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du § 3), il n'est pas douteux, ainsi que nous l'avons vu par le passage de M. Henrion de Pansey, cité au numéro précédent, il n'est pas douteux qu'il ne puisse point en arrêter les suites, pas plus qu'il n'est libre de ne pas exercer l'action: autrement, l'obligation qui lui est imposée, dans ces différents cas, d'exercer l'action publique, serait illusoire, puisqu'il dépendrait de lui d'en arrêter à volonté les conséquences et d'en paralyser les effets.

La question ne peut donc s'élever que pour les cas où le ministère public était libre d'exercer, ou non, l'action publique or, pour ces cas, comme pour les premiers, il est de principe constant que le ministère public ne peut arrêter le cours de l'action publique, après avoir intenté cette action, et lorsque les tribunaux criminels en ont été saisis. En effet, son désistement n'empêcherait pas de nouvelles poursuites, s'il voulait en intenter: pas plus que, dans les procès civils, le désistement de celui qui avait formé une demande, ne l'empêche de la former ensuite de nouveau. Nous avons même établi ci-dessus, n° 118, que, la renonciation du ministère public à l'action publique, hors les cas et les modes prescrits par la loi, ne l'empêcherait pas d'exercer ultérieurement des poursuites, s'il le jugeait convenable. Or, l'ordre public ne permet pas que, dans les matières criminelles, un citoyen puisse être ainsi inquiété à chaque instant, suivant les caprices des magistrats chargés de l'exercice de l'action publique.

D'ailleurs, si le désistement du ministère public arrêtait l'action publique, il s'ensuivrait, par parité de motifs, que les tribunaux criminels ne pourraient infliger au fait reconnu constant, une peine plus grande que celle requise par le ministère public, puisque, relativement à l'excédant de la peine par lui requise, le ministère public est censé se désister des poursuites exercées par lui, et des conséquences possibles de ces poursuites: or, il est incontestable, comme nous l'avons établi ci-dessus : 1° sous les nos 16 et 17, en examinant quel était autrefois, et quel peut être

encore aujourd'hui le sens de l'ancien adage que tout juge est officier du ministère public; 2° sous les n° 69 et 70, en traitant la question de savoir si le tribunal correctionnel, saisi par la citation directe donnée à la requête de la partie civile, peut appliquer la peine sans que le ministère public ait pris, sur la question publique, aucune conclusion, il est incontestable, disons-nous, que les tribunaux criminels peuvent excéder, et ils excèdent souvent, pour l'application de la peine, les réquisitions du ministère public, comme souvent ils appliquent une peine moins forte que celle que le ministère public avait requise.

Notre doctrine est celle de tous les criminalistes (1). << Le ministère public, dit M. Mangin, est l'agent de la << société; c'est au nom, c'est dans l'intérêt de celle-ci <«< qu'il agit, et non dans un intérêt qui lui est personnel. <«< Dès qu'il a fait un acte, cet acte ne lui appartient plus; << il ne lui est point permis de le rétracter; la loi s'en em<< pare, elle le défère aux tribunaux ; il ne peut pas les en << dessaisir. >>

256. Ajoutons que la solution qui précède serait applicable, lors même que l'individu contre qui les poursuites ont été commencées, demanderait acte du désistement du ministère public, et conclurait à ce que le procès n'eût

(1) Rousseaud de la Combe, Mat. crim., p. 244; MM. Merlin, Quest. de droit, t. 5, vo Minist. publ., § 5, p. 532; Henrion de Pansey, cité sous le n° 254, ci-dessus; Morin, Journ. du droit crim., 1859, art. 6832, Observ.; Dalloz, 1" édit., v• Organisat. judic., chap. 2, sect. 2, no 11, t. 11, p. 31, et 2o édit., vo Instr. crim., no 129; Rauter, nos 719 ct 742; Mangin, no 32; Trébutien, t. 2, p. 14; F. Hélie, t. 2, § 119, p. 399 et suiv.; Hoffman, t. 1er, no 18. Sie aussi, arrêts des 14 pluv. an XII, Bull. no 64; 3 janvier, 25 sept., 6 déc. 1834, Bull. no 8, 320, 393; 28 mars 1835, Bull. n° 116; 9 juill. 1840, Bull. n° 198. Par suite des mêmes principes, la Cour de cassation a décidé plusieurs fois que le ministère public ne pouvait, en se désistant du pourvoi en cassation qu'il avait formé, enlever à la Cour de cassation le droit de statuer sur ce pourvoi; V. arrêts des 24 brum. an IV, Bull. n° 100; 2 mars 1827, Bull. n° 46; 15 juill. 1836, Bull. n° 234; 21 nov. 1839, Bull. no 353; 9 juill. 1840, Bull. n° 198.

aucune suite en effet, il résulte des art. 190 et 191 du Code d'instruction criminelle, que les tribunaux correctionnels doivent appliquer la peine, quelles que soient les conclusions du ministère public, et lors même qu'elles seraient à décharge; par conséquent aussi, lorsque le ministère public se désiste, et quoique le prévenu demande acte du désistement.

SV.

Le ministère public peut-il être récusé dans les affaires

criminelles ?

SOMMAIRE.

257. Le ministère public ne peut être récusé devant les tribunaux criminels.

257. L'art. 381 du Code de procédure civile décide, pour les matières civiles, que les causes de récusation relatives aux juges, sont applicables au ministère public, lorsqu'il est partie jointe; mais qu'il n'est pas récusable quand il est partie principale.

