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>> Buonaparte souscrivit à tout ce qui lui était demandé par le maréchal: il promit même beaucoup plus pour la prospérité de la France.

»Satisfait de ses promesses, le maréchal Ney ne

songe à retirer de son aveugle condescendance aucune espèce d'avantages pour lui-même; on ne le voit rechercher aucunement les faveurs de la nouvelle cour.

le

>> Peu de temps après l'entrée de Buonaparte dans Paris, le maréchal se retire dans sa terre. Le bruit a couru (sans doute d'après la harangue d'Auxerre) qu'il était en pleine disgrâce. La vérité est que maréchal, détrompé bientôt sur les fausses assurances données par Buonaparte d'une prochaine composition avec les puissances, ne voulut plus reparaître devant lui. Rien ne put le déterminer à quitter sa retraite.

>> Ce qu'il y a de certain encore, c'est que dans les trois mois du fol empire, on ne vit le maréchal briguer aucun emploi, solliciter aucune récompense. Buonaparte ne le consulta point sur ses plans de campagne: il ne se ressouvint de lui que comme d'un guerrier toujours disposé à combattre pour l'intégrité du territoire.

>> Un moment le maréchal Ney a conçu l'espoir de soustraire son pays aux calamités de la guerre étran

gère: son attente est déçue dans la journée du 18 juin.

» Sur-le-champ il revient à Paris. Et dans quelles dispositions? On peut en juger par la déclaration pleine d'énergie et de franchise qu'il fit à la chambre des pairs, dans la séance du 22 juin.

Buonaparte était encore, ce jour-là, environné de partisans nombreux: le prestige, presque invincible, attaché à sa funeste existence, était loin d'être dissipé. Il conservait l'espoir de se relever encore: un de ses ministres se présentait à la chambre, porteur d'un message audacieusement impos

teur.

» Mais le maréchal Ney est là avec l'inflexibilité de son caractère; trop honnête homme pour composer avec sa conscience, trop ami de son pays pour souffrir qu'on l'abuse encore par de nouveaux mensonges.

» Il déclare hautement que la journée du 18 ne laisse d'autre parti à prendre que celui d'une prompte soumission.

Que si sa brusque proposition eût été suivie, si, le 22 juin, on eût sur-le-champ arrêté de négocier, évidemment la négociation, conforme au traité signé à Vienne le 25 mars par toutes les puissances, rendait plus tôt le Roi à son peuple.

» Et qui sait si, dans ce cas, le territoire français

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eût été occupé par tant de troupes étrangères? Qui sait si de grands maux n'eussent pas été détournés?

» Quoi qu'il en soit, on retrouve ici dans le maréchal Ney la même droiture d'intention qui caractérise sa vie entière, la même véracité qu'il a montrée dans ces derniers temps envers Buonaparte, à Fontainebleau, à Auxerre.

>> Dans toutes ces occurrences, c'est toujours la chose publique qui l'emporte sur son intérêt personnel. Dans cette dernière encore, il néglige totalement ce que tant d'autres ont observé avec succès, de prendre une position militaire qui lui facilite du moins quelque moyen de faire oublier

ses torts.

» Voilà, sans nul déguisement, ce qu'a fait le maréchal Ney depuis le mois de mars 1815. En peut-il résulter, nous ne disons pas la prévention du crime odieux de trahison, mais même un véritable avilissement moral? Tout crime, dans l'acception légale de ce mot, suppose une préméditation, un intérêt plus ou moins dominant. Le crime de trahison se compose de menées longues, successives, de combinaisons lâches et perfides.

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>> Une erreur du moment, effet du concours vraiment inouï des incidens les plus étranges; une erreur dont on n'entrevoit le principe que dans un sentiment louable en soi, mais mal dirigé; une

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erreur enfin qui n'a servi en rien l'usurpateur, qui n'a nullement profité à celui qui l'a commise: une telle erreur est-elle autre chose qu'un fatal éga

rement?

» Ne sera-t-il donc pas permis au maréchal Ney d'appeler à son secours ce jugement porté par le Monarque sur ceux de ses sujets qui ne furent qu'égarés? Ne sont-ce pas exclusivement les instigateurs des désordres, les auteurs de la trame ourdie en faveur de Buonaparte, que S. M. avait primitivement désignés à la vengeance des lois ?

>> Il est prouvé que, loin d'avoir formé aucune conspiration, le maréchal Ney, malgré sa faute, n'y est point entré; qu'il était de bonne foi dans ses promesses au Roi; qu'il n'a cédé qu'à Pirrésistible influence du salut de l'État, compromis à ses yeux par une guerre civile imminente; que ses mains sont restées pures, son caractère indépendant, inaccessible à toutes les séductions de l'intérêt personnel; qu'au premier instant où il lui fut possible de réparer son erreur, alors qu'il y avait encore quelque danger à se prononcer contre l'usurpateur et en faveur du souverain légitime,. le maréchal n'a point hésité à découvrir son âme toute entière, et à voter, pour la France, le parti de la soumission.

» Par quelle funeste exception le maréchal Ney serait-il donc traité comme criminel? Certes, il était loin de le redouter, lorsqu'en dernier lieu l'enceinte de sa retraite a été cernée. Se cacher ou fuir lui eût été facile; mais l'un et l'autre répugnent à un grand cœur. Dans la sécurité d'une conscience d'où l'honneur ne fut jamais banni, le maréchal s'est offert de lui-même à ceux chargés de s'assurer de sa personne; dernier trait qui achève de donner la mesure de son caractère, et qui atteste sa haute' confiance dans les institutions. d'après lesquelles il doit être jugé.

>>

Signé, Me. BERRYER père, Avocat. »

La lecture d'une partie des pièces de la procédure a tenu tout le temps de la première séance du conseil, qui a duré six heures et demie.

La seconde séance a eu lieu le lendemain 10 novembre.

Le rapporteur a continué la lecture des pièces. Cette lecture achevée, le président a annoncé que le maréchal allait être introduit dans la salle d'audience. « Je rappelle au public, a-t-il ajouté, qu'il est défendu de donner aucune marque d'approbation ou d'improbation, et j'ordonne à la garde d'arrêter sur-le-champ quiconque se permettrait de

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