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MÉLANGES

GABRIEL MATURIN

Monsieur,

L'accueil extrêmement bienveillant que vous avez daigné faire à mes communications au sujet de Pierre de Salve, m'encourage à vous en faire d'autres, également inédites, au sujet du célèbre confesseur Gabriel Malurin, dont le Bulletin a déjà plus d'une fois entretenu ses lecteurs (t. III, p. 591 et p. 594; t. IV, p. 372; t. VI, p. 278; t. VIII, p. 533; t. XI, p. 89; t. XXV, p. 384) et sur lequel je ne perds pas l'espoir de vous donner un jour quelques détails plus complets, si je réussis à trouver certaines pièces que j'ai cherchées en vain jusqu'à présent.

Gabriel Maturin était pasteur de l'église du Parlement de Guyenne, séant à la Réole, lorsque la révocation de l'édit de Nantes le força de fuir sa patrie; il se retira en Hollande et se fixa dans la ville de Dordrecht, où le Magistrat lui assigna une pension pour pourvoir à ses besoins et à ceux de sa famille. Il avait avec lui sa femme, Rachel Garrigue, et au moins deux enfants, une fille nommée Marthe, qui se maria en' 1691, et un fils nommé aussi Gabriel, âgé de neuf ans. Le 11 mars 1686, il présenta au baptême un second fils auquel il donna le nom de Guillaume. C'est sans doute pendant les premiers mois de son séjour à Dordrecht qu'il composa le remarquable ouvrage intitulé « Adam sous le figuier ou les déserteurs sans excuses, » dont J. Rou parle dans ses mémoires (t. Il, p. 195 et suiv.), et duquel le Bulletin (t. VI, p. 270 et suiv.) a rendu un compte détaillé (1); livre écrit avec verve, qui atteste chez l'auteur, avec une profonde charité, une grande connaissance de l'histoire sainte et de l'histoire de l'Église, ainsi que des Pères et des écrits des Réformateurs.

Dans le même

(1) J. Rou y a ajouté un autre titre : le Figuier ou Vanité des excuses de ceuxqui ont succombé sous la persécution. Rou me paraît avoir eu un lapsus memoriæ en disant que le manuscrit lui fut remis vers la fin de 1685; car la lettre qui l'accompagnail est datée du 1er août (1686).

temps, arriva aussi à Dordrecht un autre pasteur de Guyenne, Jean Maturin, pasteur de Miramon, âgé de 46 ans, avec ses deux fils, Jaques, âgé de 16 ans, et Gabriel, âgé de 12 ans. J'ai lieu de supposer qu'il était le frère de celui dont je parle.

Dans l'été de 1686, Gabriel Maturin reçut du Magistrat de la ville d'Arnheim, en Gueldre, une pressante invitation à aller s'établir dans leur ville; avec la promesse de lui faire une pension annuelle de 425 livres; mais, toujours modeste et plein de délicatesse, comme J. Rou nous le fait connaître, il leur répondit que, s'il ne devait se transporter d'une place dans l'autre que pour y être pensionnaire, la chose pourrait être prise en mauvaise part par les magistrats de sa résidence actuelle, et qu'il ne voulait pas s'exposer à leur faire de la peinc. Sur quoi les magistrats d'Arnheim s'adressèrent au Consistoire de l'Église wallonne de cette ville pour lui exprimer combien la personne et le service dudit Maturin leur seraient agréables, et pour lui demander s'il ne pourrait pas être appelé en qualité de ministre extraordinaire, pour faire le service conjointement avec le ministre actuel, D. de Vernejou. Cette demande du Magistral, datée du 1er novembre 1686, donna lieu à diverses observations de la part du Consistoire; mais, par une nouvelle résolution prise le 12 du même mois, le magistrat insista plus fortement encore sur sa demande, de sorte que, dans son assemblée du 22 novembre, le Consistoire se rendit à sest vœux et décida d'adresser une vocation à G. Maturin, aux conditions proposées par le Magistrat. Le 14 décembre, les deux membres du Consistoire qui avaient été députés à Dordrecht pour offrir à G. Maturin la vocation de ministre extraordinaire (et dont l'un était le Bourguemaître de la ville) eurent la joie d'annoncer au Consistoire qu'il l'avait acceptée, et au mois d'avril 1687 le nouveau pasteur fut installé dans sa charge.

