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7. Ces systèmes étaient pleins d'inconvénients, et celui de notre législation leur est bien préférable.

En effet, l'action confiée à tous les citoyens, cuivis è populo, était souvent intentée inconsidérément ou par vengeance. Chez nous, ce danger n'est pas à craindre; le magistrat chargé de la poursuite du crime, étant censé, comme la loi elle-même dont il est l'organe, n'agir qu'avec maturité et toujours sans haine. « C'a esté sagement et <«<humainement faict, dit Ayrault (liv. 2, art. 4, n° 25), << de l'avoir planté et subrogé (le procureur du roy) au <«< lieu de ceux qui en Estat populaire se mesloient d'ac<«<cuser autruy sans intérest particulier qu'ils eussent; << ç'a esté apporter une grande douceur à la société << humaine, que de remettre en une personne seule ce qui << est simplement du public: oster toutes ces actions popu<«<laires, et la licence vague et indéfinie de se rechercher et << entremanger, sous prétexte d'un zèle qu'on dit avoir. »

La poursuite permise à tous les particuliers, devait, en outre, engendrer les plus vives animosités entre les familles. Cet inconvénient n'existe pas chez nous, puisque le magistrat qui poursuit le crime, ne fait que remplir un devoir et s'acquitter d'une obligation qui lui sont imposés par la loi, et qu'il ne peut se dispenser de leur accomplis

sement.

De plus, comme le remarque Domat (Droit public, liv. 3, p. 191), le système des législations modernes, rend la police conforme à l'esprit de la religion chrétienne, qui met entre les mains du prince et de ses officiers, le droit de venger et de punir les crimes, et qui défend la vengeance aux particuliers (1).

(1) On peut lire avec beaucoup d'intérêt, sur le droit de vengeance, sa légitimité, son caractère propre, ses rapports avec les origines et le développement du droit pénal, une belle Étude de M. Albert du Boys, ancien magistrat ; Rev. histor., t. 2, p. 165 et suiv.; Durand, 1836. Cette Étude a été reproduite en appendice à la fin du 2° volume de l'Histoire du droit criminel des peuples modernes, par le même auteur, p. 707 et suiv. Déjà, M. du Boys,

Aussi, l'établissement du ministère public est-il, comme on l'a souvent répété, une des plus belles institutions des temps modernes. « Nous avons aujourd'hui une loi admi

rable, écrit Montesquieu (Esprit des Lois, liv. 6, c. 8); « c'est celle qui veut que le prince, établi pour faire << exécuter les lois, prépose un officier dans chaque tribu«<nal, pour poursuivre en son nom tous les crimes: de telle sorte que la fonction des délateurs est inconnue « parmi nous. >>>

«L'établissement d'une partie publique, dit, de son « côté, M. Henrion de Pansey (De l'Autorité judiciaire, chap. 14), c'est-à-dire, d'un fonctionnaire obligé, par le << titre de son office, de surveiller les actions de tous les citoyens, de dénoncer aux tribunaux tout ce qui pour<< rait troubler l'harmonie sociale, et d'appeler l'attention des juges et la vengeance des lois sur tous les crimes, « même sur les moindres délits, est un des plus grands pas << que les hommes aient faits vers la civilisation; et cette institution appartient aux temps modernes. >>

8. C'est, on le voit, avec raison qu'à l'audience de rentrée de la Cour de cassation, du 3 novembre 1868, M. l'avocat général Blanche, non moins éminent magistrat qu'éminent jurisconsulte, a signalé les inconvénients que présenterait la suppression de l'institution du ministère public et son remplacement par la partie offensée ou par des accusateurs volontaires. Ce serait, dit M. Blanche, << livrer la société aux plus affreux dangers. Fréquemment, << la partie offensée pardonnera, transigera, en un mot, se taira par crainte ou par intérêt. Les accusateurs volon<< taires seront-ils assez dévoués pour s'exposer aux em«barras et aux frais d'un procès onéreux; assez courageux

avec son érudition accoutumée, avait traité la question historique du droit de vengeance, dans le 1er volume du même ouvrage, p. 12 et suiv. Il en avait spécialement parlé, pour Rome, dans son Histoire du droit criminel des peuples anciens, chap. 9, p. 259 et suiv.

<< pour affronter la haine et la vengeance du prévenu, de «ses complices, de ses parents, de ses amis? »

Et plus loin, faisant remarquer combien les inconvénients de l'absence d'une institution du ministère public étaient sentis en Angleterre, il ajoute: «Si l'Angleterre << n'a pas encore de ministère public, ce n'est donc pas << qu'elle en méconnaisse l'utilité. Mais, prudente et sage, <«<elle cherche à concilier cette institution avec son orga«nisation judiciaire et à la mettre en rapport avec sa <«< constitution politique. Des associations de toute sorte << se sont constituées: société pour prévenir la corrup<«<tion de la jeunesse; société pour arrêter la publication << des gravures et des livres obscènes; société pour dénon<«<cer les fautes du corps médical; société pour rechercher << la falsification des papiers publics et autres valeurs de << crédit; société pour poursuivre les vols de chevaux. Je << n'en finirais pas si je les énumérais toutes. D'après un <«document cité dans un ouvrage que j'ai eu sous les << yeux, elles dépassaient déjà, il y a trente ans, le nombre << de 500. Chacune de ces associations travaille, dans sa << direction, à conserver la paix du royaume (servare «pacem), en livrant aux tribunaux les auteurs des crimes « et des délits, dont elle s'est imposé le devoir d'assurer <<< la répression. En outre, les grandes villes, telles que << Liverpool, Manchester et quelques autres, se sont donné << des agents spéciaux, chargés de poursuivre les offenses <<< commises dans leur territoire. »

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9. Il est difficile de ne pas reconnaître l'idée première du ministère public dans l'usage qui existait à Athènes de désigner des orateurs chargés de soutenir, dans l'intérêt de la République, certaines accusations (1). C'est ainsi que

(1) Barthélemy, Voy. d'Anach., t. 2, chap. 14, p. 282; MM. Albert du Boys, Hist. du dr. crim. des peupl. anc., p. 134 et 155; F. Hélic, t. 1, § 4, p. 21; Bécot, De l'organisat. de la just. répress. aux princip. époques historiques, p. 11.

