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» 3° Il ne faut pas dissimuler qu'on croit en Angleterre qu'il faut faire distinction entre ceux qui soufrent uniquement pour la Religion, qui sont de véritables Confesseurs, et les autres qui ont eu part aux mouvemens des Cévennes. Ces derniers prétendent estre privilégiez parce quils croient avoir rendu de grands services aux Hauts Alliez qui par conséquent ne doivent point les abandonner dans le traité. Mais ce n'est point à nous à entrer dans cette distinction. Je l'ay combattue avec d'autant plus de vivacité que si on la fait, on cherchera des chicanes à tous ceux qui demanderont leur liberté et on leur fera des crimes sur divers prétextes.

» 4o Pour les biens des Réfugiez je n'ay point veu d'apparence à les obtenir, vous en voiez la preuve par ce que j'ay eu l'honneur de vous dire qu'on a rejetté les articles qu'on avoit proposez sur cette matière, et on m'a assuré que le Roy avoit refusé cette justice à S. M. B. qui la demandoit pour un particulier unique attaché avec distinction à un de ses premiers ministres.

>> Messieurs et Très-Honorez frères, je ne doute pas que vous ne soiez instruits déjà d'une partie des choses que j'ay l'honneur de vous dire, mais j'ay cru que mon devoir m'engageoit à le faire. Si j'ay manqué à raporter quelque fait considérable, MM. Benoist et Martin présens dans votre compaignie et M. de Superville mes Condeputés avec lesquels nous avons agy de concert pourront, ou entrer dans un plus grand détail ou vous confirmer la vérité de ce que j'avance. Je suis très-fàché, Messieurs et Très-Honorez frères, de vous rendre un compte si triste de la commission dont vous m'avez honoré depuis plusieurs années, et dont je vous demande la décharge puis qu'elle doit finir avec la négociation de la paix.

>> Puis que nous sommes assés malheureux de ne pouvoir obtenir aucune consolation pour nos frères affligez, permettez-moi, Messieurs et Très-Honorez Frères, de vous conjurer de ne les abandonner pas absolument. Ils vont estre exposez à une persécution plus cruelle après la paix que celle qu'ils ont souferte pendant la guerre. La France qui n'aura ny ennemis à combatre, ny projets à ménager, s'attachera uniquement à consommer ce qu'on apelle en ce pays le grand ouvrage du Roy. On commence à le faire en plusieurs endroits. Si on les laisse sans consolation et sans apuy, ne se plaindront-ils point de nous qui voions du port renaître la tempête sans leur prêter de secours ou du moins leur témoigner de la com

passion pour leurs maux et travailler à les afermir dans la foy. » Cette pensée leur est venue, comme vous le verrez par le mémoire que j'ay reçu lequel nos frères du Languedoc avoient envoié à Mrs du Consistoire françois de Berne et que ce Consistoire m'a fait remettre entre les mains afin d'en suivre le plan.

» Ce projet me donne la liberté de vous dire, Messieurs et TrèsHonorez frères, que votre vénérable assemblée pourroit délibérer : 1° s'il ne seroit pas à propos de charger quelqu'un des membres de votre corps pour écrire à nos frères des lettres pastorales de temps en temps comme ils le demandent; 2° que l'autheur qui sera nommé ou qui s'ofrira volontairement soit obligé de suivre le plan marqué dans le mémoire, lequel m'a paru judicieux, sage, et remédie aux inconvéniens qu'on pourroit craindre des lettres qui ne seroient pas écrites dans l'esprit et avec la précaution nécessaire. 3° Comme il faudroit envoier un nombre de ces lettres gratis en les faisant distribuer et mettre à la poste par MM. les marchands d'Amsterdam ou les autres Réfugiez qui composent les églises wallones et qui ont des amis en France, et que pour cet effect il faudroit en distribuer un certain nombre à chaque église qui en auroit besoin, le libraire ne pourroit estre chargé de cette distribution gratuite. Ainsy il seroit à propos que le vénérable Synode se chargeast d'un certain nombre d'exemplaires qu'on envoieroit aux églises nommées.

» 4o La dépence ne seroit pas considérable, car il ne s'agiroit que de six ou sept feuilles par an, et une année pourra suffire parce que ces sortes d'écrits, qui sont nécessaires dans une révolution ou le renouvellement des soufrances, perdent beaucoup de leur goust et de leur force lorsqu'on les continue plus longtemps.

» 5o On peut objecter que ces lettres échauferont les esprits des adversaires, exposeront nos frères a de nouvelles poursuites et ne feront pas le bien qu'on en attend.

