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» Il est incompétent, parce que, pendant huit siècles et jusqu'en 1790, il n'a jamais eu de pouvoir sur eux, et qu'il n'en a reçu aucun par les lois de brumaire et de fructidor an 5, créatrices des nouveaux conseils de guerre.

» Il est incompétent, parce que les maréchaux, au moment de leur rétablissement, ont été expressément affranchis de sa juridiction, pour n'être soumis qu'à leur tribunal ancien et immémorial, ou, du moins, à un tribunal de même nature', une haute cour.

» Il est incompétent, enfin, parce qu'il n'a pas reçu du monarque plus de pouvoirs qu'il n'en tenait de l'ancien gouvernement; et qu'au contraire le monarque lui a impérieusement interdit, par la Charte constitutionnelle, d'étendre sa puissance sur les maréchaux, en maintenant ceux-ci dans leurs titres, leurs honneurs et leurs juges naturels.

Non-seulement les dispositions de la Charte sont expresses, mais il ne peut être permis de douter de l'intention qui les a dictées, si l'on considère que le Roi, dans le préambule de cette Charte, a pris soin d'expliquer lui-même que son désir a été de réunir les temps anciens et les temps modernes. Sans doute, c'est à la dignité de maréchal de France que l'on doit appliquer sur

tout ce vœu de la sagesse du Roi. Il importait que ce beau titre, si glorieusement illustré dans tous les siècles de la monarchie, et dont nos guerriers modernes avaient si vaillamment soutenu l'éclat, fût transmis aux guerriers futurs, sans altération des honneurs et des attributs dont il fut décoré dans tous les temps. Chaque siècle peut avoir ses Turenne, ses Villars et ses Catinat; et convient-il que ceux qui, dans l'avenir, feront revivre ces grands noms, reçoivent le titre de maréchal, moins honoré, moins éclatant que lorsqu'il fut porté par leurs illustres devanciers?

>> Ces hautes considérations, puisées dans les inspirations même de la sagesse du monarque, en expliquant les motifs des dispositions qui, dans la Charte, sont applicables aux maréchaux, viennent prêter une nouvelle force à notre démonstration, et nous autorisent à persister dans notre résolution, qu'un conseil de guerre est absolument incompétent pour juger un maréchal de France.

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» Délibéré à Paris, ce 5 septembre 1815, par l'ancien avocat soussigné, DELACROIXFRAINVILLE. >>

Le défenseur de l'accusé ayant cessé de parler, le comte Grundler, rapporteur, a pris la parole et s'est exprimé en ces termes :

<< Messieurs,

>> La patrie en deuil voit entrer aujourd'hui avec douleur dans le temple de la justice, et se placer sur le banc des accusés, un de ses défenseurs naguère bien glorieusement distingué...... Funestes résultats de nos dissensions domestiques! fatale erreur qui livre au glaive des lois celui qui devait en être le plus ferme appui!.....

>> Dans les temps de révolutions, les crimes ou les fautes qu'elles font commettre, ne sont pas toujours punis avec impartialité et justice. Vous donnerez, Messieurs, ce bel exemple d'un tribunal militaire délibérant avec calme au milieu de l'effervescence de toutes les passions, sur le sort d'un illustre préyenu.

>> La France, l'Europe entière, nous observent; nous n'avons cédé à aucune influence étrangère à nos devoirs; nous sortirons de cette enceinte avec le sentiment d'une conscience irréprochable et sans redouter leur jugement ni celui de la postérité.

» Lorsque S. Exc. M. le maréchal Jourdan, président du conseil de guerre, nous désigna pour remplir les fonctions de rapporteur, nous ne nous attendions point à être chargé d'éclairer la religion du conseil sur une question d'état aussi importante et aussi compliquée que celle de la compétence; mais le déclinatoire de M. le maréchal Ney, la requête

présentée au roi par madame la maréchale, la consultation de M. Lacroix-Frainyille (qui nous ont été officiellement communiqués), et les devoirs qui nous ont été imposés, comme rapporteur, nous ayant obligé de nous occuper de ce travail, nous allons chercher à jeter quelque lumière sur cette question de juridiction..

Jusqu'à présent la question de compétence du conseil de guerre devant lequel M. le maréchal Ney est traduit, n'a été traitée qu'en ce qui concerne la pairie et son titre de maréchal de France. Nous donnerons plus d'extension à l'examen de cette question; nous traiterons d'abord de la pairie et des droits que M. le maréchal Ney peut avoir à être jugé par la chambre des pairs;

>>> Ensuite, du titre de maréchal de France considéré comme grand-officier de la couronne, et comme général, et des prérogatives qui y ont été attribuées, tant par les rois de France que par le gouvernement qui l'a rétabli pendant la révolution.

» Après avoir examiné si on a pu former un conseil de guerre par analogie, nous déduirons des ordonnances des 6 mars, 24 juillet et 2 août derniers, tout ce qui peut établir sa compétence pour juger M. le maréchal Ney.

>> Nous discuterons deux autres questions qui n'ont point encore été traitées, celle de la rédac

tion du jugement à intervenir dans cette affaire suivant les formules prescrites, et celle de la ré

vision.

» Enfin, résumant les différens points de la discussion, nous ferons connaître au conseil ce qui peut motiver la compétence ou l'incompétence.

» Vous avez vu, Messieurs, par la lecture des pièces, que M. le maréchal Ney a décliné la compétence de tout conseil de guerre pour le juger, et que ce n'est que par égard pour MM. les maréchaux de France et MM. les lieutenans-généraux qui composent le conseil, qu'il a consenti à nous répondre comme rapporteur.

>> Vous avez également remarqué que madame la maréchale a présenté au roi une requête pour revendiquer le titre de pair du maréchal, et le privilége qu'il avait d'être jugé en cette qualité par la chambre des pairs, conformément à l'art. 34 de la charte constitutionnelle.

» Les conseils de M. le maréchal Ney ont invoqué, en outre, l'article 33 de la charte, pour lui assurer le droit d'être jugé également par la chambre des pairs, attendu qu'aux termes de cet article, il n'appartient qu'à elle de connaître des crimes de haute trabison et des attentats à la sûreté de l'état.

>> Le déclinatoire de M. le maréchal Ney vient d'être réitéré en séance par son défenseur, et nous

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