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68. Mais le doit-il à peine de nullité?

L'art. 190 ne prononce point cette peine, et s'appuyant sur le silence du législateur à cet égard, la Cour de cassation, par arrêt du 12 mai 1820 (Bull. n° 90), avait décidé que «<l'entière exécution de l'art. 190 n'est pas substan«tielle à l'instruction criminelle; Que ce qui est subs<< tantiel à cette instruction, c'est la présence et l'audi<«<tion du ministère public; Que, dans l'espèce (de «<l'arrêt) le ministère public (avait) été entendu; que s'il « n'(avait) donné des conclusions que sur la compétence, « il n'(avait) pas été empêché de conclure aussi au fond; << qu'il pouvait le faire par forme subsidiaire et en <<< concluant à toutes fins; que s'il ne l'(avait) pas fait, <«<l'arrêt n'en (pouvait) recevoir aucune atteinte, ni en

<< contracter aucun vice. >>

Depuis, la jurisprudence s'est prononcée en sens contraire, et de nombreux arrêts de la Cour de cassation ont décidé que soit devant les tribunaux de simple police (1), soit devant les tribunaux correctionnels (2), les conclusions du ministère public étaient requises à peine de nullité. << S'il n'est pas nécessaire, porte l'arrêt du 29 février 1828, adoptant les motifs du réquisitoire présenté sur l'ordre du ministre de la justice dans l'intérêt de la loi, «< S'il << n'est pas nécessaire que le ministère public requière « l'application de la peine, pour que le tribunal puisse la « prononcer, il est indispensable, pour la validité du juge«ment, qu'il résume l'affaire et donne ses conclusions.

(1) Notamment, arrêts des 29 fév. 1828, Bull. n° 59, rendu dans l'intérêt de la loi; 16 sept. et 23 déc. 1853, Dall., 1853, 5, 309 et 310; 21 janv. et 26 avr. 1860, Dall., 1860, 5, 213; 2 fév. 1861, Dall., 1861, 5, 283; Cass., 6 déc. 1861, Dall., 1867, 5, 253; Cass., 13 nov. 1863 et 24 déc. 1864, Dall., 1865, 5, 238. De même, MM. Henrion de Pansey, De l'autorité judic., chap. 15, p. 551 et 552; F. Hélie, t 2, § 111, p. 268; t. 7, § 533, p. 555 et 556; Dalloz, 2o édit., v° Ministère public, nos 269-271.

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(2) Notamment, arrêts des 2 janv. 1847, Dall., 1847, 4, 15; 26 mai et 22 juill., 1853, Dall., 1853, 5, 309; Cass., 17 août 1865, Dall., 1867, 5, 280.- De même, MM. Henrion de Pansey, F. Hélie et Dalloz, loc. cit.

TOME I.

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<< L'omission de cette formalité, dans l'espèce, est un << nouveau moyen de cassation du jugement. »

Nous croyons, pour ce qui nous concerne, devoir adopter cette jurisprudence. En effet, il nous paraît que, même dans le silence du législateur, il y a lieu d'admettre la nullité toutes les fois que la prescription, non observée, de la loi est indispensable pour remplir la fin que la loi s'est proposée. Ces prescriptions sont substantielles, puisqu'elles sont nécessaires à la réalisation de cette fin, laquelle ne peut, dès lors, exister sans elles (1). Or, les conclusions du ministère public sont évidemment indispensables, en toutes matières criminelles, pour atteindre le but du législateur, à savoir, pour assurer la bonne administration de la justice, la punition du coupable, et, par dessus tout, la protection de l'innocent.

D'ailleurs, si, dans les matières civiles, le défaut de communication au ministère public, dans les cas où cette communication est exigée, donne lieu à requête civile (art. 480, n° 8, Code de procéd.); peut-on s'étonner que, dans les matières criminelles, le défaut de conclusions de la part du ministère public, de qui elles sont requises (art. 153, 190, 299, 335, Code d'instr. crim.), devienne une cause de nullité?

69. La solution qui précède une fois admise, nous n'avons plus à examiner, comme nous l'avions fait dans notre Traité du droit criminel (t. 1, chap. 2, no 373), la question de savoir si, le procureur impérial n'ayant pris, de fait, aucune espèce de conclusions quant à l'intérêt public, le tribunal correctionnel pourrait, ou non, appliquer la peine au prévenu reconnu coupable. La négative résulte nécessairement de la nullité dont serait alors frappé le jugement.

(1) Sic, pour l'inobservation des formalités substantielles requises dans les actes, MM. Merlin, Rép., v° Nullité, § 1, no 5, p. 643; Favard de Langlade, Rép., v° Nullité, § 1, n° 4, p. 745; Zachariæ, t. 1, p. 68; Demolombe, t. 3, n° 237.

