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il cesserait d'être tribunal correctionnel; il usurperait un rôle purement civil, ce qui ne lui est point permis;

Qu'en outre, il se constituerait en contradiction avec lui-même, en prononçant des dommages-intérêts par suite d'une culpabilité qu'il reconnaîtrait et que, cependant, il ne punirait pas;

Qu'enfin, on ne concevrait pas (1) « comment la saisine <«< de l'action civile, qui résulte évidemment de la citation « même, (aurait) pu avoir lieu, puisque cette action n'a « de vie que comme accessoire de l'action publique, qui << ne commencerait, cependant, à exister que beaucoup «< plus tard. Il y aurait un intervalle de temps où l'action <«< accessoire aurait existé indépendamment de l'action << principale, qui est son soutien nécessaire ! »

A plusieurs de ces objections nous avons répondu, dans notre Traité du droit criminel, et nous répondons, aujourd'hui, aux autres :

1° Que si l'art. 182 accorde en général à la partie civile le droit de saisir les tribunaux correctionnels de la connaissance des délits de leur compétence, il est certain que, d'un autre côté, la loi déclare aussi d'une manière générale par l'art. 1er du Code d'instruction criminelle, que l'action publique N'APPARTIENT Qu'au ministère public. Cette seconde règle générale étant fondée sur un principe d'ordre public, doit, évidemment, l'emporter sur celle de l'art. 182 concernant le droit de la partie lésée, laquelle règle de l'art. 182 n'est, elle-même, qu'une exception à la règle plus générale par laquelle les contestations d'intérêt privé sont portées devant les tribunaux civils. Le droit accordé à la partie civile de saisir les tribunaux correctionnels de la connaissance des délits de leur compétence est donc soumis à la condition de l'action du ministère public;

(1) M. Trébution, t. 2, p. 40.

2. Que l'action publique ne saurait naître de la citation donnée à la requête de la partie lésée. L'action publique naît des délits ex maleficiis verò proditæ actiones (Instit,, liv. 4, tit. 6, § 18). Elle ne naît, elle ne prend existence ni de l'exercice qu'en fait le ministère public, ni encore moins de l'action de la partie lésée. Elle existe par le délit même, ainsi qu'il est dit de certaines obligations, ex re nascuntur, id est, ex ipso maleficio (Instit., liv. 4, tit. 1, ppio.). Comment le droit de réclamer la peine due pour le délit pourrait-il naître d'autre chose que du délit même ? Si, le délit commis, le ministère public peut exercer l'action publique (art. 4, Code d'instr. crim.), c'est donc qu'elle existe déjà par ce délit. Comment exercer une action qui n'existerait pas encore? Donc il faut reconnaître que, dans le cas de notre question, ce n'est point la citation de la partie lésée qui fait naître l'action publique. Cette action a pris naissance par le délit. Elle n'a plus besoin que d'être exercée; or, cet exercice, tout le monde le reconnait, n'appartient qu'au ministère public.

Ajoutons que le changement apporté, au Conseil d'État, à la rédaction primitive de l'art. 1er (V. ci-dessus), prouve que ce n'est pas seulement l'exercice de l'action publique qui appartient exclusivement au ministère public, mais la disposition même, le dominium de cette action; et, par conséquent, sa mise en mouvement;

3° Que les textes des art. 189 et 161 combinés sont loin de décider la question contre nous. Ils peuvent très-bien être entendus du cas où le ministère public a pris des conclusions quant à la peine, quelles que soient, d'ailleurs, ces conclusions;

4° Qu'il n'est pas exact de dire que si, la culpabilité une fois reconnue, le tribunal correctionnel n'appliquait pas la peine, et cela par suite du défaut de conclusions de la part du ministère public, il usurperait le rôle d'un tribunal purement civil et cesserait d'être correctionnel.

Peut-être, en effet, serait-il permis de soutenir que ce qui constitue le tribunal correctionnel, n'est pas la faculté actuelle et de fait de prononcer la condamnation aux peines établies par la loi, mais le pouvoir virtuel de prononcer ces peines quand les conditions requises pour que cette faculté puisse être exercée sont remplies; or, dans le cas objet de la discussion, le tribunal a le pouvoir virtuel de prononcer la condamnation à la peine, quoique le défaut de conclusions de la part du ministère public l'empêche de l'exercer.

Mais, cette réponse pouvant paraître contraire (et nous croyons qu'elle l'est en effet) au texte de l'art. 3 du Code d'instruction criminelle, lequel ne permet au tribunal correctionnel de connaître de l'action civile qu'en même temps qu'il connaît de l'action publique, nous aimons mieux répondre, ce qui est une conséquence de nos principes, ainsi que le fait remarquer M. Merlin (1), que, le ministère public ne saisissant pas de l'action publique le tribunal déjà saisi conditionnellement de l'action civile, la saisine quant à l'action civile cessera et le tribunal devra renvoyer les parties à se pourvoir devant les tribunaux civils.