Nous ne savons rien du ministère de G. Maturin, dans l'Église d'Arnheim; nous le voyons seulement assister, comme député de cette Église, au Synode réuni à Utrecht, le 20 avril 1689, ainsi que Pierre de Salve, le pasteur d'Aardenbourg. Tout à coup, dans l'été de cette même année, il disparait de ces provinces, disent les mémoires de J. Rou; mais les registres du Consistoire d'Arnheim nous apprennent ce qu'il est devenu. On y lit, en effet, à la date du 1er octobre 1689: « La compaignie étant extrêmement surprise de la longue absence de M. Maturin, et n'ayant aucune nouvelle qui fasse

espérer son prompt retour, a arresté (après avoir seu que M. Rivasson (1) ne voulait pas plus longtemps remplir sa place) que madame de Maturin y pourvoira par le ministère de quelque autre pasteur réfugié ou proposant des Églises Walonnes dont le nombre est grand dans ces Provinces, ou qu'à son deffaut la compaignie elle-même en appel- lera quelqu'un sur les gages de son mary, qui doit fournir selon sa vocation à la moitié du ministère de ceste Église. » Et quelques jours plus tard, le 6 octobre: « La compaignie ayant receu une lettre de M. Maturin et veu par elle que son absence est légitime, et 'ayant surtout apris par la bouche de M. Vivaret (?) que ledit sieur Maturin est alè en France prêcher sous la croix et estre un instrument en la main de Dieu pour le relèvement et la consolation de nos frères qui y gémissent sous le poids d'une dure persécution, loue ce pieux dessein et prie Dieu qu'il y répande sa bénédiction en abondance, et parce que par là l'Église se trouve privée du ministère dudit sieur Maturin, dont elle auroit besoin, la compaignie a résolu de députer incessamment MM. Vernejou, Coct et Fulleken vers Messieurs les Magistrats pour les prier de remédier à cela, et prendre avec eux les mesures qu'ils jugeront convenables au bien de ceste Église, etc. » Le résultat des conférences avec le Magistrat fut qu'on décida, le 13 octobre, que « la place demeureroit sans être remplie, dans l'espérance que ledit sieur Maturin pourroit revenir, et que les exercices de notre église seroient remis sur le même pié qu'ils estoient avant la vocation dudit sieur Maturin. La compaignie acquiesçant à cet arrêté, a résolu qu'on ne feroit plus chaque Dimanche qu'un presche et une prière. »

Pendant tous ces pourparlers, G. Maturin travaillait, au sein de son ancienne Église de Guyenne, à la consolation et au relèvement de ses frères qui étaient tombés. Mais il ne tarda pas à être arrêté dans son œuvre de charité. Nous ignorons la date de son arrestation; mais nous apprenons, par les actes des États de la province de Gueldre, et par d'autres pièces, qu'il fut saisi au milieu de son ancien troupeau, maltraité, tenu dans une dure captivité et enfin condamné aux galères, où il souffrit durant vingt-cinq années.

A son départ pour la France, G. Maturin avait laissé sa famille à Arnheim. On lit dans les Actes du Consistoire de l'Église wallonne

(1) François Rivasson, ci-devant ministre de Théobon, en basse Guyenne, réfugié à Arnheim.

XXVI. 33

du 21 juin 1691 : « Ayant été exhibé à la compaignie un extrait du papier consistorial du Tabernacle françois à Londres qui porte, que les bans de mariage entre M. Bellori (?) et madame Marthe Maturin y ont été proclamés dans toutes les formes, elle a résolu que ledit mariage seroit bénit dès que les parties le requerroient, et que ledit extrait seroit mis parmi les autres papiers du consistoire pour sa décharge. >> - Après le mariage de sa fille, madame Maturin resta-telle encore en Hollande, ou passa-t-elle en Angleterre ou, comme le dit Smiles (1), en Irlande? C'est une question que je n'ai pas encore pu résoudre. Ce que l'on sait, c'est qu'en octobre 1690, Jean Maturin, l'ancien pasteur de Miramon, était allé habiter Leyde, pour accompagner ses deux fils qui y suivaient les leçons de l'Université, et qu'en mai 1692 le jeune Gabriel, alors âgé de 15 ans, s'y trouvait auprès d'eux. Mais ils quittèrent Leyde à la fin d'avril 1694, et je n'ai pas pu suivre leurs traces. Je sais seulement qu'en 1696, Gabriel Maturin, fils de Jean, étudiait en théologie à Utrecht; qu'il fut reçu candidat au saint ministère en mai 1703, et installé dans la charge de pasteur, le 26 juillet 1705, à Veere, en Zélande, où il mourut à la fin de 1715. Ce que l'on sait, en outre, c'est que Guillaume Maturin, dont j'ai parlé plus haut, étudiait en théologie à Leyde en septembre 1706, âgé alors de 20 ans.

