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Peuples. Ne nous étonnons pas d'avoir entendu sur cette matière des développemens théorétiques qui provoquoient notre assentiment, au moment même où notre raison nous avertissoit au moins de le suspendre. La bonne administration de la Justice importe tant au bonheur de l'humanité, que tout homme de bien qui se livre à cette contemplation, est facilement séduit par l'illusion d'une perfection spéculative qui vient flatter son imagination, en même temps que son cœur en desire la réalité mais le Législateur doit, avant de se déterminer, prendre leçon de la sagesse et de l'expérience; elles lui prescrivent de marcher avec circonspection dans cette carrière délicate, où l'on n'a jamais inquiété impunément la confiance publique.

Il ne s'agit pas ici d'un Peuple nouveau, simple dans ses mœurs et dans ses transactions civiles, à qui l'on présente pour la première fois un plan d'ordre judiciaire; c'est une régénération qu'il s'agit de faire chez un Peuple ancien. Pour savoir jusqu'à quel point il est permis de changer chez ce Peuple les institutions dont il a l'expérience & l'habitude, il faut examiner, 1°. quel est l'état de sa législation; 2°. quelle est sa situation politique; 3o. ce qu'on doit craindre ou espérer de l'opinion. La législation et l'organisation de la machine judiciaire ont entre elles une correspondance impérieuse et invincible. C'est pour mettre les Loix

en activité que le régime judiciaire est établi; il faut donc l'assortir à l'esprit, à la nature et à la marche des Loix; car si ces deux parties ne sont pas d'accord, le mouvement sera nul, ou funeste. On propose ici, pour le moment actuel, une organisation réduite aux derniers termes de la simplicité, lorsque notre législation est la plus étendue, la plus compliquée, la plus subtile, et la plus obs. cure qu'on puisse imaginer? Ces deux choses sont tellement inconciliables , que l'obstacle qui en résulte ne pourroit être levé, que lorsque nos Loix seroient simplifiées, éclaircies, & mises à la portée de toutes les classes de Citoyens; lorsque les livres, les Légistes et les Praticiens auroient disparu; lorsque le règne de l'innocence, et de la loyauté se seroit établi sur les débris du pé-. dantisme et de la charlatanerie du barreau, et lorsqu'enfin la vertu seule donneroit la capacité nécessaire pour être Juge.. !

Cette perspective qui nous a été présentée est trop séduisante, elle flatte trop l'opinion & les vœux de tout bon Citoyen, pour qu'au premier apperçu elle ne produise pas une sorte d'enthousiasme; c'est la sévère et tardive réflexion qui ramène par l'examen à des idées moins riantes, mais plus exactes. Nous voulons sans doute éclaircir, abrégér nos loix, et sur-tout simplifier nos formes ; je passe sur le tems que cette grande entreprise, exigera; mais il est essentiel de ne pas s'exagérer l'effet de ces ré

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formes. Chez une grande Nation, riche, active, industrieuse, et où la civilisation, parvenue à sa dernière période, développera sans cesse les combinaisons infinies qui agitent et croisent tous les intérêts, on aura beau vouloir simplifier la législation, il est impossible qu'elle ne soit pas toujours la matière d'une science étendue, et que la juste application des loix aux cas particuliers ne soit pas un talent difficile, fruit tardif de l'étude et de l'expérience réunies.

Aucune grande société ne peut subsister sans un code de Loix variées ; par-tout où il y a un tel code, il est utile qu'il y ait des Légistes: on en trouve chez tous les peuples civilisés ; ils y sont d'autant plus honorés, que le peuple est plus libre, plus ami de ses Loix, plus soigneux de les conserver.

Ne croyons donc pas que quand nos Loix seront simplifiées, nous aurons pour cela une législation très-simple; mais, quand cela seroit, et quand tous nos codes latins et françois, leurs commentaires si funestes, et les répertoires de jurisprudence plus funestes encore seroient abrogés et proscrits, ils ne seroient pas pour cela supprimés de fait ; ils existeroient plus poudreux qu'ils ne sont à la vérité, mais enfin ils existeroient ; et les fausses connoissances dont ils ont infecté tant de bons esprits, subsisteroient encore long-temps dans les têtes qui en sont meublées.

Il arrivera de là ce qui est arrivé du Droit

Romain; quoiqu'il ne fasse pas loi dans les deux tiers de la France, le plaideur y va chercher, si non une loi, au moins un exemple; et trèssouvent il en tire des raisonnemens et des considérations qu'il s'approprie, sans indiquer la source où il les a puisées.

Nous aurons des Loix nouvelles! Vous venez d'en faire deux très-récentes: l'une pour les Municipalités, l'autre pour les Corps administratifs; voyez quelle foule immense de questions elles occasionnent sur leurs dispositions même les plus claires. Quand le corps entier de la législation sera refondu ? ne croyez-vous pas qu'il s'élevera mille incertitudes, et que ce sera par les loix, les usages, la jurisprudence ancienne que beaucoup de plaideurs voudront faire juger ce qui paroîtra douteux dans le nouveau code, et ce qu'il n'aura pas décidé ? Vous regardez donc, me dira-t-on, la diminution et l'abbréviation des procès comme impossibles? Je n'ai pas cette idée affligeante ; mais je suis convaincu qu'un si grand bien ne sera pas l'effet immédiat de la refonte des Loix, qui n'est pas elle-même un évènement prochain. Lorsqu'une meilleure Législation d'abord, ensuite le bienfait d'une éducation nationale, et les progrès de l'esprit public auront éclairé le Peuple, changé ses mœurs, et assaini ses idées, c'est alors seulement qu'on pourra voir disparoître les scandales judiciaires qui tiennent

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autant au défaut de mœurs publiques, qu'aux vices de nos Loix.'

Je conclus qu'il ne seroit pas sage d'organiser en ce moment l'ordre judiciaire, d'après l'état moral hypothétique auquel il faut espérer que la Nation parviendra un jour; mais qu'il faut se conformer à l'état actuel de la Législation, aux moeurs et au caractère présent du Peuple.

La situation politique de la Nation, dans le moment actuel, est une seconde considération qui mérite d'être pesée avec exactitude. Pendant 'qu'un Peuple travaille à sa Constitution, tous les ressorts de l'ordre public sont dérangés; et Til faut que la révolution, qui produit un si grand mouvement, soit marquée à des caractères de "justice et d'intérêt public bien frappans, pour que tous les malheurs de l'anarchie ne s'établissent pas entre la destruction des anciens pouvoirs et la création des nouveaux. C'est par là que la régénération qui s'opère en France, sera éternellement mémorable; mais n'oublions pas qu'il faut, pour son succès, qu'au moment où la Constitution va paroître, toutes les parties de la machine po-litique soient remises non - seulemeut en place, mais encore en activité; or, la véritable et utile activité du pouvoir judiciaire, le plus important de tous pour l'entier rétablissement de l'ordre, ne naîtra pas de cela seul que ce pouvoir sera organisé par des Décrets; elle dépend absolument

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