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torrent de larmes avec des cris amers, aussi bien que celles qui les délaissoient sans savoir encore où on les amenoit. Celles qui restèrent étoient les sœurs Caussard, Jeanne et Marie Lopin, Claudine et Anne Marnay, Marie Lamente, Marie Belloeil, Judit Crapois et sa belle mère avec ses deux enfans en bas âge..

Lorsque nos libérées furent dehors, elles trouvèrent deux chariots qui les attendoient, où elles virent des hommes et des femmes que l'on avoit sorti des couvents et des prisons de la ville et des environs, non pas sans y en laisser encore beaucoup d'autres; car dans la conciergerie resta Mme Choubert. ou Malet, sa femme et sa fille, François Bonnet (1), tous du Dauphiné, une Emery, Dame Boisselier de Gemeaux près Issurtille en Bourgogne, Philippe... du Dauphiné, s'étant auparavant sauvée des prisons avec un jeune homme.

Ceux qui étoient sur les chariots c'étoient M2 Portal de Saint Hypolite en Cévènes, comme le chef de cette heureuse bande qu'on sortoit de la citadelle de Dijon, frère à M. Portal, ministre de la Salle; le Sr Rouvière, cordonier d'Uzès (2); le S Armand; Mr Duplan du côté de Montauban; Mr André Duval du Dauphiné; S Espagnac le fils d'Allèz, dit Flamen; Perpetuel et Daniel Perpetuel, son cadet, des Cévènes. Avec ces huit hommes il y avoit deux demoiselles de la Corne, sœurs jumelles, l'une fille, l'autre veuve, de Dijon; Melle Givord, fille d'avocat; Molle Marcombe, fille et sœur du ministre de la Bresse, soeur par une intime amitié. Une autre Emery de Berry, Isabeau Rolland du Dauphiné, tirées des prisons de la dite ville; Melle. Anne Uchard, nièce à Mme Guichenon de ci dessous, Magdeleine... tirées du couvent. du Bon Pasteur de Dijon où elles laissèrent encore trois autres captives. Avec ces 16 il y avoit quantité de personnes qui regardoient les unes par curiosité, les autres par compassion et par joye, qui surprirent agréablement nos onze qui sortoient de l'hôpital en leur criant: Prenez courage, on vous conduit à Genève, ce quelles avoient bien de la peine à se persuader, n'ayant rien sceu jusques là de l'ordre du roy qui leur donnoit la liberté, étant dans l'hôpital comme mortes au monde, ce que les religieuses leur reprochoient souvent pour leur donner du chagrin.

Ces onze estoient Molle Olimpe Filion et notre Jeanne, Sabourine,

(1) En marge: Morte à Yverdon en juillet 1689.

(2) En marge: Il est mort à Morges.

Sara Vieux, Esther Cheissier, Isabeau Olier, Marion Lombard, Marie Marcheval, Marie Guelie, Dame Jonquète et Dame jeune Trouchaud. Des autres il y en avoit les susdites quatre mortes, deux sauvées et huit ou neuf restantes.

A ces 27 libérées furent jointes en chemin faisant Mme Rigaud et Mme Guichenon de Bresse, tirées des prisons de Bourg en Bresse; Melle Anne Repen et Melle Guichard femme d'un avocat, tirées des couvents de Mâcon avec Thonète..... leur servante.

Ces trente deux fidelles confesseurs de la vérité repassant par où ils avoient été prisonniers, avant que d'être conduits à Dijon, furent visités, caressés et félicités de plusieurs honnêtes gens catholiques, de tout sexe et de tout âge, séculiers et ecclésiastiques, qui les louoient de leur persévérance et bénissoit Dieu d'avoir accompli sa vertu dans leurs infirmités, et leur firent de plus quelques petits présents. Enfin ilş arrivèrent heureusement à Genève, le lundy soleil couchant 16 d'avril 1688, sous la conduite du dit sieur-lieutenant de la Prévoté, trois archers, le sieur Lavallée, maître des chariots de la messagerie et deux valets. C'est là que se séparant chacun suivit en son particulier le sort où la divine Providence l'appela.

Notre Jeanne et sa chère amie Olimpe se trouvant indisposées, y demeurèrent dix jours auprès de Françon Nodin, leur amie, réfugiée des premières, après lesquels elles partirent environ quinze sur un bateau pour Lausanne, où elles arrivèrent le lundi 26 avril sous la conduite de Mr le baron d'Aubais, réfugié, qui paya cordialement le bateau et leur dépense. Notre Jeanne y apprit la mort de son frère cadet et son filleul, et partit pour se rendre auprès de son frère aîné, le samedi 28 avril, où elle arriva le soir, après avoir demeuré environ deux ans sans le voir, et on peut bien juger que leur entrevue ne put être que tendre.

