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Comme on le voit, avant le jugement définitif, l'Administration forestière peut transiger même sur les peines corporelles (1).

424. De ce qu'en matière de douanes, et de contributions indirectes (de même, en matière de postes et de délits forestiers dans les cas précités), les amendes et confiscations doivent être considérées comme des réparations civiles, et peuvent être l'objet de transactions, il résulte que les transactions consenties par le fisc, arrêtent les poursuites qui pourraient être dirigées contre les contrevenants, et qui auraient pour objet de faire prononcer des amendes ou confiscations (2).

425. Mais, la Cour de cassation a été plus loin, et elle a décidé que les transactions consenties soit par l'Administration des contributions indirectes, soit par l'Administration des douanes, empêchaient non-seulement de prononcer l'amende et la confiscation, mais même de prononcer l'emprisonnement dans les cas où il était prononcé par la loi.

La Cour de cassation s'est fondée sur ce que les dispositions qui autorisent les Administrations des contributions indirectes et des douanes à transiger, ne font aucune distinction entre la condamnation à l'amende et à la confiscation, et la condamnation à l'emprisonnement, et sur ce que les motifs d'équité qui ont fait autoriser les transac

(1) Un jugement de Châtillon-sur-Seine, du 5 juillet 1860, Dall., 1860, 3, 47, a décidé que le droit de transaction accordé à l'Administration forestière ne s'étendait point aux délits de chasse commis dans les forêts. De même, arrêts de Metz, 4 juillet 1866, Dall., 1866, 2, 165; et Rouen, 12 mars 1867, Dall., 1867, 1, 459; mais, ce dernier arrêt a été cassé le 2 août 1867, ibid. — De même aussi, autre arrêt de Rouen, 1or mai 1868, lequel a été cassé également par arrêt du 24 déc. 1868, sous la présidence de M. F. Hélie, f. f. de prés., Dall., 1869, 1, 209. - Sur renvoi devant la cour de Caen, prononcé par l'arrêt de 1868, cette cour, par arrêt du 7 avril 1869, Dall., 1860, 2, 116, a adopté la doctrine de la Cour de

cassation.

(2) Arrêts des 26 mars 1830, Bull., n° 80, et 30 juin 1820, Bull., noo 93 et 94. - M. F. Hélie, t. 3, § 199, p. 765.

tions à consentir par ces administrations, ne permettent
aucune distinction entre les diverses peines.

<< Attendu, porte, sur ce dernier motif, l'un des consi-
dérants de l'arrêt du 26 mars 1830, qui n'a fait que re-
produire à peu près dans les mêmes termes l'un des consi-
dérants de l'arrêt du 30 juin 1820, » attendu « qu'un des

motifs de cette ordonnance (celle du 3 janvier 1821) est
<< qu'il serait, dans certains cas, contre l'équité, d'appli-
<«< quer rigoureusement les peines de la fraude, et que son
<< vœu ne serait pas rempli, si, lorsqu'il y a eu transaction
<< sur une contravention ou un délit en matière de contri-
<«<butions indirectes, entre l'Administration et le prévenu,
<«<l'action publique pouvait être encore intentée et suivie
<< devant les tribunaux, puisqu'il est expressément dé-
<< fendu aux juges d'excuser les contrevenants sur l'inten-
«<tion, et que, lorsque le fait de la contravention a été
<< régulièrement constaté, ils ne peuvent se dispenser de
<< prononcer dans toute leur rigueur, les peines portées par
<< les lois (1). >>

Il nous semble que le premier des motifs invoqués par la
Cour de cassation, ne peut être admis; d'abord, parce que
des ordonnances ou arrêtés n'auraient pu enlever au mi-
nistère public le droit que la loi lui accorde, d'exercer l'ac-
tion publique pour l'application des peines, et ce nonobstant
les transactions des parties lésées; et en second lieu,
parce que, de fait, les ordonnances et arrêtés autorisant les
transactions de l'Administration des contributions indi-
rectes et de l'Administration des douanes,ne les autorisent
que relativement à des sommes d'argent, mais nullement
relativement à la peine de l'emprisonnement.

Quant au second motif invoqué par la Cour de cassation,
il prouve seulement que le législateur aurait pu autoriser,
par un texte formel, l'Administration à transiger même sur
la peine de l'emprisonnement; mais, à défaut de texte

(1) De même, Rej., ch. crim., 27 nov. 1858, Dall., 1859, 1, 41.

formel, ce droit ne saurait lui être reconnu. Accorder, en
l'absence d'un texte formel, à l'Administration des contri-
butions indirectes ou à celle des douanes, le droit d'empê-
cher, par une transaction, les poursuites même quant à
l'emprisonnement, ce serait, remarque fort bien M. Le
Graverend (t. 1, p. 616 et 617), attribuer à ces adminis-
trations un pouvoir qui (sauf le cas d'amnistie, voir no 393)
n'appartient même pas au Souverain, celui d'intervertir
l'ordre de la justice; leur accorder le pouvoir de rendre
sans effet quant à l'emprisonnement, une condamnation
prononcée, ce serait substituer ces administrations dans
l'exercice du droit de grâce, qui n'appartient qu'au Sou-
verain.

