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oblige de suspendre les débats pour traiter la question de compétence.

>> Examinons si ses prétentions sont fondées.

>> Les historiens et les publicistes nous montrent l'institution de la pairie presque aussi ancienne que la monarchie, et sa juridiction certaine et déterminée avant et après l'établissement des parlemens.

>> Ce fut plus particulièrement sous Charles-leChauve que la pairie devint héréditaire: les troubles qui suivirent la mort de ce prince achevèrent la révolution qui en rendit les offices héréditaires et patrimoniaux.

» Sous Hugues Capet le nombre des pairs était fixé à douze, six laïques et six prélats; ils étaient égaux en fonctions et en dignité, et juges les uns des autres, sur le fondement de l'égalité qui régnait

entre eux.

» Voyons maintenant depuis quand, en quelle forme et dans quelle matière ils ont établi leur juridiction de pairie.

» Sous Philippe Ir. la cour des pairs formait, sous la présidence du Roi, une cour seule compé tente pour connaître des causes féodales, tant réelles que personnelles, d'un pair de France.

» En 1217, Manassés, évêque d'Orléans, ayant parlé en termes peu respectueux d'un jugement

rendu par la chambre des pairs à l'égard de la femme d'Érard de Brene, qui se prétendait héritière du comté de Champagne, Philippe Auguste prévint le pape Honoré III que ce prélat serait puni de sa témérité, et lui ferait réparation; que la juridiction des pairs de France était un point de droit public de ce royaume.

Philippe V fit expédier, en 1317, des lettres-patentes portant qu'un pair de France ne connaissait que le Roi et les pairs pour juges compétens de son état et honneur, et qui déterminaient la forme en laquelle une accusation devait être produite pour être reçue contre un paír de France.

» Nous pourrions citer ici plusieurs actes qui prouvent que la cour des pairs de France a été long-temps distincte du parlement.

Par un édit de Louis XI, du mois de septembre 1461, les pairs de France furent créés officiers de la cour du parlement et partie intégrante de ce corps, quoique, depuis Philippe de Valois, ils jouissent déjà du droit d'y avoir entrée, séance et voix délibérative comme conseillers nés du Roi en tous ses conseils, et non comme appartenant primitivement à ce corps.

» Dans plusieurs circonstances très-importantes, et notamment à la reprise du procès contre le omte de Montfort, relatif au duché de Bretagne,

et lors du procès du Roi de Navarre, pair de France, comme duc de Nemours, qui s'était rendu coupable du crime de lèse-majesté, les pairs de France ont défendu avec le plus grand succès leur juridiction.

>> Les six anciennes pairies laïques s'étant successivement éteintes par l'extinction des mâles, les rois en ont créé de nouvelles pour les remplacer. Philippe-le-Bel en créa trois en 1297, et, quelques années après, il érigea la baronie de' Bourbon en duché-pairie, en faveur de son oncle Louis-de-Bourbon.

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Philippe de Valois fit la troisième création de pairie en 1344; et la quatrième fut faite par le roi Jean, en 1360. A cette époque le nombre des pairs était encore fixé à douze, tant laïques qu'ecclésiastiques.

» Par la suite, les rois en augmentèrent le nom-. bre indéfiniment. De tous les exemples que l'on peut tirer de l'histoire de France et qui ont quelque rapport à la question que nous discutons en ce moment, il nous semble que le procès du maréchal de Biron, duc et pair de France, accusé en 1602 du crime de lèse-majesté et de haute trahison, est celui qui y a le plus d'analogie.

» Parmi les pièces de ce procès célèbre, nous avons remarqué :'....

» 1°. Une commission donnée par le Roi au parlement de Paris, le 17 juin 1602, pour faire le procès à ce maréchal.

>> 2°. Une commission du Roi, du 18 juin suivant, à M. le premier président de Harlay, au président Pottier, aux sieurs de Fleury et de Thurin, conseillers en la cour, pour instruire et mettre en état de juger le procès criminel du maréchal de Biron..

» 3°. Enfin, une lettre patente du Roi au parlement de Paris, du 3 juillet de la même année, tendante à ce qu'au jugement du maréchal de Biron, pair de France, les formalités requises aux procès des pairs soient, strictement observées...

>> Nous transcrirons ici ces lettres patentes en entier.

<< HENRY , par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre, à nos amés et féaux conseillers les gens tenant notre cour du parlement de Paris. Nous vous avons ci-devant ordonné de faire et parfaire le procès extraordinaire au duc de Biron, pair de France, sur les conspirations entreprises dont il est prévenu; et d'autant que par la qualité de pair dont l'avons honoré, jugeons être convenable que les pairs de France qui commodément pourront se trouver en ce jugement y assistent; vous mandons et ordonnons de suivre, pour ce

>>

regard, l'ordre qui de tout temps et d'ancienneté a été observé. Mandons aussi et enjoignons à notre procureur général de faire en cela toutes les poursuites et réquisitions nécessaires. Si, n'y fattes faute, car tel est notre plaisir, etc. A Fontainebleau, le 3 juillet 1602. » Signé HENRY. » » Par un édit de 1711, les pairs modernes opt été déclarés représentans des anciens pairs. >> Les pairs de France forment dans l'état une classe séparée ; donc ils doivent être jugés dans une forme différente du reste des citoyens; la loi, d'ailleurs, le veut ainsi.

- » La pairie rend les pairs égaux entre eux dans l'ordre politique; elle leur prescrit des fonctions égales à remplir, des services égaux à rendre à l'état et au souverain, et leur impose des devoirs réciproques; c'est pour cela qu'elle les établit juges les uns des autres. Ici l'ordre judiciaire est une conséquence immédiate et nécessaire de l'ordre politique.

» L'idée d'une pairie em porte nécessairement celle de l'existence d'une juridiction; donc le Roi, en rétablissant la pairie héréditaire dans l'ordre politique, a dû rétablir en même temps, dans l'ordre judiciaire, la juridiction des pairs, qui, dès leur origine, fut toujours essentiellement distincte

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