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71. Afin de compléter ce qui précède, ajoutons que, pour que le tribunal correctionnel puisse appliquer la peine et statuer sur l'intérêt public, lorsque la citation a été donnée directement à la requête de la partie civile, il n'est pas nécessaire que le ministère public prenne des conclusions tendantes à l'application de la peine. Il suffit, comme nous l'avons vu au commencement de cette section, nos 16 et 17, en examinant quelle était autrefois et quelle peut être encore aujourd'hui l'application de l'ancienne maxime que tout juge est officier du ministère public, et comme nous le dirons également ci-après, no 254, 7° partie du § 4, il suffit que le ministère public ait pris des conclusions sur l'intérêt public, lors même qu'elles tendraient à l'acquittement; ou même qu'il ait déclaré purement et simplement s'en rapporter à la prudence du tribunal. Dès lors, en effet, il soumet l'action publique au tribunal qui peut prononcer.

Ainsi l'a jugé in terminis, pour le cas où le ministère public aurait pris des conclusions tendantes à l'acquittement, un arrêt du 17 décembre 1824 (Bull. n° 193). Cet arrêt, rendu sur le réquisitoire du procureur général, présenté dans l'intérêt de la loi et d'après les ordres du Ministre de la justice, a cassé un jugement du tribunal correctionnel du Vigan, qui avait renvoyé le prévenu sur le motif que, le ministère public ayant conclu à l'acquittement, le tribunal ne pouvait, dès lors, appliquer aucune peine.

Cette décision était fausse. Le tribunal n'est réduit à l'impossibilité d'appliquer aucune peine, que lorsque le ministère public ne prend aucune conclusion quant à l'intérêt public.

La question traitée au numéro précédent, perd, comme on le voit, beaucoup de son intérêt, en la réduisant à ces termes, puisqu'il n'arrivera presque jamais que le procureur impérial ne s'en rapporte pas au moins à la prudence du tribunal, s'il ne conclut pas à l'acquittement.

72. On peut expliquer comme étant conformes aux décisions qui précèdent, deux arrêts de la Cour de cassation, l'un, du 27 juin 1811 (Bull. n° 95), et l'autre, du 23 janvier 1823 (Bull. no 13).

<< Considérant, porte le premier de ces arrêts, qu'il << résulte des dispositions des articles 1, 2 et 3 ci-dessus <«< cités, que les tribunaux de police correctionnelle ne << sont autorisés à connaître de l'action civile pour la répa<«<ration du dommage causé par un délit, que lorsqu'ils << sont en même temps saisis de l'action publique pour << l'application de la peine; Qu'il suit delà que toutes <«<les fois que ces tribunaux sont légalement et directe<<ment saisis de l'action civile, ils le sont aussi, et en << même temps, de l'action publique; - Que, conséquem<«<ment, ils doivent, en cas de conviction, et aux termes << des art. 161 et 189 ci-dessus cités, du Code d'instruc«<tion criminelle, prononcer la peine due au délit, quelles « que soient d'ailleurs les conclusions du ministère public; Que, suivant l'art. 182 dudit Code, les tribunaux de << police correctionnelle sont légalement saisis de la con<< naissance des délits de leur compétence, par la citation << directement donnée par la partie civile au prévenu, ou << à celui qui en est civilement responsable; Qu'ainsi <«<lesdits tribunaux doivent, dans ce cas, statuer à la fois << sur l'action publique et sur l'action civile. »

-

<< Attendu, porte le second arrêt, que, par le premier «de ces articles (l'art. 182), le tribunal correctionnel est <<< saisi la citation directe de la partie civile; par Que, << par cette citation, il est saisi soit de l'action publique, << soit de l'action civile; - Que, dès lors, le tribunal cor<<rectionnel de Dreux, saisi par la citation donnée à la << requête des époux Marie à la femme Lambert, pour << injures et voies de fait par elle commises sur la femme << Marie, devait examiner si les faits résultant de la cita<<tion ou de l'instruction avaient le caractère de délits; << Que, si ces faits ne présentaient pas ce caractère, il devait

« annuler la citation et l'instruction, adjuger à la défen« deresse les dommages et intérêts qui pouvaient lui être « dùs, et renvoyer les parties à fins civiles, suivant le « prescrit de l'art. 191; Mais que, si le tribunal, « appréciant les faits résultant de la citation et de l'ins<«<truction, leur trouvait le caractère de délits, il devait, << indépendamment des réparations civiles, prononcer « les peines déterminées par la loi, quelques conclusions « qu'eût prises le ministère public; parce que ces conclu<<sions ne pouvaient effacer le caractère du fait reconnu << par le tribunal. >>

«

Ces arrêts se concilient fort bien avec les solutions que nous avons adoptées ci-dessus. Ils supposent, en effet, que le ministère public a pris des conclusions (1), et, dans la réalité, le ministère public en avait pris dans les espèces sur lesquelles ils ont statué. Dans l'espèce de l'arrêt de 1823, le ministère public s'en était rapporté à la prudence du tribunal, ainsi que le mentionne la notice du Bulletin officiel. Dans celle de l'arrêt de 1811, la notice du Bulletin ne mentionne point que le ministère public eût pris aucune conclusion; mais M. Merlin, sur les conclusions duquel l'arrêt fut rendu, dit formellement que le ministère public avait observé qu'il n'y avait pas lieu à poursuivre d'office (ce qui équivalait à des conclusions tendantes à l'acquittement) (2); et, quant aux dommages-intérêts réclamés par la partie lésée, il avait déclaré s'en rapporter à la prudence du tribunal (V. M. Merlin Répert., t. 12, vo Pêche, section 1, § 2, p. 228, no 12).

