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Mais il faut répondre à ces arguments que, sans aucun doute, le tribunal correctionnel doit, toujours et avant tout, juger et reconnaître sa compétence. Cette question est d'ordre public, et elle est effectivement ceile de l'existence même du tribunal; par conséquent, la première dans le procès. Mais aussi, comment et relativement à quel objet le tribunal doit-il juger sa compétence? Évidemment, c'est relativement au fait dont le renvoi a été prononcé devant lui; par conséquent, dans la question, relativement au fait dépouillé de la circonstance qui en ferait un crime: or, quant à ce fait ainsi considéré, le tribunal est compétent. L'obligation où il est de reconnaître sa compétence, ne l'empêche donc pas, quant à ce fait, de prononcer sur le fond.

On oppose que, suivant l'art. 193, pour que le tribunal puisse prononcer sur le fond, il ne suffit pas qu'il soit compétent quant au fait tel qu'il est renvoyé devant lui : il faut encore que ce fait ne s'aggrave point pendant les débats, et que sa nature ne change pas. Si cette nature venait à changer et que le fait, considéré d'abord comme délit, fût reconnu constituer un crime, l'art. 193 obligerait le tribunal, après avoir déclaré son incompétence, à renvoyer le prévenu devant le juge d'instruction; d'où la conséquence, dit-on, que le tribunal correctionnel doit également se déclarer incompétent, s'il vient à reconnaître comme constante la circonstance rejetée par le juge d'ins‐ truction, et qui, appliquée au fait objet du renvoi, lui donne le caractère de crime.

Nous répondrons que l'art. 193 ne fournit aucun argument applicable à notre question. Cet article est pour le cas où le juge d'instruction, en renvoyant pour tel fait devant le tribunal correctionnel, a reconnu ce fait, en luimême, comme pouvant exister, mais sans rejeter expressément telle ou telle circonstance qui en aurait changé la nature en un mot, l'art. 193 est pour le cas où le juge d'instruction a constaté qu'il y avait des charges à l'égard

du fait tel qu'il l'a considéré dans l'ordonnance de renvoi, mais sans déclarer que ce fait n'était rien de plus. Ici, au contraire, non-seulement le juge d'instruction a déclaré qu'il y avait des charges suffisantes à l'égard du fait tel qu'il l'a considéré dans l'ordonnance de renvoi; mais il a expressément décidé que ce fait devait être dégagé de telle circonstance déterminée, qui en aurait aggravé la nature (1).

58. Que faudrait-il décider si le renvoi devant le tribunal correctionnel avait été prononcé, non plus par le juge d'instruction, mais par la Chambre d'accusation, aux termes de l'art. 230? Dans ce cas, le tribunal correctionnel pourrait-il encore se déclarer incompétent?

On pourrait présenter comme motif de différence entre le cas où le renvoi est prononcé par la Chambre d'accusation, et celui où il a été prononcé par le juge d'instruction, que, dans le premier cas, le renvoi ayant été prononcé par un tribunal supérieur devant un tribunal inférieur, ce dernier tribunal devrait être lié par la décision du tribunal à la juridiction duquel sa propre juridiction est soumise.

Mais, sans s'arrêter à cette observation, il faut répondre sur la question proposée, que, de deux choses l'une: ou l'arrêt de renvoi a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction, qui avait, elle-même, renvoyé devant le tribunal correctionnel; ou bien cet arrêt a réformé l'ordonnance du juge d'instruction, déclarant qu'il n'y avait pas lieu à suivre.

(1) Sie MM. Merlin, p. 138, loc. suprà cit.; Bourguignon, Jurisprud. des Codes crim., no 4, sur l'art. 129 du Code d'instr. crim. Sic aussi, arrêt du 5 août 1813, non inséré au Bulletin, mais rapporté par M. Merlin, loc. cit.; autres, des 26 août 1817, Bull. n° 80, toutes les sections réun., et sous la présidence du garde des sceaux; 4 mai 1839, Bull. no 147.

Si l'arrêt de renvoi a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction, qui avait elle-même renvoyé devant le tribunal correctionnel, cet arrêt n'a point changé la nature de l'ordonnance. Il ne lui a pas donné plus de force, plus d'étendue, plus d'effets qu'elle n'en aurait eu par ellemême. CONFIRMATIO, dit Dumoulin sur l'art. 5 de l'ancienne Coutume de Paris (V., Dénombrement), NIHIL NOVI JURIS CONFERT; et cette maxime, ajoute M. Merlin (Répert., loc. suprà cit., t. 18, p. 132), s'applique aux arrêts confirmatifs de jugements, tout aussi bien qu'aux actes confirmatifs de contrats: or, nous avons vu, sur les questions précédentes, que l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction n'empêchait point, par elle-même, que le tribunal correctionnel ne pût et ne dût, avant tout, examiner sa compétence. Il le peut et le doit donc également, malgré l'arrêt qui aurait confirmé cette ordonnance.