LETTRE

D'ÉLÉONORE DE WATTEVILLE AU MARECHAL DE RICHELIEU,

GOUVERNEUR DU LANGUEDOC.

1752

La lettre qui suit, dont nous avons la minute originale de la main de Paul Rabaut, fait grand honneur à la noble étrangère qui ne put visiter le midi de la France (septembre 1752) sans être émue des souffrances de nos pères,

et sans plaider leur cause auprès du vainqueur de Mahon, du courtisan bel esprit qui semblait étranger aux farouches passions d'un Foucault et d'un Bâ ville.

Un mémoire, attenant à la lettre ci-dessus, fournit quelques détails sur les faits particuliers qui les motivèrent. Au mois de septembre 1752, plusieurs habitants de Bédarieux, de Faugères et de Graissesac, coupables d'avoir assisté à des assemblées religieuses, furent arrêtés, sur la dénonciation d'un curé, et emprisonnés à Béziers, puis jugés, selon la cruelle jurisprudence alors en vigueur. Le jugement fut rendu le 12 novembre. Un officier de justice partit de Montpellier pour aller quérir les condamnés. « On les fit partir, le 15 du dit mois, à quatre heures du matin, sans les avoir prévenus. Il y eut un carosse préparé: On fit entrer dedans Étienne Galzi et la femme du dit Caldié et Raymond de Faugères. Jean Bonnafous et Caldié furent attachés derrière le carosse. Arrivés le 17 à Montpellier on y lut le jugement qui condamnoit les dits Jean Bonnafous, Étienne Galzi, Raymond de Faugères et Jean Caldié aux galères perpétuelles, et la femme de Caldié à la Tour de Constance pour toute sa vie, et les biens confisqués à la réserve d'un tiers. L'arrondissement de Faugères et de Bédarieux eut à payer 400 livres d'amende et les frais; total: 666 livres.

C'est sous l'impression de ces faits locaux que fut écrite la lettre suivante, qui ne peint que trop fidèlement la situation générale des protestants français à cette époque. L'appel qu'elle contenait ne fut point entendu. La rigoureuse ordonnance du 16 février 1754 contre les assemblées religieuses semble avoir été la seule répouse du maréchal de Richelieu aux espérances qu'avait fait naître son arrivée dans le Languedoc. Tristes temps que ceux où la frivolité des mœurs s'unit à l'intolérance! Il ne fallut pas moins que l'échafaud de Calas, dressé dix ans plus tard, pour faire naître de l'excès du mal une amélioration durable :

Monseigneur,

Si je connoissois moins votre vaste génie et la politesse naturelle aux François, et plus encore aux personnes de votre mérite et de votre rang, je n'aurois osé entreprendre de vous écrire sur une telle matière.

Le portrait qu'on m'avoit fait de la province de Languedoc me fai- ́ soit espérer d'y voyager avec agrément; mais, en vérité, je n'y puis plus tenir. Le cœur me saigne, je ne puis plus être spectatrice de tant de scènes tragiques qui se succèdent presque toujours sans interruption. Je me hâte de quitter un païs où l'on a dépouillé l'humanité; mais avant cela j'ai cru que je devois informer Votre Grandeur des violences qu'on exerce, apparemment à son insçu et contre les intentions du roy, car il n'est pas à présumer qu'un prince à qui sa bonté a procuré le glorieux titre de Bien-Aimé, autorise les cruautés hor

ribles qu'on fait éprouver à ses sujets huguenots, uniquement pour cause de religion. Je ne puis croire non plus que les ordres en vertu desquels ces pauvres gens sont maltraités émanent de l'illustre maréchal à qui j'ai l'honneur d'écrire. Le soupçonner seulement ce seroit lui faire outrage..