» Je ne décide pas du succès avenir qui dépend de la bénédiction de Dieu; mais il est certain que, si ces lettres sont écrites avec prudence, elles seront plus propres à réveiller la foy des peuples que de gros livres qui ne passent qu'avec peine entre leurs mains; que l'expérience a fait voir qu'un très-grand nombre de personnes se sont relevées de leur faute, ont quitté leur patrie, et les autres ont esté consolées et ranimées par les instructions qu'elles recevoient; et comme ce sont eux qui les demandent on ne peut pas nous imputer

les maux qui peuvent compenser le bien. Je soumets le tout à votre prudence. »

(Le reste de la lettre traite d'autres affaires.)

Est-ce à l'intervention de l'Angleterre que G. Maturin dut enfin sa délivrance? Je l'ignore. Ce qui me paraît certain, c'est que cette délivrance n'eut lieu qu'à la fin de 1714 ou au commencement de 1715; car ce n'est qu'au mois de mai 1715 que le Synode wallon assemblé à la Haye en fut informé. Art. 58 : « N. T. C. F. M. Maturin, pasteur de l'église de Veere, a notifié à cette assemblée que N. T. H. F. M. Maturin, ci-devant pasteur de l'église d'Arnhem, avoit été mis en liberté, après avoir souffert 25 ans pour les intérêts de la vérité. Ce Synode s'étant toujours intéressé très-tendrement dans les souffrances d'un si illustre confesseur, qui par sa fermeté, à l'épreuve de toute sorte de tentation, a fait tant d'honneur à notre sainte religion, prend part aussi à sa délivrance. Elle bénit Dieu de l'avoir conservé et soutenu dans ses épreuves, et de n'avoir point permis que la persécution ait triomphé de sa foi. Elle le prie ardemment de le fortifier de plus en plus dans le grand âge qu'il a atteint, de lui donner de finir ses jours en paix, et de couronner sa fidélité dans la gloire. >>

Smiles (les Huguenots, etc., p. 311) rapporte que, quand le vieux Confesseur fut remis en liberté, il avait perdu l'usage de ses membres; qu'il réussit cependant à se rendre en Irlande, avec quelques membres de son ancien troupeau, et qu'il eut le bonheur inespéré d'y rencontrer sa femme et ses deux fils, dont, ajoute-il, il n'avait eu aucunes nouvelles pendant son long emprisonnement. Cette dernière. assertion ne me paraît pas s'accorder avec les pièces officielles citées plus haut.

Au mois de mai 1718, le Synode réuni à Amsterdam reçut communication de sa mort. Art. 24: « La compagnie a appris avec douleur la mort de N. T. H. F. M. Gabriel Maturin, autrefois membre de ce Synode en qualité de pasteur de l'Église d'Arnhem, et qui s'est rendu si célèbre par sa constance pour l'Évangile. La mémoire de cet illustre Confesseur également recommandable par sa piété et par ses souffrances, nous sera toujours en vénération. »

Daignez, Monsieur, agréer l'expression de ma reconnaissance, et me croire Votre tout dévoué serviteur, F. H. GAGNEBIN, pasteur.

BIBLIOGRAPHIE

JOANNIS CALVINI OPERA

VOLUMEN XVII

Nous venons de recevoir le tome XVII des Opera Calvini, le 8me du recueil épistolaire, qui embrasse deux années très-importantes de la correspondance du réformateur, 1558 et 1559, et l'éclaire par un heureux choix de lettres de ses principaux correspondants. On remarquera, dans ce volume, les précieuses lettres de Jean Macard à Calvin, dont il a été fait usage dans l'étude intitulée : Un an de ministère à Paris sous Henri II, et celles de François de Morel, sieur de Collonges, qui ne renferment pas de moins utiles révélations pour l'histoire de la Réforme française dans la capitale sous Henri II et François II. Des lettres écrites de Toulouse, Nérac, Bordeaux, SaintMaixent, Gien, Dieppe, Metz, etc., nous font assister aux progrès de la réformation dans les provinces.

