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Dans son explication préliminaire sur le titre 3 de l'Ordonnance de 1670, Jousse, ainsi qu'il le dit dans le passage précité, établit, en effet, en se fondant sur la loi romaine, sur les anciennes ordonnances et sur les anciens auteurs, que les juges pouvaient poursuivre d'office.

Toutefois, un peu après le passage que nous venons de rapporter, il reconnaît lui-même, que sa doctrine n'est pas d'une application générale, mais qu'elle doit être restreinte aux cas de flagrant délit ou de dénonciation. << Il faut, cependant, observer, dit-il (no 151, in fine), << que, hors le cas de flagrant délit ou d'une dénonciation, « le juge ne peut informer d'office, quoique le procureur << du roi ou fiscal le puisse par voie de plainte; parce que « le juge ne peut être en même temps plaignant et juge, « ce qui renfermerait deux qualités incompatibles. >>

Voici comment, de son côté, le chancelier d'Aguesseau s'exprimait, dans sa lettre du 11 mars 1730 (t. 10, p. 31, lettre 23), sur la maxime dont nous cherchons le sens.

« Le premier défaut qui a frappé justement le Conseil, « est la forme aussi nouvelle qu'irrégulière, dont un «< conseiller au Parlement a donné un exemple, qui ne «doit jamais être suivi, lorsqu'il a entrepris de quitter, << de lui-même, le caractère et la fonction de juge, pour << se transformer tout d'un coup en procureur général, et «faire une réquisition dans cette nouvelle qualité. « Je sais que, lorsqu'il s'agit de l'intérêt public, tous les « juges, également obligés d'y veiller, peuvent être con« sidérés en un sens comme autant de procureurs géné<<raux; mais cette proposition, qui est devenue une

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espèce de proverbe dans le Palais, doit être renfermée « dans ses bornes, et on ne peut en tirer que deux consé«quences légitimes. - La première est que, comme toute «la force des conclusions des gens du roi ne consiste que << dans ce qui tend véritablement au bien public et au « plus grand bien de cette nature, les juges ne sont pas << obligés de les suivre et d'y conformer exactement leurs

<< décisions; ils peuvent ou y suppléer ou en retrancher, << ou décider même le contraire de ce qui est requis par << les gens du roi, s'ils croient y être obligés par les règles <«< de la justice et par le zèle qu'ils ont pour l'intérêt <«< commun de la société; ainsi, quand on dit que tous les << juges sont en quelque sorte procureurs généraux, c'est << une expression qui signifie, dans ce premier sens, qu'ils <<< sont en droit de faire d'office ce qu'ils estiment que le << procureur général aurait dû faire; mais il n'est nulle<<ment nécessaire pour cela qu'un des conseillers s'érige, «de sa seule autorité, en procureur général, et qu'il << s'attire le reproche d'avoir fait ce qu'il ne pouvait pas, <au lieu de faire ce qu'il pouvait. Le second sens dont <«< la même proposition est encore susceptible, ne peut « avoir lieu que dans des circonstances très-rares, et qu'il << est même de la prudence d'une compagnie d'éviter <«< autant qu'il est possible. Quelque important que << soit l'office des gens du roi, et quoiqu'ils en reçoivent le << caractère des mains du prince seul, de même que les <«< autres ministres de la justice en reçoivent celui de juges, <«< ils ne doivent, cependant, regarder leurs fonctions que <«< comme un secours, qui a paru nécessaire, dans nos <«< mœurs, pour mettre les magistrats en état de tendre << plus facilement au bien public. Ainsi, ils manqueraient << à la plus essentielle de leurs obligations, si ce ministère, <«<qui ne leur est confié que pour aider la justice, deve<< nait, entre leurs mains, un instrument dangereux, dont << ils se serviraient pour en retarder ou pour en empêcher <«<l'administration. S'il arrivait donc, par une supposition << qui doit presque être regardée comme impossible, que <«<les gens du roi différassent avec affectation, ou qu'ils <«<allassent même jusqu'à refuser de prendre des conclu<«<sions, dans une affaire où ils sont obligés d'en donner, «< ce serait alors qu'au défaut ou au refus non-seulement << des avocats et des procureurs généraux, mais de tous. <«<leurs substituts, on pourrait soutenir avec plus de raison

« qu'après qu'ils auraient été avertis de remplir leur « devoir, il ne serait pas juste que leur négligence affec«tée ou leur refus opiniâtre, pût arrêter le cours de la

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justice, et que, dans ces cas, il serait permis à une com«pagnie de commettre un des conseillers, pour exercer « des fonctions que les gens du roi n'auraient pas voulu << remplir. C'est, cependant, une grande question de « savoir, si, dans ces cas même, il n'est pas de la prudence « et de la sagesse d'une compagnie, d'avoir recours au roi, « avant que d'entreprendre de commettre un procureur « général; et c'est, sans doute, le parti le plus régulier « qu'un Parlement puisse prendre dans une pareille con<< joncture soit parce que, régulièrement, les gens du roi « ne doivent rendre compte qu'à Sa Majesté de ce qu'ils <font ou de ce qu'ils ne font pas en son nom, soit parce <«< qu'ils pourraient en avoir reçu des ordres particuliers « qu'il ne conviendrait pas de rendre publics, sans sa << permission, soit, enfin, parce que, tant que l'officier << choisi et institué par le roi est en état d'exercer ses « fonctions, il n'appartient régulièrement à personne d'en «< établir un autre, sans l'agrément de Sa Majesté. Tel « est, en effet, le tempérament que le Parlement de << Paris a pris dans quelques occasions, et l'on ne pour<< rait excuser une compagnie qui aurait négligé cette « précaution, que dans le cas de la mort ou de l'absence «<et de l'éloignement de tout officier du parquet, ou lorsque le besoin du ministère public serait si pressant, « qu'on ne pourrait différer d'y commettre, sans tomber « dans de très-grands inconvénients; et c'est seulement « dans ces deux dernières circonstances, que l'on pour«rait faire valoir le second sens de cette proposition que << tout conseiller est procureur général. »

