fille d'appoticaire comme elle, qui étoit la sœur Olimpe, elle l'aimoit déjà sans l'avoir encore vue, et quand elle y fut arrivée, lui voua son amitié qui n'a fini que par la mort qui termina tous ses combats et couronna son heureuse persévérance.

Dans cette détention, chacune vaqua de son mieux à son salut, et parmi les occupations qu'on leur donnoit, elles ont toujours lu la Parole de Dieu et chanté les psaumes, jusques là que la sœur La Fayole en apprenoit quelques couplets par cœur. Elles y ont eu plusieurs conférences avec divers Ecclésiastiques, Prêtres, Abbès, Missionnaires, Capucins, Doctrinaires, Jésuites, etc. Toutes y ont fait leur devoir, mais de leur aveu, les sœurs Marie Cossard, Jeanne Lopin et Jeanne Faisses, y ont soutenu hautement et clairement l'intérèt de la vérité. L'on peut dire que Dieu a parlé par elles devant les adversaires de la vérité, comme il avoit eu la bonté de parler par elles devant les magistras subalternes et souverains, à la face d'un Parlement qui, dans des autres occasions, auroit fait trembler des hommes les plus assurés. Dieu avoit voulu mettre les trésors ‚en des-vaisseaux de terre, afin que l'excellence de cette force ne ful pas des hommes ou des filles, mais de Dieu (II Cor., 4, 7). La modestie de notre Jeanne ne lui a pas permis de dire un mot à sa louange; mais sa chère Olimpe, qui l'a servie jusqu'à sa mort, nous a dit que parce que la plus part des prisonnières étoient volontiers près d'elle et lui demandoient ses sentiments, les Religieuses et les Ecclésiastiques la nommoient la conseillère, la ministre, etc.: et qu'un Ecclésiastique sortant un jour d'une conversation avec elle, dit aux Religieuses qu'il y avoit du plaisir de raisonner avec elle, et qu'elle parloit assez bien de la Religion.

De ces vingt-cinq prisonnières, il n'y en eut pas une qui n'y fut malade; il y en mourut quatre, et d'autres y prirent leur mort, comme celle dont nous parlons. Il est vray que depuis une maladie qu'elle avoit eu, il y a environ huit ans, elle n'a jamais été comme ci-devant. Mais elle fut attaquée dans sa détention, au mois d'août dernier, par une fièvre tierce qui dégénéra en fièvre chaude, et comme elle sa

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voit qu'on descendoit en bas les moribondes, les séparant de leurs chères compagnes, elle se donna tant de frayeur; craignant d'y être emportée, tentée et séduite, qu'elle en tomba dans une étrange rêverie qui la mit dans un état à ne connoître ni les autres, ni soimême. Elle d'emura ainsi trois ou quatre jours, les jambes glacées et sans parler. Dieu voulut pourtant que les médecins ne jugèrent sa maladie mortelle, et aimsi on ne la descendit pas par bonheur. Elle rêvoit et se plaignoit à son: Olimpe de ce qu'elle ne pouvoit pas verser des larmes. Et en touchant ses yeux, hélas, disoit elle, que je suis sèche de pleur et infirme! Je ne puis pas pleurer! Elle traîna cette maladie dans le mois de septembre, et ensuite elle eut trois aczès de fièvre dans le carême au mois de février. On la: saigna au. dernier, mais on n'y prit pas d'autre soin, si bien que par ce moyen ou à cause de ses indispositions précédentes, ou plutôt par la Providence divine qui vouloit finir ses tourments avec sa vie, il se forma dans son corps une phthisie mêlée d'une hydropisie: qui l'ont enfin conduite au tombeau. Elle disoit souvent que si. Dieu lui faisoit la grâce de sortir de captivité et de revoir ses frères, apres cela elle mourroit contente. Le bon Dieu l'a exaucée en ses grandes compassions, et l'a heureusement menée entre les bras de son frère pour y bientôt finir sa languissante vie.

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Car parce que ce Dieu confond les sages dans leurs ruses, et que ses pensées ne sont pas nos pensées, ses arrêts éternels s'opposant aux injustes arrêts des hommes mortels qui l'avoient condamnée à une prison perpétuelle, terminèrent cette perpétuité à treize mois et demy, car elle fut renfermée le lundi troisième mars 1687, et sortit le lundi de Pâques 19 avril 1688, que par la déclaration du roy, toutes les personnes détenues qui n'auroient pas fait abjuration furent: libérées. Le dimanche de Pâques au soir on ordonna à toutes ces pauvres captives de faire leur paquet sans leur dire pourquoi, ce qui leur fit croire qu'on les alloit transporter à une nouvelle captivité, comme à la Rapine de Valence ou à l'Amérique, dont on les avoit souvent menacées et à quoi Dieu leur fit la grâce de se résoudre. Le lundi matin, le lieutenant de la Prévoté fut dans leur chambre et appela par leur nom l'une après l'autre celles qui n'avoient point abjuré; ce que voyant les huit autres chères sœurs qui avoient eu le malheur de le faire, mais dont elles s'étoient rétractées en plein Parlement, et qui n'avoient fait aucune fonction de l'autre Religion, versèrent un

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