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devant vous le maréchal Ney, comme devant un conseil de guerre permanent : l'un donné au nom même de la Majesté Royale; l'autre émané de S. Exc. le ministre du département de la guerre, les 24 juillet et 3a août derniers.

>> Ici viennent s'agglomérer pour vous, autour de nos monumens historiques et de la charte constitutionnelle, les raisons de vous convaincre de votre propre incompétence. Une courte analyse va vous démontrer qu'elle est absolue, et, comme le disent les jurisconsultes, qu'elle est radicale.

» Je vais établir, pour première proposition de cette rapide analyse, que nuls conseils de guerre, pas même permanens, ne peuvent avoir de compétence pour connaître des crimes d'état, et qu'ainsi, à raison de la matière soumise, vous pouvez, vous devez, Messieurs, vous récuser.

>> J'établirai ensuite que vous le devez à raison 'soit de la personne accusée, soit des titres cumulatifs de dignités dont le maréchal Ney fut ou est encore en possession.

» Je prouverai, en troisième lieu, que la composition de votre tribunal est illégale, même pour l'hypothèse où aucune juridiction militaire pournait être investie du droit de juger le maréchal Ney.

» Enfin, je résumerai par cette conclusion, que c'est à vous à déclarer votre incompétence.

PREMIÈRE PROPOSITION.

» Je débute dans ma première proposition, que la connaissance d'un crime d'état présumé n'a pu être attribuée à aucun conseil de guerre, par l'itérative protestation de mon respect pour le Prince au nom duquel cette accusation vous a été dévolue.

Est-il besoin de dire qu'aucun des traits détachés contre l'oeuvre ne peuvent arriver jusqu'à sa personne auguste? Sa Majesté est inviolable et sacrée; rien de ce qui se fait en son nom n'appelle de responsabilité que sur ses ministres. C'est assez vous avertir, Messieurs, qu'ici l'imposante autorité de l'ordonnance royale du 24 juillet ne peut enchaîner vos suffrages, ni commander à vos consciences.

>>

Depuis bien des siècles, en France, l'administration de la justice a été confiée à des magistrats indépendans, qui l'exerçaient au nom du Roi, et souvent contre lui. Toutes les affaires, tant civiles que criminelles, leur furent attribuées indistinctement. L'attribution des causes criminelles surtout y fut rarement dérangée, et cela n'arriva jamais, sans que ces accidens ne fussent considérés comme des abus, et comme autant de calamités.

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» Dans les procès où l'état et le prince étaient intéressés, l'établissement de juges spéciaux extraordinaires, ou commissions, parut encore plus insupportable.

>> En effet, la part active que le souverain semblait prendre à la poursuite, était bien faite pour jeter l'épouvante. En chargeant des juges ad hoc de prononcer, il s'exposait à ce qu'on lui imputât le tort de juger lui-même.

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» Ce sont les dangers de cette empiétation sur l'ordre établi dans les monarchies, que l'immortel auteur de l'Esprit des Lois a signalés, lorsqu'il dit:

<< Dans les monarchies, si le prince jugeait lui» même, la constitution serait détruite, les pou>> voirs intermédiaires anéantis; on verrait cesser » toutes les formalités des jugemens; la crainte » s'emparerait de tous les esprits; on verrait la pâ» leur sur tous les visages. Plus de confiance, plus »‹ d'honneur, plus d'amour, plus de sûreté, plus » de monarchie.» (Montesquieu, Esprit des Lois, liv. 6, ch. 5.)

>> J'insiste, Messieurs, sur cette condition pour les sujets accusés, de ne pouvoir être condamnés que suivant les lois, dans les formes établies et par leurs juges ordinaires, principalement dans les procédures relatives à la sûreté de l'état, ou à la majesté.

» Celles-là, de tout temps, demeurèrent dans les attributions exclusives des cours de parlement, gardiennes alors uniques de la légitimité du trône et des immunités du peuple.

» Jamais, au surplus, les rois n'y portaient euxmêmes les accusations: ils s'en reposaient sur le ministère public qui agissait, sauf le droit que les parties avaient de se défendre par toutes sortes d'exceptions, même déclinatoires.

» En parlant de cet ordre de choses, voyons, Messieurs, si le gouvernement a pu s'en écarter vis-àvis du maréchal Ney, par l'ordonnance du 24 juillet, au point de lui donner pour juges nécessaires du crime d'état à lui imputé, les membres d'un conseil de guerre.

>> Existe-t-il dans la charte quelque article dispositif, ou même énonciatif, ou purement transitoire, duquel on puisse induire que l'intention de S. M. ait été d'établir forcément une telle compétence?

Non-seulement rien de semblable n'est inséré dans la charte; mais, ce qui dissuade de l'interprétation, le contraire y est textuellement consigné en deux articles dont le contexte dispose le plus disertement possible.

«Art. 33. La chambre des pairs connaît des >> crimes de haute trahison et des attentats à la sû>> reté de l'état, qui seront définis par la loi. »

>> Remarquez que le texte ne fait aucune distinction entre les auteurs ou agens civils ou militaires de ces odieuses manœuvres, ni des moyens qu'ils ont pu pratiquer à main armée ou par négociations ténébreuses, et que, dans l'acception la plus générale des termes attentat à la sûreté de l'état, ce serait plutôt sur l'emploi de la force ouverte que porteroit l'attribution.

Art. 59. Les cours et tribunaux ORDINAIRES, >>> actuellement existans, sont maintenus; il n'y sera >> rien changé qu'en vertu d'une loi. »

» A ces deux articles dispositifs, servent d'appendice les articles 62 et 63, ainsi conçus :

« Art. 62. Nul ne pourra être distrait de ses juges >> naturels. >>

Art. 63. Il ne pourra, en conséquence, être » créé de commissions et tribunaux extraordi»naires ne sont pas comprises sous cette déno» mination les juridictions prévôtales, si leur réta>>blissement est jugé nécessaire. »

» Tout n'est-il pas clair? tout n'est-il pas coordonné dans cette organisation judiciaire ?

» Trois principes fondamentaux la constituent : » 1o. Vous ne connaîtrez que vos juges ordinaires; rien ne sera changé à leur consistance qu'en vertu d'une loi; vous ne serez arraché, dans aucun cas, à vos juges naturels.

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