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<«<nistie, leur soumission deviendrait sincère. On a dit, et << sans doute avec raison, que le supplice d'Anne Du<<bourg avait fait plus de réformés, que les ouvrages de << Luther et de Calvin. - Il importe souvent en politique de << ne pas faire tout ce que l'on peut : avant que de prendre << un parti, il faut commencer par s'assurer que la somme << du bien que l'on peut s'en promettre, est plus forte que la << somme du mal qui pourrait en résulter; et ce serait, dans << beaucoup de circonstances, s'ôter un grand moyen de ra<< mener la tranquillité publique, que de contester au << Roi le droit d'amnistier dans toute sa plénitude. <<< L'auteur de la brochure donne pour preuve que les crimes qui violent les lois de la nature ne peuvent être << amnistiés, le refus que fit le chancelier Voisin de << sceller les lettres de grâce que Louis XIV avait accor<«<dées à un meurtrier; mais, ces lettres pouvaient avoir été <«<le fruit de l'obreption. La justice du Roi pouvait avoir << été trompée. Telles furent, sans doute, les motifs qui << décidèrent Louis XIV à se rendre aux observations du << Chancelier. Si l'auteur avait pris la peine de compulser <«<les archives du grand sceau, il se serait convaincu que, << sous tous les règnes, des grâces ont été accordées à des << meurtriers, et que les lettres en ont été scellées par les << plus illustres chanceliers. Il y aurait vu particulière<«<ment que plusieurs lettres de grâce furent successive<<ment accordées par le Roi au comte de Charollois, qui << se faisait un jeu de la vie des hommes, et chacun sait << qu'en signant les dernières, le Roi déclara d'une manière << solennelle qu'il accorderait de même la grâce au meur<< trier du comte, si celui-ci ne changeait pas de conduite. " Nous conclurons de cette discussion, dit, en termi<<nant, M. Carnot .

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« - Que l'amnistie est une des prérogatives de la souve<«<raineté, qui ne pourrait être contestée au Roi, en tout <<ni en partie, sans violer les principes sur lesquels repose

<< notre droit public, et sans blesser les règles d'une saine << politique; - Enfin, que l'amnistie ayant été accordée, <«< il y a droit irrévocablement acquis à l'amnistié; qu'au<cune puissance humaine ne peut légalement l'en priver.» Nous adopterons la doctrine professée par MM.Le Graverend et Carnot (1).

En effet, ou l'amnistie est antérieure aux condamnations, ou elle est postérieure.

Si elle est postérieure, elle n'est alors, évidemment, que l'exercice du droit de grâce appliqué non pas à un individu en particulier, comme cela a lieu d'ordinaire, mais à toute une classe d'individus; en un mot, c'est une grâce collective ou générale : or, le droit de faire grâce appartient, sans contestation, au Souverain, et au Souverain seul par conséquent, le droit d'accorder amnistie postérieurement aux condamnations, ne saurait lui être refusé.

(1) De même, MM. Dalloz, 2e édit., vo Amnistie, n° 23; Trébutien, t. 1, p. 334; Rodière, p. 32; Blanche, t. 1, no 164, in decursu. — M. F. Hélie, t. 3. § 196, p. 747 et suiv., enseigne qu'en théorie le droit d'accorder amnistie ne devrait appartenir qu'à l'autorité législative; mais qu'en fait, et en présence soit de l'usage contraire, soit des circonstances qui en imposent souvent la nécessité, il est impossible de méconnaître, pour le pouvoir exécutif, le droit résultant d'une délégation tacite du législateur. - M. Demolombe, t. 1, no 236 in fine enseigne que le droit d'amnistie n'appartient qu'au législateur; de même, M. Bertauld, p. 461. Dans ses Princip. génér. du dr. pén. belge, 1869, nos 746 et 747, M. Haus enseigne : 1° qu'au point de vue juridique, le droit d'amnistie n'appartient pas à la puissance exécutive qui a pour mission d'exécuter les lois et les décisions judiciaires; 2° qu'elle n'appartient au pouvoir législatif que lorsqu'elle défend d'entamer des poursuites: elle n'est alors qu'une dispense de la loi ; or, le pouvoir qui fait la loi peut aussi en suspendre l'exécution. Le législateur empiéterait, au contraire, sur le pouvoir judiciaire, en abolissant les poursuites commencées et les mandats décernés par ce dernier. Cet empiètement serait bien plus grave, si l'acte legislatif anéantissait la chose jugéc ; 3o qu'en examinant la question exclusivement au point de vue de l'intérêt social, on n'hésitera pas à revendiquer ce droit en faveur du monarque. Le but de l'amnistie, qui est de rétablir le calme dans les esprits, serait difficilement atteint, si elle devait être soumise au contrôle, des pouvoirs politiques et devenir l'objet d'une discussion longue et passionnée.

Si, au contraire, l'amnistie est antérieure aux condamnations, il faut remarquer, alors, avec M. Carnot (no 11 sur l'art. 1er du Code d'instruction criminelle, et n° 7, Observations préliminaires sur le chapitre des demandes en révision, t. 3, p. 233), que l'amnistie est une grâce anticipée, qui, ainsi que le dit encore le même auteur, et avec lui M. Le Graverend (t. 1, p. 57), met obstacle à l'exercice de l'action publique, parce que, comme le proclament les considérants d'un arrêt du 11 juin 1825 (Bull., n° 114), l'amnistie << porte avec elle l'abolition des délits qui en sont « l'objet, des poursuites faites ou à faire, des condamnations « qui auraient été ou pourraient être prononcées : tellement « que ces délits, couverts du voile de la loi par la puissance « et la clémence royales, sont, au regard des cours et des « tribunaux, sauf le droit des tiers en réparation du dom«mage par action civile, comme s'ils n'avaient jamais été « commis. >>