(1) M. Le Graverend, t. 1, p. 58, note 1, rapporte cependant l'arrêt de 1811 comme adoptant l'opinion que cet auteur énonce lui-même, mais sans la discuter, à savoir que les tribunaux correctionnels, saisis par l'action directe de la partie civile, doivent statuer sur l'action publique, quoique la partie civile n'exerce que l'action civile.

De son côté, M. Bourguignon, Jurisprudence des Codes criminels, n° 4, sur l'art. 182, cite l'arrêt de 1823 comme contraire à notre opinion.

(2) De même, dans un arrêt de Cass. du 3 juill. 1852, Dall., 1852, 1, 224.

D'autres arrêts, cités en note sous le n° 68, ont formellement déclaré que, « s'il n'est pas nécessaire que le minis«tère public requière l'application de la peine pour que le « tribunal puisse la prononcer, il est indispensable pour la << validité du jugement, qu'il résume l'affaire et donne ses « conclusions. »

. Ces arrêts, comme nous l'avons vu ci-dessus en note sous le n° 68, supposent la solution que nous avons adoptée.

Nous ne pouvons également invoquer dans notre sens, un arrêt du 23 février 1839 (Bull. n° 65), rendu dans une affaire de délit de chasse commis en temps prohibé.

« Mais, en ce qui concerne l'application de la peine, << porte cet arrêt; - Vu l'art. 8 de la loi précitée, selon <«<lequel les peines et contraintes par elle édictées, ne << peuvent être prononcées que soit sur la plainte du pro«priétaire ou de toute autre partie intéressée, soit même, << dans le cas où l'on aurait chassé en temps prohibé, sur la <«< poursuite du ministère public; Attendu que le <«< droit accordé au ministère public, par cette disposition << de poursuivre d'office la répression des délits de chasse << qui sont commis en temps prohibé, n'est point exclusif << de celui qui appartient, dans tous les cas, au proprié<«<taire du terrain; Que l'action directe de celui-ci <«<est donc toujours recevable en cette matière spéciale, <«< comme elle l'est, suivant le droit commun, en toute << matière correctionnelle; Que le tribunal devant <«<lequel elle est intentée, ne peut pas, dès lors, se dis<< penser d'infliger au délinquant les peines portées par les <«< art. 1 et 5 de la susdite loi, lors même que le minis«<tère public se serait abstenu ou aurait refusé d'en << requérir l'application; D'où il suit qu'en déclarant << qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur l'action publique, << parce qu'il n'avait été pris aucune réquisition sur ce «point, ledit jugement a commis une violation expresse << de l'article ci-dessus visé. »

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Cet arrêt, est, évidemment, contraire en principe général à la doctrine que nous venons d'établir.

Quant à l'interprétation particulière qu'il donnait de l'art. 8 de la loi de 1790, nous ne la croyons pas fondée. Cet article signifiait seulement (1), que, dans les délits de chasse commis en temps non prohibé, le ministère public ne pouvait poursuivre que sur la plainte du propriétaire ou de toute autre partie intéressée, tandis que cette plainte n'était pas nécessaire si le délit avait été commis en temps prohibé (Voir nos explications à cet égard, ci-après, § 4, 4 partie).

73. L'arrêt de 1811 dont nous avons parlé au numéro précédent, a été rendu sur ies conclusions conformes de M. Merlin. L'opinion de ce savant magistrat, dont les conclusions sont rapportées au Répertoire (loc. suprà cit.), peut donc être regardée comme se conciliant parfaitement avec la solution que nous avons adoptée.

M. Dalloz, 1 édit., v° Organisation judiciaire (chap. 2, sect. 2, n° 3, p. 28), ne traite pas la question que nous avons discutée, mais il énonce comme un principe général qu'aucune peine ne peut être prononcée, même dans l'hypothèse d'une plainte portée, ainsi qu'il le suppose, que sur les poursuites de la partie publique. Au mot Compétence (sect. 8, art. 1, p. 437), le même auteur enseigne que les tribunaux criminels, une fois saisis, doivent statuer sur l'action publique, lors même que le ministère public garderait le silence. - Dans sa 2o édit., v° Instruct. crim. (n° 62), il combat formellement notre opinion, ainsi qu'on

l'a vu.

sans la dis

M. Mangin (n° 22 et 353), énonce, mais cuter, la même opinion que M. Dalloz. De même, MM. Morin (v° Tribunal correctionnel, § 1, no 12); (Le

(1) La loi de 1790 sur la chasse a été abrogée et est remplacée aujourd'hui par la loi du 3 mai 1844 sur la police de la chasse.

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