Si l'arrêt de renvoi a réformé l'ordonnance qui avait déclaré n'y avoir lieu à suivre, le tribunal correctionnel n'en pourra pas moins, nonobstant l'arrêt, se déclarer incompétent, comme il le pourrait dans l'hypothèse précédente. Et cela, ainsi que le remarque encore M. Merlin (ibid.), parce que la Chambre d'accusation n'a fait, alors, que ce qui, dans son opinion, eût dû être fait par le juge d'instruction; parce qu'elle n'a fait que remettre les choses dans l'état où les eût placées une ordonnance du juge d'instruction, qui eût renvoyé le prévenu devant le tribunal correctionnel; parce que le tribunal correctionnel se trouve, par l'effet de l'arrêt de la Chambre d'accusation, dans la position où l'eût mis une simple ordonnance du juge d'instruction.

<<< Il est donc bien indifférent, conclut M. Merlin, que <«<l'arrêt de la Chambre d'accusation, qui renvoie un pré<< venu devant le tribunal correctionnel, soit ou ne soit << pas conforme à l'ordonnance des premiers juges. Dans << un cas comme dans l'autre, le tribunal correctionnel a <«<le droit de juger sa propre compétence; dans un cas

comme dans l'autre, il a le droit de se déclarer incompétent. » C'est même, ainsi que nous l'avons dit, un devoir pour lui de le faire.

Un arrêt du 21 novembre 1811 (Bull. n° 153), rendu sur les conclusions de M. Merlin, a confirmé la solution qui précède. « Considérant, porte cet arrêt, qu'il résulte de ces différents articles (les art. 128, 129, 130, 133, « 135, 182, 191, 192, 193, 299, 364 et 365 du Code ⚫ d'instruction criminelle), que les ordonnances des « Chambres d'instruction ne sont point attributives, « mais seulement indicatives de la compétence; que les « arrêts des Chambres d'accusation, rendus sur ces ordon<nances, n'ont que le même objet et ne peuvent avoir que le même effet; qu'en saisissant la juridiction à laquelle ils ont renvoyé, ces arrêts ont reçu la plénitude d'exécution qui appartient à leur essence; mais que les << tribunaux ainsi saisis par l'effet de ces arrêts, ne sont ❝ point liés dans l'exercice de leur juridiction, et n'en ont pas moins le droit et l'obligation d'en régler l'action « d'après les attributions déterminées par la loi (1). »

59. De la doctrine que nous venons d'établir, et selon laquelle les arrêts de renvoi de la Chambre d'accusation ne lient point le tribunal correctionnel, quant à sa compétence, plus que ne le font les ordonnances du juge d'instruction, il résulte, par réciprocité, cette conséquence qu'au moins les lient-ils autant. La solution adoptée par

(1) D'autres arrêts ont consacré les mêmes principes.- Voir arrêts des 12 juin 1817, Bull. no 45; 26 août 1817, Bull. no 80, rendu toutes les sections réunies, et sous la présidence du garde des sccaux; 12 fév. 1864, Dall., 1864, 1, 97. — M. Bourguignon, Jurisprud. des Codes crim., sur l'art. 230, les adopte également. De même, MM. Le Graverend, t. 2, chap. 4, sect. 4, p. 394; Boitard, Lec: sur le Code d'inst. crim., p. 297 et 298; Ranter, n's 691 et 703; Trébutien, t. 2, p. 320 et 321; Mangin, Du réglem. de la compét., t. 2, no 126; Dall., 2e édit., vo Compét. crim., no 508; Morin, Journal du droit crim., 1855, art. 5864, p. 50.

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nous, no 57, sur la question de savoir si le tribunal correctionnel, saisi par le juge d'instruction, pouvait se déclarer incompétent lorsqu'il reconnaissait pour crime le fait que le juge d'instruction lui avait renvoyé comme délit, après avoir expressément éloigné les circonstances qui en auraient fait un crime, s'applique donc au cas où, dans la même hypothèse, le renvoi aurait été prononcé par la Chambre d'accusation (1).

60. Nous avons vu ci-dessus, n° 53, que, lorsque le tribunal correctionnel, saisi par citation directe donnée à la requête du procureur impérial, se déclarait incompétent parce que le fait dont on avait voulu le saisir était un crime, il devait, aux termes de l'art. 193, renvoyer le prévenu devant le juge d'instruction compétent, et n'avait point le droit de le renvoyer directement devant la Chambre d'accusation.

Nous ferons observer ici que, si le tribunal correctionnel avait été saisi par renvoi du juge d'instruction ou de la Chambre d'accusation, il ne devrait pas renvoyer devant le juge d'instruction, en se déclarant incompétent. Comme il y aurait, alors, lieu à règlement de juges, par suite du conflit négatif résultant de l'autorité acquise par l'ordonnance du juge d'instruction, ou par l'arrêt de la Chambre d'accusation, et du jugement par lequel le tribunal aurait déclaré son incompétence, ce serait à la Cour de cassation, én statuant sur le règlement de juges, de renvoyer, s'il y avait lieu, devant le juge d'instruction (2).

(1) M. F. Hélie, t. 6, p. 604, n'admet cette décision que pour le cas où la circonstance a été écartée en droit; non, pour celui où elle a été écartée seulement en fait.

(2) Sic MM. Bourguignon, Jurisprud. des Codes crim., no 2, sur l'art. 129 du Code d'instr. crim., et sur l'art. 193, ibid.; Dall., 2° édit., v° Compét., crim., no 557; Morin, Journal du droit crim., 1835, art. 5917, p. 147; et la

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