Démosthènes avait été nommé, dans une assemblée du peuple, pour accuser Aristogiton (1).

De même, à Rome, il y avait des poursuites d'office, dans certains cas (V. notamment, L. 13, Dig., De offic., præsidis; L. 3, eod. tit.; L. 4, § 2, Dig., Ad. leg. Jul. peculatûs; L. 7, Cod., De accusatorib.; L. 1, Cod. Theod., De custod. reor.; L. 1, Cod., eod. tit.). Ces poursuites paraissent également renfermer en germe l'idée du ministère public (2). « Observandum est, dit Duaren (in tit. De « accusat. et inscript., p. 824, cap. 1), denuntiationem ab « accusatione differre, quæ citrà inscriptionem ullam reci« pitur. Ea autem magistratibus olim fieri consuevit per « certos homines quibus id publicè mandatum fuerat (3), ne « graviora facinora, deficientibus forte accusatoribus, im« punita manerent. » (L. Ea quid., infrà, De appellat.; L. Ab accusatione, § Nuntiatores, Ad S. C. Turpillian.) — Et au titre De custodiâ reorum, cap. 1, p. 825: « Utimur « hoc jure, reos dari in custodiam duobus modis, vel accu<< satore libellum inscriptionis dante et subscribente (L. Libel« lorum, De accusationib.); vel nuntiatore crimen magis«tratibus denuntiante, confecto elogio, vel notorio, quam « informationem vocamus, cui posteriori magis accedit « praxis Franciæ. »

(1) Harangue re contre Aristogiton; Trad. par l'abbé Auger. t. 4, p. 372.

(2) MM. F. Hélie, t. 1, § 23, p. 120 et suiv.; Bécot, De l'organisat. de la just. répress. aux princip. époq. histor., p. 105, 106 et 107. M. Griolet va plus loin, et, De l'autorité de la chose jugée, p. 197, il énonce qu'après la destruction de la République, « les fonctionnaires de l'Empire connaissaient a de tous les crimes et pouvaient les poursuivre d'office. » Il ajoute, toutefois, quelques lignes plus bas, que « nous n'avons aucun texte relatif au cas de « poursuite d'office, » ce qui ne peut être maintenu d'une manière absolue en présence des textes que nous citons dans ce numéro.

(2) V. G., les Irénarques, V. Cod., liv. 10, tit. 75, De Irenarchis, 1. unic. - Voir, sur ces magistrats, les explications de Cujas, Ad leg., 9, Cod., De jure fisci.; et Observat., lib. 1, cap. 33; celles de du Cange, vo Irenarchæ, et de Jacques Godefroy sur le Cod. Théod., liv. 10, tit. 14. Voir aussi la L. 18, §7, Dig., De munerib. et honorib.; M. Bécot, ubi suprà.

Voët s'exprime dans le même sens (Ad Pandect., liv. 48, tit. 2, no 1).

Suivant M. Henrion de Pansey (De l'Autorité judic., note sur le chap. 14), l'idée de l'établissement du ministère public a peut-être eu pour origine l'usage dont parle Beaumanoir (Cout. de Beauvoisis, chap. 61, 2 alin.), et suivant lequel, dans certains cas, la poursuite des criminels était confiée à un membre du tribunal. « Se chil qui <«< vient acuser vient il puet denoncier au juge que tel << meffes a esté fes à la veue et à la seue de tant de << bonnes gens qu'il ne puet estre celés, et seur che il en << doit fere comme bons juge, et en doit enquerre tout soit << che que le partie ne se vueille couchier en enqueste, et <«< se il trueve le meffet notoire et apert, il le puet justi<«< cier selonc le meffet, car male chose seroit se l'en avoit << ocis mon prochein parent en pleine feste, ou devant << grant plante de bonnes gens se il convenoit que je me <<< combatisse pour le vengement pourcachier et pour che << puet on en tex cas qui sont apert aler avant par voie de <<< denonciation. >>

Il est permis également de regarder comme l'une des origines indirectes du ministère public, un autre usage attesté par le 9o des Capita extravagantia de la loi salique, publiés par le savant et regrettable M. Pardessus, que nous nous glorifierons toujours d'avoir eu pour maître avant d'avoir eu l'honneur de devenir son collègue. Ce chapitre est ainsi conçu: «Sicut adsolet homo juxta villa aut inter duas villas «proximas sibi vicinas fuerit interfectus, ut homicida illa « non appareat, sic debet judex, hoc est comis aut grafio, «ad loco accedere et ibi cornu sonare debet. Et si (venerit « qui corpus cognoscit occisi, sic parentibus in notitia pona«tur. Si vero) non venerit qui corpus cognoscat, tunc vicini «< illi in quorum campo vel EXITUM (1) corpus inventum

(1) « EXITUM facere, pro EXUERE, devestiri, quasi EXIRE EX RE ALIQUA, « rem dimittere. » Du Cange, Glossaire, vo Exitus. Exitum serait donc,

dans ce sens, une corruption de exutum.

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