Si l'on oppose que la partie civile ayant, d'après l'article 182, le droit de saisir le tribunal correctionnel, il ne peut dépendre de l'inaction du ministère public de l'en priver, nous répondrons que poser ainsi l'objection, c'est supposer précisément ce qui est en question; que, ainsi que déjà nous l'avons observé, la partie, civile n'a point d'une manière absolue le droit de saisir le tribunal correctionnel; elle n'a ce droit que sous une condition, celle de l'exercice de l'action publique. Cette condition n'étant pas remplie, le droit de la partie civile cesse d'exister;

5° Il n'est pas plus exact de dire que le tribunal qui, reconnaissant la culpabilité, ne prononcerait aucune peine,

(1) Répert., vo Péche, sect. 1, § 2, no 12, t. 12, p. 230.

se constituerait en contradiction avec lui-même, en ce sens qu'en prononçant la condamnation à des dommagesintérêts, il reconnaîtrait le prévenu coupable, tandis qu'en ne prononçant aucune peine, il le traiterait comme

innocent.

En effet, nous venons d'établir que le tribunal non saisi de l'action publique, serait, par là même, dessaisi de l'action civile, et devrait renvoyer les parties devant les tribunaux civils. Il ne prononcera donc aucune condamnation à des dommages-intérêts, et ne pourra, par conséquent, tomber dans la contradiction que l'on signale.

Nous ajouterons même que, si l'on soutenait (ce que nous n'admettons pas), que le tribunal, incompétent pour statuer sur l'action publique dont il ne serait pas saisi, pourrait, cependant, prononcer sur l'action civile, il serait possible encore de prétendre qu'il ne se contredirait pas en condamnant à des réparations civiles, et comme coupable, celui qu'il ne condamnerait, cependant, à aucune peine. En effet, pour se mettre en contradiction avec lui-même, il faudrait que le tribunal déclarât sous les mêmes rapports la culpabilité et la non culpabilité : or, c'est ce qui n'existerait pas dans l'opinion que nous défendons sur la question. Seulement, de la culpabilité reconnue par le tribunal pour la condamnation aux dommages-intérêts, devrait résulter quant à la condamnation pénale, une conséquence que le tribunal ne pourrait appliquer, par suite du silence du ministère public.

Enfin, quant à l'objection tirée de ce que, dans notre système, l'accessoire précéderait le principal devant le tribunal correctionnel, nous répondrons que l'action civile n'est point par elle-même et d'une manière absolue, action accessoire. Elle n'est telle que devant les tribunaux criminels (art. 1er et 3 du Code d'instr. crim.). Dès lors qu'elle a une existence principale et indépendante, pourquoi ne pourrait-elle pas être portée conditionnellement devant les tribunaux correctionnels, c'est-à-dire, sous la

condition que l'action publique, qui est l'action principale devant ces tribunaux, y serait elle-même portée par les conclusions du ministère public, avant le jugement?

En résumé, et les objections qui précèdent résolues, nous dirons que, si l'art. 182 du Code d'instruction criminelle était seul, nous adopterions sans hésiter l'opinion que ces objections appuient. Mais, en même temps que l'art. 182, existe l'art. 1er du même Code. Cet article ne doit pas être considéré comme contredit par l'art. 182, s'il y a moyen de les concilier entre eux: or, ce moyen est fourni par la solution que nous croyons devoir maintenir, et qui présentera bien rarement des inconvénients, ainsi que nous allons l'expliquer dans le numéro suivant.

Au surplus, nous sentons le besoin de le déclarer : présumant facilement que nous avions pu nous tromper dans une solution vivement contestée, plusieurs fois, et à divers intervalles, nous avons repris avec le plus grand soin, et, nous le croyons, avec une absence complète de prévention, l'étude de la question sur laquelle nous venons de nous expliquer si longuement. Nous n'eussions pas hésité à abandonner notre solution, si nous l'avions reconnue fausse. Il ne nous en coûtera jamais, nous l'espérons, de rétracter une erreur. De tous les devoirs, c'est le plus simple; et lorsque l'occasion s'en est présentée, nous nous sommes toujours empressé de le remplir. « Une des <«<plus utiles sciences est de savoir qu'on s'est trompé, dit « Joubert (Pensées, tit. 11, pens. 54); et une des plus déli«cieuses découvertes, de découvrir son erreur. >> « Capable de se détromper, ajoute-t-il, belle louange et << belle qualité! >> Nous dirons plus volontiers: qualité toute simple. Car «< ceux qui ne se rétractent jamais, remarque le <«< même auteur (pens. 57), s'aiment plus que la vérité. » Or, aimer la vérité plus que soi-même n'est que l'accomplissement d'un devoir rigoureux, et ne mérite d'être appelé ni une belle qualité, ni une belle louange.

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