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qu'un chasseur qui, étant sur son terrain, et voyant passer une compagnie de perdreaux sur la pièce voisine, tirerait sur cette compagnie, puisse être actionné comme coupable d'un délit de chasse sur le terrain d'autrui?

LE JUGE DE PAIX. Je n'en fais nul doute; surtout si ces perdreaux ne partaient pas partaient pas de son propre terrain, mais s'étaient élevés de la pièce voisine. C'est précisément ce qui vient d'être jugé dans l'espèce que voici :- En septembre dernier, 1828,

le sieur C... chassant sur un terroir où il en avait le droit, s'arrête sur le bord d'un champ appartenant à M. le marquis d'A.... Son chien, qui ne connait pas la limite séparative des deux propriétés, passe sur celle de M. le marquis, y fait lever aussitôt une compagnie de perdreaux; et le sieur C..., entraîné par une sorte d'impulsion involontaire, lâche son coup de feu sur cette compagnie, mais sans abattre aucune pièce. Il est aperçu par deux gardes de M. le marquis d'A..., très-jaloux de la conservation du gibier sur ses terres. Procès-verbal. Citation au sicur C... devant le tribunal correctionnel d'Arras. Un habile défenseur soutient pour lui qu'il n'est nullement dans le cas prohibé par l'article 1o. de la Loi d'avril go; qu'en effet, il n'a point chassé SUR LE TERRAIN de M. le marquis; qu'il n'y a pas mis le pied; qu'il n'a pas, non plus, tiré sur aucun gibier étant sur ce terrain; qu'il a tiré en l'air; sur des per

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dreaux, si l'on veut; mais, qui n'étaient pas arrêtés sur la propriété de M. A..., qui étaient au contraire dans les plaines de l'air; par conséquent hors de la propriété de M. le marquis, dans un espace qui n'appartient à personne, ou plutôt qui appartient à tous. Nonobstant ces argumens, un peu subtiles peut-être, Jugement qui, par application de l'art. 1er. de la loi d'avril go, condamne le sieur C... à l'amende de 20 fr., à l'indemnité de 10 fr. et à la confiscation du fusil. (1)

§. IX. Oiseaux de passage.

UN HABITANT. Mais, du moins, ne puis-je pas légitimement, même sur le terrain qui ne m'appartient pas, tirer un oiseau de proie, ou un oiseau de passage; tel qu'un aigle, un épervier; ou bien un héron, un canard sauvage? Cela ne peut causer aucune sorte de préjudice au propriétaire du terrain sur lequel je suis alors.

Le JUGE DE PAIX. La loi prohibe tout fait de chasse quelconque sur terrain d'autrui. Elle ne fait aucune distinction entre les diverses espèces d'animaux sur lesquels le chasseur peut avoir la fantaisie de s'exercer. Tirer sur un oiseau de passage, même lorsqu'il ne fait que traverser les plaines de l'air, c'est

(1) V. Gaz. des Trib. F. du 30 octob. 1828, no. 1007.

certainement chasser; car le chasseur ne le tire que dans le dessein de l'atteindre et d'en faire son profit. Ne fût-ce même que par pur caprice ou par pur amusement, il pourrait être avec raison poursuivi comme coupable du délit prévu par l'art. 19. de la loi du 30 avril 1790,- Le sieur Seigle, fermier d'un domaine appartenant à M. Selves, fut actionné devant le tribunal correctionnel de Melun, pour avoir ainsi tiré sur une corneille, dans l'avenue du château. Condamné par ce tribunal, il fut renvoyé absous par les juges d'appel, sur le fondement qu'un seul coup de fusil tiré sur un oiseau de passage ne pouvait constituer un délit de chasse, Mais cette décision fut improuvée par la Cour de cassation, comme contenant une contravention à l'art. 1o. de la loi d'avril 1790, ( Arr, du 13 nov. 1818.)

Cependant je dois vous ajouter une chose : c'est que, dans un journal que je viens de recevoir, je lis qu'à l'audience du 2 sept, dernier, le Tribunal de police correctionnelle de Paris a jugé que le fait de tuer des moineaux sur une grande route, même pendant le temps où les chasses ne sont pas ouvertes, ne pouvait constituer un délit de chasse. Les motifs de ce jugement ne sont pas rapportés; mais c'est sans doute par la raison que des moineaux ne peuvent être considérés comme du gibier, et que d'ailleurs le sol des grandes routes est un terrain

public, un espace vide, insusceptible de produire aucune récolte, aucun fruit, et qui étant à l'usage de tous, ne peut être considéré comme la propriété de personne: res nullius. (V. Gaz. des trib. n. 967, feuille du 13 sept. 1828.)

A quoi je me permettrai d'ajouter toutefois, que s'il est vrai de dire que le fait de tirer des moineaux sur une grande route ne doit pas être considéré comme un délit de chasse, ce n'en est pas moins un fait répréhensible, que la Police administrative devrait sévèrement interdire; surtout sur les routes fréquentées et à l'approche des grandes villes; attendu qu'il peut en résulter de graves accidens.

S. X. Si le Fermier a droit de chasser sur les terres de sa Ferme.

UN FERMIER. Suivant le premier arrêt que vous venez de nous citer, Monsieur, un Fermier n'aurait donc pas le droit de chasser sur les terres dépendantes de sa ferme, même pendant le temps où les chasses sont ouvertes?

LE JUGE DE PAIX. Non, certainement; à moins que ce droit ne lui ait été formellement conféré par úne des clauses de son bail, ou à moins que son propriétaire ne lui en ait donné l'autorisation spéciale par un écrit particulier.

L'HABITANT. Cependant, ne venez-vous pas de

nous dire, que la Loi d'avril 1790 permet à tout propriétaire, ou possesseur, de chasser, savoir: en tout temps sur ses possessions encloses, dans ses bois et forêts, sur ses lacs et étangs; et, pendant la saison des chasses, sur toutes ses possessions ou terres non closes?

LE JUGE DE PAIX. Il est vrai; mais, par l'expression de possesseurs, employée dans la loi, on ne doit évidemment entendre que ceux qui possèdent en propriété, ou avec les droits d'un propriétaire; tels que l'usufruitier d'un domaine; lequel, pendant toute sa vie, a tous les produits et une sorte de · propriété de ce domaine; tels qu'un tuteur qui possède pour son pupille, ou un mari qui possède pour sa femme, et en exerce tous les droits. Sous ce mat de possesseurs, on ne peut évidemment comprendre un fermier, qui ne possède qu'au nom de son propriétaire, pour le compte et profit de ce propriétaire. A proprement parler, un fermier ne possède pas la terre qui lui est louée; il n'en possède que les récoltes. Aussi ne peut-il pas intenter l'action possessoire, qu'on nomme complainte ou réintégrande. Cette action ne compète qu'au propriétaire; ainsi que je vous l'ai enseigné dans une de nos précýdentes conférences. (Questions possessoires, Conf. *)

L'HABITANT. Cependant ne venez-vous pas encore de nous dire, Monsieur, que d'après un article de la loi de 1790, il est libre en tout temps aux

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