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Dans le premier interrogatoire qu'il a subi devant le rapporteur, le maréchal Ney d'abord décliné la compétence du conseil de guerre appelé à le juger; néanmoins , par déférence pour MM. les maréchaux de France, il a consenti à répondre aux interpellations qui lui ont été faites par le comte Grundler. Après lui avoir donné quelques détails relatifs aux événemens qui lui étaient personnels, le maréchal a renvoyé, pour le surplus, à l'Exposé justificatif, signé de M. Berryer père, son défenseur, et dont voici la copie.

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Exposé justificatif pour le maréchal Ney. !

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« Quel changement et subit et terrible s'est opéré, dans l'opinion, sur le compte du maréchal Ney!

>> Jusqu'en mars 1815, son nom, illustré par vingt-cinq années de services éminens et de brillans exploits, était cher à la patrie. Les ennemis mêmes de la France admiraient en lui le grand capitaine; tous lui accordaient autant de générosité dans les sentimens, que de bravoure et d'habileté à la tête des armées. Aucun trait, ni de faiblesse,

les trouvera, nous n'avons pas dû les transcrire ici, attendu d'ailleurs que le conseil de guerre n'a pas eu à s'occuper de la question de fond à laquelle ils se rapportent.

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ni d'adulation, ni de cupidité, n'avait fait ombre à sa loyauté, à sa franchise militaires. Ses seuls défauts avaient paru être une certaine véhémence de caractère et d'expression, qui le rendait peu propre aux affaires publiques.

>> Depuis le mois de mars 1815, le maréchal Ney tout à coup serait devenu un autre homme ! Après avoir, l'année précédente, à Fontainebleau, notifié hautement à Buonaparte qu'il ne lui restait d'autre parti à prendre que celui de l'abdication, le maréchal Ney se serait montré assez lâche, assez inconséquent pour conspirer en sa faveur!... Il aurait fait violence à son naturel, au point de se transformer en un courtisan vénal et dissimulé! Il serait venu tromper le Roi par de fausses démonstrations de zèle, par des protestations perfides! Après avoir reçu de S. M. une forte somme d'argent, il serait allé de suite se vendre à Buonaparte, en lui conduisant les forces qu'il commandait !

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» Ah! sans doute, s'il était vrai que la faute commise par le maréchal Ney fût signalée par de si méprisables menées, sa position, quoique affreuse, n'aurait rien que de mérité; il serait indigne de tout intérêt, et la disgrâce du monarque dans laquelle il est tombé, et l'appareil d'un procès criminel, et, ce qui n'est pas une moindre infortune, la défaveur extrême qui semble être partout atta

revers accumulés

chée à son nom : tous ces seraient le juste châtiment du plus insigne des forfaits.

que

» Mais si, au contraire, il vient à être démontré le maréchal Ney n'a nullement conspiré; que ses promesses, que ses sermens au Roi ont été aussi sincères que désintéressés; qu'il n'a reçu aucune somme; qu'il est parti pour son gouvernement avec la ferme résolution de faire son devoir; qu'il a servi de bonne foi la cause royale, jusqu'au mo ment où la force majeure la plus irrésistible l'a entraîné;

» S'il est prouvé, surtout, que cet entraînement du maréchal Ney, blâmable sans doute, n'a eu d'autre principe que la crainte de voir éclater une guerre civile; que c'est l'amour mal-entendu de son pays qui; seul, lui a fait encourir ce reproche d'avoir trahi; s'il demeure constant que la défection du maréchal n'a point servi aux succès de Buonaparte; que le maréchal n'en a retiré aucune espèce d'avantages, qu'il y a fait preuve de quelque vertu ;

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» Alors, du moins, ces nuages épais d'une prévention aveugle, qui obscurcissent la gloire du maréchal Ney, devront commencer à se dissiper; alors, du moins, il commencera à recouvrer cette précieuse estime publique, le plus beau patrimoine

qu'il puisse transmettre à ses enfans; alors, s'il en est réduit à l'extrémité, douloureuse pour tout homme d'honneur, et plus encore pour un maréchal de France, de figurer sur le banc des accusés, quelques voeux du moins l'y suivront encore ;

>> Et la France, désabusée sur de honteuses imputations, continuera de l'honorer comme l'un de ses plus recommandables guerriers.

>> Dans d'autres circonstances, il eût suffi au maréchal Ney, pour détourner de lui jusqu'au soupçon de la moindre bassesse, d'invoquer sa vie toute entière; il lui eût suffi d'indiquer sommairement à quoi Buonaparte a dû, en effet, l'inconcevable réussite de sa marche, pour convaincre qu'il n'y a aucunement contribué par son adhésion.

Mais, dans une situation aussi affligeante que celle où ce funeste événement a plongé la France; quand le sentiment actuel des maux ne permet ni de discerner les causes, ni d'admettre de distinction entre ceux que la fatalité a mis en scène ; et lorsque les actions à juger se pressent dans le court intervalle de quelques jours, de quelques heures, il est indispensable d'entrer dans des explications qui forcent d'en observer les nuances.

>> Avant de préciser les faits, qu'il soit permis de s'arrêter un peu sur le personnel du maréchal Ney.

C'est à l'histoire qu'il appartient de recueillir tous les traits qui ont rendu sa carrière militaire si brillante, si glorieuse pour son pays;

>> Elle dira comment il a assisté à plus de cinquante batailles rangées;

>> Comment il s'est trouvé à plus de cinq cents combats;

» Elle dira qu'il en sortit tout couvert d'honorables blessures

>> Que ce fut sa rare intrépidité qui lui fit donner le súrnom de brave des braves;

» Elle rendra compte, par exemple, de son habileté et de son inébranlable constance, dans cette désastreuse retraite de Moscow; elle dira que c'est lui qui a conservé à tant de familles françaises et alliées des chefs ou des enfans adorés.

» Mais ce qui distinguera éminemment le maréchal Ney aux yeux de la postérité, ce sont les principes d'humanité, de droiture, de franchise, qu'il conserva toujours dans les camps, comme dans toutes les autres situations où il s'est trouvé.

» On l'a vu occupé sans cesse du soin de diminuer les maux inséparables de la guerre;

>> Usant envers les prisonniers de ces procédés généreux qui s'allient avec le vrai courage;

» Faisant de ses traitemens l'emploi le plus convenable pour le rang qu'il tenait à l'armée.

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