En 1708, madame Maturin s'adressa aux États députés du quartier de Veluwe, en Gueldre, pour leur demander quelque secours, afin d'adoucir la situation de son mari; et ceux-ci, sur le rapport qui leur fut présenté, accordèrent « à Rachel de Maturin une somme de fl. 500, pour la faire passer à son mari prisonnier en France, pour son soulagement, à la condition qu'elle prenne soin que cette somme lui soit effectivement remise » (acte du 20 octobre 1708). Le Synode wallon, réuni à Harlem en septembre 1708, intervint aussi en sa faveur. On lit dans les actes de ce Synode, art. 16: « La compagnie s'intéressant à l'état où se trouve présentement Mile Maturin par une singulière Providence de Dieu, a résolu d'écrire pour la recommander aux Seigneurs du quartier de Veluwe en Gueldre. » La lettre dont il est question, fut sans doute écrite par le président du Synode, David Martin, pasteur à Utrecht; elle donna lieu à la résolution suivante, prise par les États députés, le 23 octobre 1708. « G. de Maturin,

(1) Les Huguenots, leurs colonies, leurs industries, leurs églises, en Angleterre et en Irlande, par S. Smiles, p. 311.

pasteur de l'Église wallonne d'Arnheim, s'étant, il y a environ 13 ans (lisez 18), en vertu d'un mandat du Synode Wallon alors réuni à Utrecht (1) rendu de nouveau en France, pour y exercer le culte sous la croix auprès de son église opprimée et souffrante, et y ayant été mis en prison, fort maltraité, et y étant encore tenu prisonnier d'une manière fort dure, les commissaires de la Généralité sont chargés, lorsque viendra le temps de traiter de la paix, de veiller et de travailler autant que possible à procurer que le prénommé G. de Maturin soit rendu à la liberté. »

Le 5 avril 1710, les États de Gueldre accordèrent de nouveau à Rachel de Maturin la somme de «cent ducatons d'argent » (soit environ fl. 315) pour être remis en soulagement à son mari encore retenu prisonnier en France ». A cette occasion, madame Maturin écrivit au Synode wallon pour le remercier du succès de sa recommandation, et le Synode réuni à Leeuwarde (mai 1710, art. 20) chargea le pasteur d'Utrecht, David Martin, d'écrire une lettre de remerciement aux Seigneurs du quartier de Veluwe (2).

Dès lors nous ne savons plus rien au sujet de G. Maturin jusqu'à sa délivrance; et cette délivrance elle-même, nous en ignorons encore la date. Tous ceux qui en ont parlé s'accordent à répéter qu'elle a eu lieu à la suite et en vertu du Traité de paix conclu à Utrecht, le 31 mars 1713; mais c'est là une supposition qui n'est appuyée sur aucune preuve et que démentent les faits suivants. Le Synode wallon avait nommé, pour travailler à la délivrance des confesseurs de la foi prisonniers en France, une commission composée de MM. Élie Benoit, pasteur à Delft; D. Martin, pasteur à Utrecht; Jaqs Basnage, pasteur à Rotterdam et ensuite à la Haye, et D1 de Superville, pasteur à Rotterdam. Pendant plusieurs années, cette commission s'occupa de son pieux mandat, soutenue par l'espoir du succès. Mais quand arriva le moment décisif où elle s'efforça de faire entrer la délivrance des malheureux captifs parmi les conditions de la paix, jamais elle ne put triompher des répugnances des plénipotentiaires, et elle dut renoncer à poursuivre son but par ce moyen. Voici les rapports que deux de

(1) C'est moi qui souligne. Ces mots me semblent établir que les pastours qui allaient prêcher sous la croix ne partaient pas de leur propre chef.

(2) Je dois la communication de toutes ces pièces officielles à M. J.-F.-C. Kronenberg, ancien pasteur de l'Eglise wallonne d'Arnheim, qui a eu l'extrême obligeance de les transcrire lui-même d'après les actes originaux.

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