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le cercle commun à tous les nobles, celui de la Tournelle et de la Grand Chambre réunies; du moins devait-il, et par la dignité de son titre et par celle de ses attributs, être assimilé aux conseillers du parlement, et jouir, comme eux, d'un tribunal composé de l'assemblée de toutes les chambres.

» Maintenant que les droits des maréchaux de France sur le tribunal dont ils étaient justiciables à l'époque de la suspension de leur dignité, se trouvent établis, revenons au point d'où nous sommes partis au commencement de cette dis

cussion.

» Par une disposition générale, l'art. 69 de la Charte a conservé à tous les officiers leurs grades

et leurs honneurs.

» Le grade des maréchaux, c'est leur titre, c'est leur dignité de maréchal de France.

» Leurs honneurs, ce sont tous les priviléges honorables attachés à cette dignité et inhérens à la personne de ceux qui en sont revêtus.

Il n'y a point à équivoquer sur ce mot honneurs. Sans doute il ne comprend pas les prérogatives qui s'exercent sur autrui, telles que le droit de juridiction, qui appartenait autrefois aux maréchaux'; mais tout ce qui constitue l'état de la personne, tout ce qui tient à son existence per

sonnelle, tout ce qui tend à relever l'éclat de sa place et de ses dignités, tout cela fait nécessairement partie des honneurs de cette place et de cette dignité.

» Le droit d'être jugé par un tribunal plus solennel, est certainement un honneur; car c'est à la dignité de la place que ce privilége est attaché. Dirait-on que le droit des pairs de France, de n'être jugés que par la chambre des pairs, n'est pas un honneur? Si on lui retranchait ce privilége, cette haute dignité perdrait évidemment un de ses plus honorables attributs.

» D'ailleurs, il suffirait aux maréchaux de France d'avoir été conservés dans le titre de leur dignité et quand la Charte n'aurait pas ajouté la conserva tion des honneurs qui en sont l'apanage, les maréchaux n'en auraient pas moins le droit, en vertu de la Charte même, de ne pouvoir être jugés que par une haute-cour de la nature de celle à laquelle, dans tous les temps, ils ont été soumis; et il serait impossible de trouver, soit dans les lois anciennes, soit dans celles actuellement en vigueur, le plus léger prétexte de les considérer comme jusniciables d'un conseil de guerre.

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» Nous avons fait remarquer en effet que la Charte contient une autre disposition, celle de l'article 62: Nul ne pourra étre distrait de ses

juges naturels, et l'article 63 ajoute : Il ne pour ra en conséquence étre créé de commissions et de tribunaux extraordinaires.

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» Arrêtons-nous à ces dispositions. Quels étaient, au moment de la charte, les juges naturels des maréchaux de France? Était-ce un conseil de guerre ?

» Non sans doute. La première loi nouvelle sur les conseils de guerre est du 13 brumaire'an 5; elle ne concérnait point les généraux; ce n'est que par une loi du 4 fructidor suivant qu'elle leur a été appliquée. Mais, à cette époque, les maréchaux de France n'étaient point encore rétablis; il n'existait que des généraux. Le plus haut grade était celui de général de division; c'est à ce grade que le commandement en chef des armées était - alors confié. Cette loi n'avait donc pas entendu soumettre, et il était impossible qu'elle soumît à ses dispositions un grade supérieur, ou plutôt une dignité éminente qui n'existait point encore.

Sept ans après, cette dignité fut rendue à son existence, à son ancien lustre; elle fut réta-blie, et elle le fut avec ses anciennes prérogatives. On sentit surtout qu'il n'eût pas été convenable de placer ce titre éminent sous l'empire des lois constitutives des conseils de guerre; et dans cette intention bien prononcée, en même temps qu'on

recréa le titre, on fixa le tribunal qui seul aurait droit de traduire devant lui ceux qui en seraient décorés ce tribunal fut une haute-cour.

» Ainsi, puisqu'à côté de la nouvelle création des maréchaux se trouve l'expresse attribution d'un tribunal solennel et spécial, il est bien évident que, par leur création même, ils ont été affranchis de la juridiction des conseils de guerre.

» Il faut donc conclure qu'en conservant aux maréchaux leurs juges naturels, l'article 62 de la Charte les a maintenus dans le droit de ne pouvoir être traduits devant un conseil de guerre, et de ne reconnaître pour juges qu'une haute-cour. » Dira-t-on que la haute-cour n'existe plus ? ́ Mais la dignité de maréchal existe; mais le privilége de n'être jugé que par une haute-cour'sub-" siste dans toute sa force. Les maréchaux y sont doublement maintenus par la Charte, qui leur conserve leur titre, leurs honneurs et leurs juges naturels.

>> De ce que la haute-cour n'a pas une existence de fait, il ne peut jamais résulter qu'en droit le privilége de n'être jugé que par une haute-cour se trouve anéanti. La seule conséquence serait que, pour l'exercice du privilége, il faudrait établir une haute-cour, ou indiquer tel autre tribunal solennel qui, comme elle, pût représenter les par

lemens, seuls juges autrefois des maréchaux.

» Il en résulterait encore moins que, par l'inexistence de cette haute-cour, les maréchaux seraient devenus justiciables des conseils de guerre; car, de ce que le seul tribunal qui a droit de les juger serait dans l'impuissance de le faire, conclure qu'ils doivent être soumis à un autre tribunal qui n'a jamais eu de pouvoir sur eux, la conséqueuce serait évidemment vicieuse.

༣།

» Qu'est-ce, d'ailleurs, qu'un conseil de guerre? Ce n'est autre chose que la représentation de l'ancienne juridiction militaire que les maréchaux exerçaient dans les camps et dans les armées, Le premier établissement régulier des conseils de guerre ne paraît résulter que de l'ordonnance de Louis XIV, du 25 juillet

1665; et, certes, ce maréchaux de France.

n'était pas pour juger les que ces conseils furent créés alors. Aurait-on pu, en aucun cas, soumettre les maréchaux à leur propre juridiction, à celle qui était inhérente à leurs offices, dont ils portaient foi et hommage au Roi, et qui n'était exercée qu'en leur nom et par leurs subordonnés? Il aurait fallu aller jusqu'à dire qu'un Seigneur haut-justicier pouvait être jugé au criminel par ses propres officiers, ce qui eût été le renversement de toutes les idées et de tous les principes.

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