<< Il serait étrange, remarque M. Rodière (p. 32), que <«< celui (le Souverain) qui peut faire tomber les fers d'un «< condamné, ne pût faire cesser la détention d'un pré<< venu, ou dissiper les craintes de poursuites qui l'assié<<gent à son foyer. »

Si l'on joint à ces motifs, les considérations politiques présentées avec tant de raison par M. Carnot; si l'on y ajoute, avec M. Bérenger, dans la discussion qui eut lieu à la Chambre des députés, sur la loi des 27 et 30 janvier 1835, relative au crédit à ouvrir pour les dépenses nécessitées par le procès d'avril dont était saisie la Chambre des pairs, que soumettre à une assemblée délibérante et nombreuse un projet d'amnistie, ce serait souvent exciter des discussions véhémentes, et manquer le but de l'amnistie, en irritant plus que jamais les esprits qu'elle était destinée à calmer; si l'on remarque encore, avec le même orateur, qu'il serait impossible à cette même assemblée, de distinguer, avec le calme et l'impartialité nécessaires, les exceptions à apporter à l'amnistie; enfin, si, toujours avec

M. Bérenger, on fait attention qu'il y a, pour la publication de l'amnistie, une opportunité qu'il faut savoir saisir; que cette publication ne produit de bons effets que lorsqu'elle intervient dans le moment convenable; que, pour être bonne et utile, elle ne veut être ni devancée, ni ajournée; et que pour les cas où les corps législatifs ne seraient pas assemblés, et où des circonstances impérieuses ne permettraient pas de les réunir, refuser au Souverain le droit de proclamer amnistie, ce serait souvent obliger la Couronne à demeurer spectatrice impuissante d'un mal que l'amnistie pourrait calmer, et auquel il lui serait impossible d'apporter remède; il sera difficile, nous le croyons, de ne point décider affirmativement la question de savoir, si, dans les gouvernements représentatifs, où le pouvoir législatif n'est pas concentré entre les mains du prince, le pouvoir d'amnistier appartient, ou non, exclusivement au Souverain.

<< Le droit d'amnistie confié à la Couronne, disait encore, << à la Chambre des députés, M. Bérenger, est une préro<<gative toute de paix, toute de concorde. Elle ne lui est << accordée qu'à charge d'en user, comme, en effet, elle << ne peut en user, que pour protéger les faibles contre les <«<forts, les vaincus contre les vainqueurs; si c'est aux << majorités parlementaires que vous la contraignez de << demander des mesures de clémence, ne vous le dissimu<«<lez pas, vous les obtiendrez rarement; car, ces majori«<tés, le plus souvent liées à des systèmes, irritées des <«< contradictions qu'elles éprouvent, blessées dans leur << amour-propre, et fières de leur victoire, sont ordinaire<<ment avares d'indulgence. Tandis que le monarque, juge impassible des événements; lui, dans l'âme duquel << il ne peut entrer ni ressentiment, ni haine; lui, intéressé << plus que personne à la pacification du pays, est seul << placé assez haut pour servir de modérateur entre les « partis, et pour les forcer au repos. -En un mot, Mes«<sieurs, en refusant de reconnaître à la Couronne une

<< prérogative aussi libérale dans ses effets, vous perpé<<< tuerez à jamais l'anathème contre ceux qui auront suc<«< combé, et vous rendrez toujours possible l'oppression de << ceux qui, rarement, résistent à l'ivresse du triomphe,

Enfin, et pour dernière considération, nous dirons, avec l'orateur précité, que contester à la Couronne le droit d'amnistie, ce serait détruire tous les effets moraux d'une mesure si bienfaisante, et tarir dans le cœur de ceux qui seraient l'objet de l'amnistie, la source de toute reconnaissance envers le monarque.

370. Les principes que nous venons d'adopter, n'ont pas cessé d'être suivis en France, depuis l'établissement du gouvernement représentatif; et depuis cette époque, comme auparavant, le droit d'accorder des amnisties a toujours été exercé par le pouvoir royal, ou par le pouvoir qui en tenait la place (1). Toutefois, la Constitution de 1848 (art. 55), qui attribuait au Président de la République le droit de faire grâce après avoir pris l'avis du Conseil d'État, avait déclaré que les amnisties ne pourraient être accordées que par une loi. La Constitution du 14 janvier 1852, par son art. 9, aujourd'hui abrogé par le Sénatus-Consulte des 25-30 décembre 1852, art. 17, avait accordé au Président de la République le droit de faire grâce; mais n'avait point parlé du droit d'amnistier. Après le rétablissement du Gouvernement impérial, le Sénatus-Consulte des 25-30 décembre 1852, art. 1°, a formellement déclaré que l'Empereur avait, indépendamment du droit de faire grâce, celui d'accorder des amnisties.

(1) V. notamment l'arrêté du 25 pluviose an VI; celui du 25 thermidor an VIII; le décret du 25 mars 1810; les ordonnances des 23 et 26 avril 1814; 5 avril de la même année; 13 janv. 1815; 3 mai 1816; 19 juin 1816; 13 nov. 1816; 13 août 1817; 4, 7, 11 et 20 oct. 1820; 3 et 14 nov. 1827; 8 mai 1837, 27 avril 1840; les décrets des 6 el 22 janv. 1852; 15 et 22 janv. id.; 13 janv. el 1er fév., id.; et autres de la même année; 13 août et 19 oct. 1853; 17 mars 1856 et autres de la même année; 16 août 1859; 17 sept. 1864; 14 août 1869.

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