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matière criminelle qu'il doit être jugé par ses pairs. » D'ailleurs, ne perdons pas de vue qu'il y a une grande différence entre une renonciation écrite, et une renonciation de fait.

Une renonciation écrite emporte, seule et par elle-même, la preuve non équivoque de la volonté de son auteur.

>> Une renonciation, appuyée seulement sur des faits qui la font supposer, n'a pas, à beaucoup près, le même degré de certitude.

>> Dans les termes ordinaires du droit, les renon, ciations ne se présument pas. La raison en est que, s'il est libre à chacun de renoncer à son droit, personne cependant n'est présumé en faire inconsidérément le sacrifice. Nemo res suas facilè jac tare præsumitur. On ne doit donc pas présumer qu'un pair ait légèrement abdiqué sa dignité.

>> En tout cas, il nous semble que, si l'on trouve dans la conduite d'un pair des faits d'où l'on veuille induire sa renonciation à la pairie ; ces faits, lorsqu'il conteste les inductions qu'on en tire, ne peuventêtre convenablement appréciés que par la chambre des pairs.

» Autrement, les pairs ne seraient réellement plus inamovibles. Un mot échappé, une conversation mal saisie, mal interprétée, pourraient,

quelque jour, être pris pour une démission : pour peu que la conduite d'un pair parût incompatible avec sa dignité, on supposerait qu'il s'en est démis de fait ; et les pairs seraient arbitrairement privés des avantages que la Charte a voulu leur assurer. >> Mais supposons maintenant que le maréchal Ney a, en effet, abdiqué la dignité de pair; qu'il a renoncé formellement aux prérogatives attachées à cette dignité, et notamment à l'article 34 de la Charte ; et voyons quels seraient les effets d'une telle renonciation.

» Elle serait postérieure au crime dont il est accusé; ce crime aurait donc été commis par un pair, et il ne pourrait encore être jugé que par la Chambre des pairs.

» En effet, c'est à l'époque où le crime a été commis que le pair a acquis le droit d'être jugé par ses pairs; et réciproquement que les pairs‹nt acquis le droit de juger leur pair.

» Nous disons réciproquement, parce que. l'article 34 de la Charte n'a pas seulement entendu accorder aux pairs le privilége individuel d'être jugés que par leurs pairs en matière criminelle; ce privilége est accordé dans l'intérêt général de la pairie.

Quand un pair est traduit devant des juges autres que ses pairs, on ne méconnaît pas seu

lement le privilège de l'accusé; le droit de la pairie toute entière se trouve atteint :( et c'est pour cela que, dans le paragraphe précédent, nous avons vu le parlement de Paris aussi ardent à réclamer le droit exclusif de juger les pairs, que Bous avons vu des pairs eux-mêmes soigneux de réclamer la juridiction de cette cour ).

» Ainsi, quoiqu'il soit vrai de dire qu'un pair peut renoncer à la pairie, cela doit s'entendre comme de toutes les renonciations; c'est-à-dire, sous la condition que sa renonciation ne sera point intempestive.

» S'il fait sa renonciation à une époque où il n'a commis aucun crime qui l'ait rendu justiciable de ses pairs, on peut dire qu'il ne renonce qu'à son droit personnel.

>> Mais s'il renonce après que, par sa conduite prétendue criminelle, il a contracté l'obligation de répondre devant ses pairs; sa renonciation, bonne pour l'avenir, ne le soustrait pas, pour le passé, à la juridiction de la chambre des pairs, qui a autant d'intérêt à le juger,, qu'il peut avoir luimême d'intérêt à être jugé par elle.

» Encore une fois, il ne faut pas considérer l'époque de la mise en accusation; mais l'époque où le prétendu crime a été commis, et la qualité qu'avait l'accusé à cette même époque, pour dé

terminer le tribunal qui doit le juger. — Cela est vrai dans les cas les plus ordinaires.

» Ainsi, par exemple, si un crime a été commis par un militaire, quoique ensuite, et avant qu'il ait été traduit devant un conseil de guerre, il donne sa démission, il ne cessera pas pour cela d'être justiciable d'un conseil de guerre; le crime par lui commis ne cessera pas d'être un délit militaire; il ne pourra pas décliner la juridiction militaire.

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Or, ce qui arriverait en pareil cas, par las eule force des principes sur la compétence des tribunaux en général, doit à plus forte raison être observé dans une circonstance où la constitution de l'état est particulièrement intéressée à ce que le crime prétendu commis par un pair, ne soit jugé que par la chambre des pairs.

>>> Cela est d'autant plus important qu'il pourrait fort bien arriver qu'un pair, ayant abdiqué pour faire jouir plus tôt son fils des honneurs et des droits de la pairie, fùt ensuite recherché pour sa conduite passée. Or, dans ce cas, étant accusé pour des faits dont il se serait rendu coupable étant pair, il ne pourrait certainement être jugé qu'en cette qualité, et conséquemment par ses pairs.

» Il en faut dire autant d'un ministre qui donnerait sa démission pour se soustraire au jugement

des chambres. Il ne cesserait certainement pas pour cela d'être leur justiciable pour tout le passé.

>> La nature du crime dont un pair est accusé est indifférente en soi; qu'il s'agisse d'un délit militaire ou d'un délit commun, la règle demeure la même : Un pair ne peut être jugé que par ses pairs.

» La Charte n'a pas distingué entre les différentes espèces de crimes, elle n'en excepte aucun; en matière criminelle, dit-elle d'une manière générale. Elle ne s'occupe pas de la qualité du crime, mais seulement de la qualité du criminel. S'il est pair, il ne peut être jugé que par la chambre des pairs. Cette qualité de pair est dominante, elle éclipse toutes les autres; on ne peut jamais en faire abstraction dans l'individu qui en est revêtu. Peu importe qu'il y joigue des titres et des emplois secondaires : il est pair, donc il ne peut être jugé que par ses pairs; c'est toujours là qu'il en faut revenir.

>> Jusqu'ici nous avons considéré le maréchal Ney comme n'ayant jamais eu l'intention de renoncer à la qualité de pair, ou du moins comme ayant certainement possédé cette qualité au jour du crime dont il est accusé, Maintenant nous allons supposer que jamais il n'a été pair; et, dans cette hypothèse, nous soutiendrons qu'il serait en

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