70. Seulement, en traitant cette dernière question, et pour appuyer la solution également négative que nous adoptions alors, nous avions enseigné que, dans le cas de citation directe donnée par la partie civile, le tribunal correctionnel n'était saisi définitivement et d'une manière absolue de l'action publique, que par les conclusions du ministère public; qu'il ne l'était que conditionnellement par la plainte même de la partie civile, c'est-à-dire, sous la condition de conclusions à prendre par le ministère public par suite de cette citation. Il en résultait non-seulement que, le ministère public ne prenant aucune conclusion, le tribunal correctionnel ne pouvait prononcer aucune peine contre le prévenu, mais même qu'il devenait incompétent pour prononcer sur les intérêts civils. A ce dernier point de vue, il est encore nécessaire aujourd'hui que nous établissions notre proposition vivement combattue par plusieurs auteurs (1). Elle nous avait paru justifiée surtout par la disposition de l'art. 1er du Code d'instruction criminelle. « Cet article, avions-nous dit, déclare, comme << nous l'avons vu, que l'action pour l'application des « peines n'appartient qu'aux fonctionnaires auxquels elle « est confiée par la loi. Nous avons expliqué, au commen«< cement de cette section, n° 4 et suiv., quels étaient «ces fonctionnaires : ce sont ceux désignés sous le nom

générique d'officiers du ministère public. L'action pour « l'application des peines, en d'autres termes, l'action << publique n'appartient donc qu'aux officiers du minis«tère public; eux seuls peuvent donc en saisir les tribu«naux; d'où la conséquence que ceux-ci ne peuvent << prononcer l'application des peines qu'autant que le << ministère public les a saisis de l'action publique: lors << donc que le tribunal correctionnel ne se trouve saisi de

(1) Notamment par MM. F. Hélie, t. 2, § 111, p. 266 et suiv.; Dalloz, 2e édit., vo Instr. crim., no 62; Trébutien, t. 2, p. 40. — Vcir, au surplus, ci-après, no 72 et 73, les différentes autorités pour et contre, sur la question.

<< la connaissance d'une affaire que par la citation << donnée directement à la requête de la partie civile, si <«<le ministère public, en prenant des conclusions, ne <<< saisit lui-même le tribunal de l'action publique, ce << dernier ne peut prononcer sur l'action publique et << ne peut, par conséquent, prononcer l'application de la << peine. >>

Ajoutons maintenant, à cet argument, que l'art. 1o du Code d'instruction criminelle se bornait, dans le Projet du Code criminel, à déclarer que « l'action publique pour << l'application des peines (était) exercée par les fonction<<< naires établis à cet effet. » (Locré, t. 24, p. 109.) Sa disposition n'ayant point paru assez claire (ibid., p. 110), n'a été adoptée que sauf rédaction (ibid.). Or, la rédaction actuelle ne se borne plus à dire que « l'action << publique pour l'application des peines est exercée par <«<les fonctionnaires établis à cet effet. » Elle déclare que cette action N'APPARTIENT QU'à ces fonctionnaires. Évidemment, ce changement de rédaction fortifie l'argument que nous avions tiré de l'article et prouve que nous n'en avions pas exagéré la portée. Il prouve que le ministère public est maître de l'action publique; qu'il peut la retenir ou en faire usage à son gré. Elle lui appartient, et n'appartient qu'à lui.

Dans l'opinion contraire à la nôtre: 1° on argumente du texte de l'art. 182. « Cet article attache, comme on le << voit, a dit M. Henrion de Pansey (De la police rurale et «forestière, chap. 28, in fine), à la citation de la partie << privée l'efficacité de saisir le tribunal correctionnel de «la connaissance de l'affaire. Mais saisir un tribunal de la << connaissance d'une contestation judiciaire, c'est lui en << soumettre toutes les parties; c'est lui donner le droit ou << plutôt lui imposer le devoir de statuer sur tous les élé<<ments dont elle se compose. Or, une plainte en matière <«< correctionnelle embrasse nécessairement deux objets : <«< un délit et un dommage. Si le juge reconnaît que le

SAIS. RÉS. DE LA CIT....... (N° 70) 85 « délit existe et qu'un dommage en est résulté, il doit « donc condamner le prévenu non-seulement à une << indemnité, mais à une amende, et cela quand même le << procureur du roi refuserait d'y conclure. »

2o On prétend (1) que nous confondons l'exercice de l'action publique et sa naissance ou sa mise en mouvement. L'action publique, on le reconnaît, ne peut être exercée que par le ministère public; mais la citation de la partie civile lui donne existence.

3o On argumente de la combinaison des art. 189 et 161 du Code d'instruction criminelle, lesquels sont ainsi

conçus :

Art. 189, modifié par la loi des 13 et 21 juin 1856. « La « preuve des délits correctionnels se fera de la manière << prescrite aux art. 154, 155 et 156 ci-dessus, concer<<nant les contraventions de police. Le greffier tiendra << note des déclarations des témoins et des réponses du « prévenu. Les notes du greffier seront visées par le pré«<sident, dans les trois jours de la prononciation du juge<<ment. Les dispositions des art. 157, 158, 159, 160 «<et 161 sont communes aux tribunaux en matière << correctionnelle. »

Art. 161. « Si le prévenu est convaincu de contraven«tion de police, le tribunal prononcera la peine et sta<< tuera par le même jugement, sur les demandes en << restitution et en dommages-intérêts. »

De ces articles, dit-on, résulte sans aucune distinction, pour le tribunal, l'obligation de prononcer la peine, une fois la culpabilité reconnue, que le ministère public ait pris, ou non, des conclusions.

4° On ajoute que si, la culpabilité reconnue, le tribunal pouvait prononcer sur les intérêts civils sans appliquer en même temps la peine contre le prévenu reconnu coupable,

(1) MM. F. Hélie et Dalloz, loc. cit.

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