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ennemis magnanimes dont les vertus l'importu

naient.

Dans un arrêté sous la date du 26 prairial an 4, il s'efforça de donner une forme légale aux vexations les plus insultantes. Il ordonna que toutes les communes des fiefs impériaux envoyassent deux otages pour être garans de leur fidélité; il exigea que dans les cinq jours, les seigneurs possesseurs de fiefs se rendissent en personne à Tortone pour prêter le serment d'obéissance. Le moindre retard devait être puni de la confiscation de leurs biens. Vingt-quatre heures seulement furent accordées aux communes pour acquitter la contribution militaire; ainsi que dans le Milanais, tous ceux qui seraient trouvés avec des armes devaient être fusillés.

L'article 6 de cet arrêté était ainsi conçu: « Toutes les cloches qui ont servi à sonner le tocsin seront descendues du clocher et brisées vingt-quatre heures après le reçu du présent ordre, ceux qui ne l'ont pas fait seront réputés rebelles, et il sera mis le feu à leurs villages. »

Voilà cependant celui qui s'était annoncé avec des vues si libérales et si pacifiques, celui dont la conduite venait d'obtenir un témoignage éclatant de l'approbation publique.

Le lendemain de cet arrêté, il écrivait au directoire : « Les fiefs impériaux s'étaient révoltés ( dans le langage de Buonaparte ce mot s'applique à ceux

qui cherchent à briser le joug de fer sous lequel il les écrase): ils se sont portés à tous les excès : le chef de brigade Lasne y a marché avec douze cents hommes: il a brûlé les maisons des rebelles et fait fusiller les principaux qui avaient été arrêtés. Même chose dans les environs de Tortone. J'en ai fait arrêter quinze des chefs, fait juger par une commission militaire et fusiller (1). Jusqu'à cette heure nous n'avons pas de malades, et tout va très-bien. »

Voilà une expression qui caractérise d'une manière bien énergique l'homme dont nous cherchons à esquisser les traits; et s'il faut être inaccessible aux sentimens d'humanité, pour ne pas ajouter un seul mot de remords ou de regrets, à la peinture des fléaux de la guerre, il faut avoir l'âme d'un tigre pour oser dire tout va bien, lorsqu'on vient de semer autour de soi la désolation et la mort.

Enhardi sans doute par de tels succès, Buonaparte

(1) Buonaparte n'attendait pas toujours le jugement des commissions militaires, même lorsqu'il s'agissait des Français. M C... nous a raconté qu'il était rapporteur d'une commission chargée d'examiner la conduite d'un inspecteur de fourrages, prévenu d'avoir gêné la marche de l'armée, en ayant souffert qu'une charrette de foin s'arrêtât quelque temps à la sortie de Mantoue. Le fait n'était pas constaté; il ne méritait pas d'ailleurs la peine capitale. Buonaparte impatient de ce que la commission n'avait pas prononcé dans les vingt-quatre heures, fit fusiller le pré

venu.

promet des malheurs plus effrayans encore, en entrant dans les états romains. Il est vrai que le chef de notre auguste religion était, plus que tout autre, digne de ses fureurs, par ses vertus et par la noblesse de son caractère.

Dans sa proclamation sous la date du 12 pluviose an 5, il annonce qu'il mettra le feu non-seulement aux villages, mais aux villes où on sonnera le tocsin à l'approche des Français. Et ce n'est pas assez de l'incendie pour le satisfaire, il lui faut du sang: l'article ajoute, que les municipaux seront fusillés.

Gènes eut aussi sa part dans la distribution de tant de calamités; mais pour cette fois, du moins, les excès de Buonaparte furent réprimés, et le directoire cessa un instant de caresser son idole.

Le gouvernement français donna ordre aux généraux, de réparer tous les dommages qu'ils avaient fait commettre dans le territoire de Gènes, de restituer aux propriétaires les biens qui leur avaient été enlevés, et sur-tout de ne se mêler en rien des affaires du pays.

Le ministre français, M. de Villars, annonça au gouvernement génois : «Que Buonaparte, commandant à Loano, serait repris, pour avoir osé confisquer le fief du marquis de Palestrino, piller son château et lui écrire en termes injurieux. »

Comme ce fait est un peu grave, et que nous ne voulons pas qu'on puisse nous reprocher de sortir

du rôle d'historien, lors même que l'indignation pourrait animer notre plume, nous devons indiquer la source où nous l'avons puisé. C'est dans un ouvrage non suspect à ses partisans, puisqu'on y trouve à chaque page l'éloge de Buonaparte (les Campagnes des Français en Italie, par Desjardins, vol. 3, pag. 158.)

Certes, une telle conduite de la part du général en chef, l'usurpation des pouvoirs étrangers au titre que son gouvernement lui avait conféré, l'infraction de tous les principes d'ordre et de justice, pour y substituer un régime de terreur et de destruction, la violation du droit de propriété, en un mot l'abus de tout ce qu'il y a de sacré parmi les hommes, une telle conduite, disons-nous, ne méritait pas les éloges exagérés que le directoire prodiguait à Buonaparte (1).

Révoltes dans plusieurs parties de l'Italie. Mais une telle conduite devait sur-tout exciter des sé ditions et des révoltes: elle devait renverser l'édifice

(1) Nous aurions pu grossir de beaucoup la liste des crimes dont Buonaparte fut l'auteur ou le complice, mais il nous a semblé plus curieux de ne recueillir que ceux dont il s'était vanté lui-même ; c'est par ce motif, que nous n'avons point parlé du pillage du mont-de-piété de Vérone, qu'on voulut légitimer en déployant contre les habitans de cette ville, un appareil militaire que leur soumission rendait bien inutile.

fragile de nos conquêtes et nous obliger à combattre de nouveau des peuples que la valeur de nos armées avait d'abord soumis.

La révolte de Milan et de Pavie est un de ces événemens que l'histoire ne peut passer sous silence. Il nous semble qu'un chef est comptable de tout le sang qu'il est obligé de verser pour rétablir l'ordre, lorsque c'est par sa négligence ou par sa faute que l'ordre a été troublé; mais une telle responsabilité ne saurait effrayer un homme qui, dans les jours les plus brillans de sa vie, a pu compter par milliers les victimes de sa barbarie et de son ambition (1).

Écoutons-le rendre compte des détails de cet affreux événement, avec ce sang-froid qu'il s'enorgueillissait toujours de conserver au milieu de la destruction et du carnage.

Au quartier-général de Peschiera, le 30 prairial an 4.

« J'ai à vous rendre compte de la conspiration de Pavie, du combat et de la prise de cette ville.

(1) L'expression n'est pas métaphorique; pendant les treize dernières années de son existence politique, et d'après des calculs exacts, Buonaparte a coûté par jour, à la France, neuf cent trente-six citoyens; la perte a dû être bien plus considérable encore pour les divers peuples qui ont été en guerre avec nous; de sorte que ce n'est pas exagérer que de dire qu'un million d'hommes ont perdu la vie tous les ans, pour satisfaire l'ambition d'un seul homme.

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