17. Il résulte des articles du Code d'instruction criminelle que nous avons cités au n° 13, rapprochés du texte de l'art. 1er du Code d'instruction criminelle, 1° que la

maxime de l'ancien droit, que tout juge est officier du ministère public, ne peut plus être appliquée dans le sens que lui donnait Jousse, au moins en thèse générale; 2° que cette même maxime ne peut plus avoir d'application que dans une partie du premier des deux sens expliqués par le chancelier d'Aguesseau; à savoir que les juges ne sont pas liés par les conclusions du ministère public, mais peuvent ou augmenter ou diminuer, suivant qu'ils le croient juste et convenable, la peine requise par les officiers du ministère public, c'est-à-dire, par les gens

du roi.

Mais un tribunal ne saurait, faute par les gens du roi de vouloir conclure, nommer un de ses membres pour remplir les fonctions du ministère public. Les articles que nous venons de rappeler, s'opposeraient à cette

nomination.

D'ailleurs, la nature des dispositions qui, dans certains cas spécialement désignés, accordent aux tribunaux, comme nous le verrons sous la 3° partie du § 4, ci-après, influence sur l'exercice de l'action publique, en leur permettant soit de donner à l'action publique une direction ou une étendue qu'elle n'avait pas, soit d'ordonner au ministère public d'agir, prouvent qu'en tout autre cas, le droit de poursuivre, ou, si l'on veut, le droit d'exercer l'action publique n'appartient pas aux tribunaux; ce qui ne permet plus d'admettre, dans le sens qu'on lui accordait autrefois, la règle que tout juge est officier du ministère public (1).

(1) M. Merlin, Répert., v° Tribunal de police, sect. 2, § 3, sur l'art. 214 du Code d'instruction criminelle, p. 152 et 153, admet encore aujourd'hui, comme applicables, les deux sens donnés par le chancelier d'Aguesseau à l'ancienne règle que tout juge est officier du ministère public. « Assurément, << dit-il, il n'est aucune de ces deux conséquences (celles tirées par le chan« celier d'Aguesseau de la maxime dont s'agit) qui ne soit encore aujourd'hui << en harmonic parfaite avec les règles de notre ordre judiciaire. Aujourd'hui, «< comme en 1730, un tribunal pourrait, sur le refus des gens du roi de << conclure dans une affaire, charger un de ses membres de conclure pour

18. Passons aux différents paragraphes que nous avons annoncés, et que nous distribuerons de la manière suivante :

Dans un premier paragraphe, nous expliquerons les dispositions de la loi concernant les officiers publics chargés de l'exercice de l'action publique, en matière de contraventions et devant les tribunaux de simple police; nous verrons comment ces tribunaux sont saisis de cette action.

Dans un second paragraphe, nous verrons ce qui concerne l'exercice de l'action publique par le procureur impérial, en matière de délits, ou devant les tribunaux correctionnels. Nous y ajouterons l'explication des dispositions de la loi, qui déclarent les tribunaux correctionnels saisis, soit par le renvoi fait par le juge d'instruction ou par la Chambre

« eux. Aujourd'hui, comme en 1730, un tribunal n'est pas lié par les conclu«sions des gens du roi; il peut aujourd'hui, comme il le pouvait en 1730, « les modifier ou les rejeter. » — Toutefois, M. Merlin ajoute ensuite qu'il résulte de l'art. 1er du Code d'instruction criminelle, que les gens du roi ont seuls et exclusivement l'action publique pour la poursuite et la punition des délits et des crimes; et il tire de cette doctrine cette conséquence que, lorsque le ministère public n'a point appelé d'un jugement dont le condamné seul a interjeté appel, le tribunal ne peut, comme si les gens du roi avaient eux-mêmes appelé, aggraver la peine prononcée par les premiers juges. M. Mangin, no 98, n'admet point, plus que nous, la doctrine enseignée par Jousse dans le passage précité. Il la croit repoussée par l'art. 1er du Code d'instruction criminelle; mais il ne s'explique pas sur la doctrine du chancelier d'Aguesseau, qu'il cite, cependant, sans dire si elle serait aujourd'hui applicable ou non.

Au no 25 d'une savante dissertation Rev. hist., t. 3, p. 142 et suiv., Durand, 1857, laquelle est intitulée: De l'adage que tout juge est officier du ministère public, et de son application tant dans l'ancien droit que dans le droit actuel, M. Eug. Paringault, docteur en droit, alors procureur impérial à Beauvais, rejette, comine nous, l'opinion de M. Merlin. M. Morin, Rép., v° Ministère public, no 19, enseigne que la règle que tout juge est officier du ministère public ne s'applique aujourd'hui ni à la police judiciaire, ni à l'action publique, mais au service des audiences; en ce sens que le tribunal,en cas d'absence des officiers du ministère public et après les avoir avertis, peut commettre un juge ou conseiller pour les remplacer. De même, M. F. Hélie, t. 2, p. 196. M. Dalloz, 2 édit., v° Instr. crim., no 41, et vo Ministère public, no 240, enseigne que la maxime n'est plus applicable aujourd'hui. De même, M. Trébutien, t. 2, p. 11 in fine et 12.

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