Je passai par Béziers vers le milieu du mois de septembre dernier, et un jour que je me promenois hors de la ville, je vis arriver une douzaine de prisonniers. Soit curiosité, soit commisération, je m'informai d'un homme de bonne mine qui suivoit ce lugubre cortége quels étoient les crimes qu'avoient commis ces vieillards, ces femmes, ces jeunes filles. Cet inconnu ne me répondit que par monosillabes. Je me doutai bien que la religion avoit quelque part dans cette capture, et que celui que j'interrogeois, ne me connoissant point, n'osoit point s'expliquer. C'est pourquoi je le rassurai en lui apprenant que j'étois étrangère et huguenote. Il me demanda mon auberge, je la lui indiquai; il y vint et, après les premiers compliments, il me dit : « Madame, je satisfarroi votre curiosité avec d'autant plus de plaisir qu'étant protestante vous prendrez sans doute part à notre désolante situation. Les personnes que vous avez vu conduire en prison sont de Bédarrieu, de Faugères et de Graissesac, à cinq ou six lieues d'ici. Ils ont été arrêtés dans leurs maisons par des cavaliers de la maréchaussée sur la dénonciation de quelques garnements reconnus pour être des gens de sac et de corde indignes de toute créance. Ces scélérats font de longues listes des gens qu'ils prétendent avoir assisté à nos assemblées religieuses, quoiqu'ils n'en ayent aucune certitude, et sur leurs rapports M. l'intendant, qui a une entière confiance en eux, décrète et fait emprisonner les dénoncés sans autre formalité. Il seroit difficile d'exprimer jusqu'à quel point de pareils procédés répandent la terreur dans les esprits. Les protestants de nos cantons ne se croyent point en seureté chez eux. Aussi y en a-t-il un grand nombre qui ont abandonné leurs maisons, et la plupart de ceux qui restent couchent la nuit à la campagne pour n'être point surpris par les cavaliers de la maréchaussée. Tout cela ne peut qu'être infiniment préjudiciable à l'agriculture, au commerce, et particulièrement à la manufacture royale établie ä Bédarrieux. »

Voilà, Monseigneur, le discours que me tint cet inconnu. Il me dit bien d'autres choses qui sûrement ne font pas l'éloge de M. l'intendant; mais il seroit assez inutile de vous les rapporter. Il ajouta

que le bruit couroit qu'on avoit arrêté un plus grand nombre de personnes du côté de Castres, mais qu'il n'en avoit pas une entière ceritude.

De Béziers j'allay à Montpélier. J'apris dans cette ville qu'on y avoit exécuté depuis peu un ministre dont la fermeté a produit des effets bien différens (1). Les catholiques raisonnables en ont rougi, les ecclésiastiques en ont grincé des dents, et les protestans se sont renfermés dans leurs principes, paroissant plus zélés pour leur religion.

Arrivée à Nîmes, on ne m'y a pas annoncé des nouvelles plus réjouissantes. Ce ne sont que recherches contre un ministre nommé Rabaut, à qui tous les honnêtes gens rendent cependant de bons témoignages, et détachemens sans cesse en campagne pour surprendre des assemblées qui n'existent point. Surtout j'ai été saisie d'horreur en apprenant que le 6° du courant le détachement de Sauve ayant rencontré trois hommes sur son chemin, qui prirent la fuite à son approche, l'officier leur fit tirer dessus avec tant de succès que l'un fut tué sur le champ, l'autre mourut une demy heure après, et le troisième, blessé légèrement, fut conduit dans les prisons du dit Sauve.

Les protestans qui m'ont apris ces divers faits, en paroissent plus affligés que surpris. On nous, a livrés, disent-ils, à la discrétion d'un clergé barbaré qui se délecte à voir répandre notre sang, et il ne manque pas d'officiers animés du même esprit. [Il est trois hommes. dans la province qui suffisent seuls pour y mettre le feu, l'un à Montpélier, l'autre à Alais, et le troisième à Nîmes (2).] Croyez-vous, m'at-on dit, que celui qui a commandé ces deux monstre s,soit puni? C'est une justice que nous n'attendons pas. On n'en observe aucune à notre égard. Tout est permis contre les huguenots.

En vérité, Monseigneur, je rougis pour la nation françoise. Où est donc cette politesse, cette affabilité, cette humanité dont elle se pique? Les étrangers en sont les objets, je le sais, j'en ai fait l'expérience. Mais en traitant les étrangers comme s'ils étoient citoyens, faut-il que ceux-ci soient traités non-seulement comme étrangers; mais comme des ennemis dont on a. juré la perie?

Allusion au martyre de François Bénezet, exécuté le 27 mars 1752. (2) Les lignes entre crochet, que l'on rétablit ici, sont raturées dans le manuscrit, et désignent trop clairement. l'intendant de Saint-Priest à Montpellier, le comte de Moncan, commandant à Alais, et le subdélégué de Ladevèze à Nîmes.

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