En retraçant dans le dernier cahier du Bulletin (p. 436, 437) d'après l'annaliste des martyrs, les détails de la mort de Geoffroy Guérin, j'exprimais le regret (note 2 de la p. 437) de ne pouvoir citer à ce sujet une lettre de Macard que je devais croire perdue avec plusieurs autres, car elle manque au dossier inséré par M. Ath. Coquerel fils dans l'Appendice de son histoire de l'Église réformée de Paris. J'ai été doublement heureux de retrouver cette pièce dans le volume de MM. Reuss et Cunitz, qui contient tant d'autres trésors. Elle est datée du 3 juillet 1558, et confirme admirablement le récit de Crespin, dont les archives du Saint-Office, conservées à Venise, m'ont déjà fourni l'occasion de constater la parfaite véracité. Le lecteur me saura gré de placer sous ses yeux la partie de cette lettre qui se rapporte aux derniers instants de Guérin :

« Je vous ai récemment écrit au sujet de notre frère Guérin. Depuis sa condamnation, les ennemis ont fait tous les efforts possibles pour l'amener à une rétractation au moyen de docteurs apostés pour le détourner de la vraie foi. Mais le Seigneur, qui l'avait animé de la merveilleuse vertu de son esprit, l'a muni jusqu'à la fin d'une invincible constance. Aussi les ennemis ont-ils déployé une cruauté inouïe sur cet innocent qui n'était à leurs yeux qu'un hérétique d'une déplorable opiniâtreté. Il a été conduit, il y a trois jours, à la place Maubert et là, brûlé à petit feu, et plusieurs fois retiré vivant du milieu des flammes, afin qu'il souffrit plus longtemps. On ne lui avait pas coupé la langue, mais mis un bàillon à la bouche, pour qu'il n'infectât pas le peuple de sa doctrine. Il n'en a pas moins témoigné par des signes certains aux yeux de tous la ferme intrépidité avec

laquelle il affrontait le plus cruel supplice, appuyé sur le Christ. Même il a pu prononcer distinctement bon nombre de paroles qui ont été recueillies par des témoins, et que je vous enverrai bientôt avec sa confession et ses réponses à ses juges; cet exemple ne contribuera pas peu à fortifier les fidèles qui verront comment Geoffroy Guérin, après avoir renié la vérité à genoux dans l'église des Jacobins où il devait recevoir l'absolution, a été l'objet de la miséricorde du Seigneur qui lui a inspiré un vrai repentir.

>> J'ajouterai ce détail : comme on lui présentait un crucifix, symbole de l'idolâtrie, il l'a repoussé en levant les yeux au ciel, de sorte que le prêtre qui l'assistait, a pu dire: A quoi bon lui offrir la croix? La populace n'a cessé de l'assaillir furieusement de ce cri: Invoque Marie! Des adversaires sans scrupules avaient semé le bruit qu'il niait la vierge, mère de Dieu, quoiqu'il eût déclaré à plusieurs reprises qu'il reconnaissait Marie pour mère du Christ selon l'humanité. Tel est le sacrifice d'actions de grâces que nos ennemis ont célébré pour la prise de Thionville. Ils ont chanté l'Io Poan à leurs idoles, le Te Deum, en lui offrant cette victime d'agréable odeur. Survient-il un désastre, comme celui de Saint-Quentin, c'est à nous de payer pour tous, comme si nous avions provoqué la colère céleste. Lorsque les événements sont favorables et suivent un cours prospère, on ne nous immole pas moins en témoignage de la reconnaissance publique : Mactamur pro solemni gratiarum actione ! »

Le même volume contient une lettre de d'Andelot à Nicolas des Gallars, tirée de la bibliothèque de Gotha, et antérieure à l'acte de faiblesse que devaient si énergiquement réprouver Macard et Calvin. En voici le texte :

«A monsieur de Saules.

>> Mons de Saules, jay resceu vostre lettre, escrite du vIII° de ce mois, qui m'a estay bien grant plaisir estant la lecture si profitable quelle apprend tousjours a sumillier et glorifier Dieu, lequel je requiers au nom de son fils Jésus Christ, puisque y luy a pleu permettre que jaye commencé a luy donner gloire, quil parfasse son œuvre en moy jusques au bout. Vous scavez quafflictions en ce monde ne nous manquent point; mais, comme dict lapostre, ce ne soit point comme meurtriers et larrons, mais que ceulx qui souffrent par la volonté de Dieu quils luy recommandent leurs âmes comme au fidele possesseur en bien faisant. Or je scay bien quen moy ny a que toute fragillité et repugnement contre mon salut et la sainte volonté du Seigneur, et pour ceste occasion je luy supply me tenir la bride, affin de me relever en mon choppement, et que de luy vienne et la puissance et le scavoir pour pouvoir résister a ces ennemis, et me fasse digne de porter par tout bon tesmoignage de son sainct nom. Je suis bien heureus que tant de gens de bien et fidelles ont mémoire de moy en leurs prières. Le Seigneur leurs en rendra digne retribution. Au surplus, je suis bien aise quayes conseillé à mon escollier de ne venir point de pardeça, car sa venue eut estay inutille, et il est plus expédient qu'il continue son cours, ainsi que je lui escris et lui

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