Le Code d'instruction criminelle n'ayant établi aucune règles péciale sur les causes de récusation en matière criminelle, il en résulte que l'on doit suivre, dans ces matières, les dispositions du Code de procédure civile (1); d'où la conséquence que le ministère public étant toujours partie principale dans les procès criminels, ne saurait être récusé. Ajoutons que le motif qui empêche qu'on ne puisse récuser le ministère public lorsqu'il est partie principale,

(1) Sic arrêts des 3 août 1838, Bull., no 259; Cass., 2 mai 1867, Dall., 1867, 1, 367, et Journ. du droit crim., 1867, p. 191, art. 8423, où M. Morin l'approuve; MM. Bourguignon, Jurisprud. des codes crim., no 5, sur l'art. 252 du Code d'instr. crim.; Le Graverend, t. 2, p. 45 et suiv.; Carnot, no 5, et Observ. addit., no 1, sur l'art. 180 du Code d'instr. crim., et noo 4 et suiv., l'art. 257, ibid. ; Nouguier, t. 2, no 1099.

TOME I.

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c'est que, alors, il est le véritable adversaire de celui contre qui le procès est dirigé: or, on ne peut récuser son adversaire, puisque ce serait récuser le procès lui-même. Ce motif, on le comprend facilement, s'applique encore plus dans les matières criminelles que dans les matières civiles, puisque la société, dont le ministère public est l'organe, est plus intéressée dans les premiers procès que dans les derniers.

Toutefois, des objections sont faites contre la doctrine qui défend de récuser le ministère public, lorsqu'il est partie principale. Déjà, dans l'ancien droit, où, cependant, elle était généralement admise (1), elle avait été traitée de dangereuse absurdité (V. Répert., v° Ministère public, § 5, n° 6); et, sous la législation nouvelle, la plupart des raisonnements que l'on avait présentés autrefois pour justifier ce reproche, ont été reproduits par M. Mangin, qui reconnaît, d'ailleurs, l'exactitude en fait et aux yeux de la loi, de la doctrine qu'il attaque en théorie.

<«<Le ministère public est récusable, lorsqu'il n'est <«<que partie jointe, dit M. Mangin (n° 117, p. 234 <«<et 235). Pourquoi cela? parce que la loi n'admet << que des organes purs et désintéressés; parce qu'elle << suppose que l'opinion que le ministère public ex« prime, peut agir sur la détermination des juges. Elle « n'a ôté aux parties lésées par un délit, l'action pour <«<l'application des peines, qu'afin que cette action fût << indépendante de tout intérêt privé, et que la so«<ciété n'eût que des organes impassibles; or, à moins << de supposer que le ministère public, quand il est par<«<tie principale, est plus à l'abri de toute passion que << quand il est partie jointe, on ne comprend pas qu'il ne << soit pas récusable. On objecte que, dans la poursuite

(1) V., notamment, d'Aguesseau, qui, dans une lettre du 5 mai 1731, t. 8, p. 10, la cite comme un principe certain; Jousse, Just. crim., t. 1, p. 560; Serpillon, t. 2, p. 992 et 993; Rousseaud de la Combe, Mat. crim., p. 153; Muyart de Vouglans, Lois crim., 2o part., p. 585.

« des délits, le ministère public n'est qu'une partie, qu'il << n'est pas juge de son action, qu'il comparaît avec le « prévenu devant un tribunal qui tient entre eux une « balance égale. On oublie, en parlant ainsi, que l'in«fluence et la force sont entièrement du côté du ministère «public; le soupçon et l'isolement du côté du prévenu: << que, dans l'instruction, le ministère public exerce une << direction à laquelle l'inculpé est étranger; et qu'à l'au«<dience, il ne paraît que comme organe des plus chers « intérêts de la société; qu'il y est ministre de la loi. Et, « cependant, s'il trouve, dans ses intérêts ou dans ses << affections, d'autres désirs, d'autres vues que ceux que « son ministère exige, le prévenu ne peut le récuser! << Cela ne me paraît ni rationnel, ni humain. Il est peu à «< craindre, sans doute, que les officiers du ministère public abusent de ce qu'on est convenu d'appeler la « prérogative de n'être pas sujets à récusation; il n'est << pas un seul d'entre eux qui ne s'empressât de s'abstenir << de la connaissance d'une affaire dans laquelle il ne serait « pas désintéressé. Mais, la même loyauté existe certaine«ment dans les juges; et, cependant, la loi a permis de les « récuser; elle l'a permis, non par défiance de leur hon<< neur, mais pour mieux assurer le respect dû aux déci«<sions de la justice, en ne laissant aucun prétexte aux « parties pour en faire suspecter l'impartialité. Le droit « de récusation est une garantie offerte à la justice elle« même; et puisque le parquet est associé à son adminis«tration, cette garantie devrait lui être commune. »

A ces observations, il faut répondre, avec l'éditeur de M. Mangin, dans une note insérée sous le n° 117 précité, que les considérations présentées par cet auteur, sont graves, sans doute; mais que, d'un autre côté, l'indépendance de l'action publique disparaîtrait, si celui qui l'exerce pouvait être, à chaque instant, récusé, et, par cela même, soumis au contrôle du tribunal chargé de juger la récusation.

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