A l'appui de la distinction justifiée soit par ces observa-
tions, soit par la solution adoptée au numéro précédent,
entre les transactions consenties par les Administrations
des contributions indirectes et des douanes relativement
aux amendes et confiscations, et les transactions consenties
par elles relativement à l'emprisonnement, ajoutons que,
si l'on décide, comme nous l'avons fait (n° 338 et suiv.),
que les amendes et confiscations ne sont, en matière de
contributions indirectes et de douanes, que des réparations
civiles, il faut en tirer cette conséquence conforme, d'ail-
leurs, à la jurisprudence (V. le n° suivant), et à la loi (V.
art. 3 du décret du 15 août 1793, relatif aux denrées et
marchandises de première nécessité qu'il était défendu de faire
sortir de France), que l'action pour la condamnation aux
confiscations et amendes, doit être exercée par l'Adminis-
tration; or, évidemment, lorsqu'elle a transigé, l'Adminis-
tration ne peut plus exercer de poursuites.

Quant à l'emprisonnement, aucune loi ne lui fait perdre
son caractère de peine, en matière de contributions indi-
rectes et de douanes. Aussi, M. Mangin, qui adopte la ju-
risprudence de la Cour de cassation quant aux effets des
transactions relativement à l'emprisonnement, est-il obligé
de reconnaître (n° 41 et 45) que le ministère public a

seul action pour l'application de cette peine (1). Dès lors,
nous demanderons comment, en l'absence d'un texte for-
mel, les transactions de l'Administration pourraient enlever
au ministère public le droit d'exercer cette action?

Ajoutons encore, que la distinction par nous adoptée
entre les transactions relatives aux amendes et celles rela-
tives à l'emprisonnement, a été consacrée par plusieurs
ministres de la justice et par le Conseil d'État, ainsi que le
rapporte M. Le Graverend (t. 1, p. 617 et 618).

Voici comment s'exprime cet auteur :

<< Telles sont les observations que je publiai dans la
<< première édition de cet ouvrage. Les raisonnements
<< sur lesquels s'appuyait mon opinion (celle de la distinc-
<<<tion que nous adoptons nous-même), étaient si évidents,
<< si péremptoires, que ma doctrine fut bientôt partagée
<< par la plus grande partie des magistrats du royaume, et
<«<lorsque l'Administration des douanes éleva depuis, à ce
<«< sujet, quelques réclamations (en renonçant, toutefois, à
<< son prétendu droit de transaction sur les voies de fait
<«< commises contre les préposés), les ministres de la jus-
<<<tice les repoussèrent toujours comme une prétention
<< mal fondée. Cependant, en 1818, l'Administration
<«<crut devoir adresser au Ministre de la justice un mémoire
<< détaillé dans lequel elle examinait et discutait la ques-
«<tion à fond, et priait Son Excellence de s'en faire rendre
<< compte de nouveau. Comme mon Traité de législation
« criminelle était répandu, et que j'étais alors directeur
<«< des affaires criminelles et des grâces, je demandai au
<«< ministre et j'obtins de lui l'autorisation de faire prépa-

-

rer à ce sujet un rapport par un de mes camarades qui
<< partageait l'avis de l'Administration. Le mémoire de
<<< l'Administration des douanes, le rapport auquel il avait
<< donné lieu, et mes observations furent renvoyés par le

(1) De même, M. F. Hélie, t. 2, § 110, p. 241, et t. 3, § 200, p. 769; et
arrêt formel, Rej., 27 nov. 1858, Dall., 1859, 1, 41.

<< ministre à une commission spéciale du Conseil d'État, à
<< la tête de laquelle se trouvait un jurisconsulte distingué
<< qui a rempli, depuis, les fonctions de sous-secrétaire d'État
<< au ministère de la justice, et ensuite, celles de Ministre
« secrétaire d'État au département de l'intérieur. Cette
<< commission ministérielle donna lieu à un avis très-forte-
«<ment discuté, dans lequel on déclarait que l'arrêté du
<< 14 fructidor an X devait être entendu dans le sens que
« j'avais indiqué, et ne pouvait l'être que de cette manière.
<< La question, ainsi approfondie, ayant été résolue en con-
<< naissance de cause, le ministre fit part de ce résultat à
<«<l'Administration générale des douanes, et donna, en
<«< conséquence, des instructions aux procureurs de Sa
<< Majesté. >>

<< Mais, en 1820, ajoute M. Le Graverend, les procu-
<< reurs généraux près les Cours royales de Douai et de
<< Besançon s'étant pourvus en cassation contre des arrêts
<<< de la chambre correctionnelle de leur cour respective,
<< qui avaient refusé d'appliquer la peine de l'emprisonne-
«<ment provoquée par le ministère public, à des contre-
<< venants en matière de douanes, qui justifiaient d'une
<< transaction faite avec l'Administration, la Cour de cassa-
<«<tion a rendu, le 30 juin de cette année 1820, deux ar-
«<rêts dont je transcris ici le plus détaillé, pour qu'on en
<< connaisse les motifs, et d'après lesquels les transactions
<< faites avec l'Administration, s'appliquent non-seulement
<< aux peines pécuniaires, mais aussi à l'emprisonnement. >>

Il est facile de comprendre toute l'autorité que la solu-
tion adoptée au Conseil d'État, après un examen aussi ap-
profondi que celui qui eut lieu en 1818, donne à la distinc-
tion que nous avons admise après M. Le Graverend.

On ne saurait, ainsi que l'a fait plus tard M. LeGraverend
(note 2 de la p. 617), sous-distinguer en ce qui concerne
les transactions relatives à l'emprisonnement, et dire que
les transactions intervenues entre l'Administration des doua-
nes et les contrevenants, doivent avoir un effet absolu et

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