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de la multitude, de la stupeur des hommes les plus éclairés; par le récit, plus effrayant encore, des inconcevables succès de Buonaparte dans Lyon, de la rapidité et de l'assurance de sa marche triomphale; prodiges déplorables, dont sa raison plus froide aurait dû scruter mieux la source empoisonnée, et apercevoir plus sainement les lamentables suites. Il sera, je l'assure, évident pour tous que le maréchal fut trompé, mais ne fut pas trompeur; que ses yeux furent fascinés, que les illusions, la crainte de plus grands maux, l'espérance d'un avenir paisible, l'assurance que le respect dû à la majesté royale serait gardé, créèrent pour lui, par une maléficieuse improvisation, le plus faux dénouement.

» A cette annonce positive (qui n'a rien de présomptueux) d'une justification morale, satisfaisante pour l'honneur, et que des juges de l'intention s'empresseront d'accueillir comme judiciaire, je crois entendre autour de moi l'impatience du courage se manifester, et ces esprits ardens qui, dans les dispositions diverses, aspirent à pénétrer en l'âme d'un homme extraordinaire, s'indigner en quelque sorte du moindre ajournement.

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Pourquoi donc, se demande-t-on déjà de tous côtés et avec surprise, pourquoi, au nom de celui que la fermeté et la franchise de son caractère

ont toujours distingué, au nom d'un maréchal de France, différer une minute des explications catégoriques? Le premier besoin du prince de la Moscowa n'est-il pas de se réhabiliter auprès du corps social entier, qui gémit de n'avoir pu lui conserver pur le reconnaissant souvenir de tout ce qu'il avait fait antérieurement pour sa gloire et pour sa sûreté ?

» Sa famille éplorée, par le silence de son abattement et de sa douleur, ne presse-t-elle pas assez vivement le jour où ce chef adoré, dont elle veut toujours être fière, lui sera rendu sans tache comme sans peur?

Quel est donc le motif de cette temporisation? Est-ce que l'on peut désirer, pour le maréchal Ney, des appréciateurs plus judicieux, plus intègres et plus bienveillans de sa conduite? N'estce pas dans la carrière qu'il a parcourue, dans les plus hauts rangs où il s'est élevé, que la rare magnanimité du roi, que son impartialité vraiment sublime, vraiment adorable, a été les chercher ? Ne sont-ce pas ses pairs? Et de quel choix plus convenable aurait-il à se flatter? Ne devrait-il pas même, sans défenseur, s'abandonner à leurs lumières, à leur religieuse loyauté, à leur tact si sûr en fait d'ordres et d'expéditions militaires, de plans formés, de tactique arrêtée, d'obstacles imprévus,

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qui en auraient tout à coup paralysé les ressorts et détruit tout l'effet?

>> Sans doute il vous tarde à vous-mêmes, Messieurs, à vous dont il fut l'émule et le compagnon d'armes, il vous tarde que se dissipent enfin ces nuages qui voilent l'éclat de tant de belles actions, et rompent en quelque sorte votre solidarité de gloire.

>> Toutes ces questions, je me les suis faites à moi-même; toutes ces considérations, je les ai saisies : rien assurément ne manquait à ma confiance, réglée sur la profonde vénération que toujours eut le droit d'inspirer l'héroïsme uni à la plus inflexible probité; mais, dans le combat de mes sentimens personnels contre les principes dominateurs de toute défense juridique, les principes ont dù l'emporter; j'ai dû faire violence à mes respectueuses affections, pour ne consulter qu'eux.

Aurais-je pu d'ailleurs, sans une témérité coupable, moi défenseur, transiger sur aucune des formes protectrices d'aussi grands intérêts que ceux dont le soin m'est confié? Il y va, dans ce procès, pour le maréchal Ney, d'un bien autrement précieux que la vie même, qu'il a tant de fois prodiguée; il y va de l'honneur d'un maréchal de France, d'un membre de la pairie royale ; que dis-je ! il y va, pour la société entière, sortie

à peine de la plus terrible commotion, touchant au terme heureux des incertitudes, il y va du sort de ses propres lois, de la consolidation de cette charte immortelle, devenue le palladium de nos libertés.

>>> Tel est le devoir imposé au ministère sacré que je remplis (et dont quelques passions, mal à propos inquiètes, avaient prétendu me tracer les limites), que, dans cette accusation de crime d'état qui pèse la première sur une tête rayonpante de tant de victoires, j'ai dû sortir du cercle de Popilius, pour élever mes pensées et diriger mes efforts vers un ordre de discussion qui répondit, par la sévérité de la doctrine, par la noble indépendance de son expression, à la grandeur du sujet et à la gravité des conséquences. Citoyen avant tout, sujet toujours fidèle de princes dont les noms recommandés à mon respect dès l'enfance, l'étaient de plus à mon amour par la raison et par l'habitude (1), je n'ai dû alarmer personne

(1) Depuis 1789, je n'ai jamais recherché ni exercé aucune fonction publique, si ce n'est celle d'électeur d'arrondissement à Paris. Lorsqu'en mai dernier je fus appelé en mon collége électoral pour émettre mon vote sur le fameux acte additionnel, je refusai publiquement, et m'abstins, à cause de l'obligation qui m'était imposée, de prêter serment à l'usurpateur. A la convocation royale, je

ni sur la légitimité, ni sur l'indiscrète véhémence des moyens dont je ferais usage. La cause de celui qui fut, pendant vingt ans, calme sous des grêles de feu, ardent sous les glaces du nord, modeste dans ses foyers, ne comporte ni témérité ni fai

publiai, en août dernier, une lettre circulaire à mes collègues des départemens, dans laquelle on retrouvera toutes les vues d'ordre public, tous les principes que doit professer tout bon serviteur du Roi, tout véritable ami de son pays. Nombre de personnes du plus haut rang connaissent plusieurs des ouvrages que j'ai projetés sur des objets de haute administration, notamment en faveur du clergé, de la noblesse française, et pour procurer soit à l'état des ressources immédiates, soit à la circulation les moyens d'échange qui lui manquent. Mon second fils, en mars dernier, était l'un des gardes-du-corps de S. M. Nos cœurs se sont entendus pour qu'il demeurât fidèle à la cause royale, et ne débutât pas, dans l'honorable carrière des armes, par un changement de foi. Mon fils aîné, faisant comme moi de la profession d'avocat son plus beau titre, a prouvé par son enrôlement dans les volontaires royaux, qu'il portait comme moi un cœur français. Un de mes neveux, que j'ai élevé, s'est déclaré de même, en marchant volontairement pour la cause de la légitimité. Tel est l'esprit que j'ai répandu dans ma famille. Je me suis vu obligé de joindre ici cette note pour justifier, aux yeux de tous, mes intentions et mes sentimens que l'on a calomniés.

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