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que ceux des statuts personnels, ne peut être encourue que par un jugement de condamnation dans les formes;

» Et

que soit la loi elle-même quoique toute sainte, soit le rescrit du prince, soit le jugement de condamnation, ne peuvent, dans aucun cas, recevoir ni produire d'effet rétroactif.

» Sans ces deux principes capitaux, c'en serait fait bientôt, Messieurs, et de la propriété, et de l'honneur, et de la liberté civile, et de la sûreté des personnes ou des biens, et de l'existence de tous; c'en serait fait du contrat social, ou plutôt il ne pourrait y en avoir aucun qui ne fût illusoire, puisqu'il dé pendrait de la volonté d'un seul de le faire taire ou de le faire parler; de faire réputer crime, renonciation, démission, ce qui n'aurait pas été réputé tel par la loi; de faire juger, après coup, comme condamnables, des actions pour lesquelles aucun code pénal n'aurait été fait; et ainsi, frustrant les hommes de toute prévoyance humaine, comme de tout avertissement, de les faire tomber tous dans l'abîme des réactions, le gouffre de l'arbitraire et les bras d'une mort flétrissante!

»La prétendue démission, faite par le maréchal Ney, de la pairie royale, n'a point été jugée; elle, n'a point été prononcée par jugement; et cepen

dant il n'en a signé aucune. Donc, elle n'existe pas (dans le sens de nos lois civiles et criminelles), pour la privation actuelle des droits de la pairie, pour la perte des garanties qu'elle assure au prévenu.

>> Et quand il existerait ce jugement, dans le seul fait de l'acceptation par le maréchal Ney de la pairie de Buonaparte, de quel jour daterait-il ? De quel jour devrait-il commencer à recevoir son exécution? Sans contredit, du jour seulement où cette acceptation aurait eu lieu, et non plus tôt.

» Mais alors, Messieurs, l'objection manque le but car c'est au jour où il est articulé que le maréchal Ney s'est rendu coupable, qu'il faudrait qu'il eût cessé d'être pair, pour qu'il cessât d'être justiciable de la chambre des pairs.

» La réfutation a d'autant plus de force, qu'il faut, Messieurs, envisager les statuts de la pairie, non dans l'intérêt individuel du pair qui les invoque, mais dans l'intérét du corps dont ce membre serait ainsi détaché. Il faut envisager la juridiction de la pairie, non pas comme toujours protectrice, si ce n'est pour les formes et la garde des lois, mais comme vengeresse. Sous le premier point de vue, l'individu accusé la revendiquera, et ce sera déjà une forte présomption de son innocence; sous le second, il la déclinera; et, pour y réussir impunément, il lui suffira de donner sa démission.

>> Non, Messieurs, il n'en peut être ainsi pour le salut de ce premier ordre de l'état, où il y a solidarité nécessaire d'honneur, de droits, de prérogatives, et où par conséquent il doit y avoir fixité pour les mesures de répression contre les délits qui tendraient à lui faire perdre quelque chose de l'estime du prince, ou de la vénération des sujets. >> J'abandonne désormais l'objection.

» J'en relève une autre qui n'est, ni moins subversive des principes, ni moins dangereuse.

» On a dit, on me répétera: « Mais ce n'est pas » comme pair de France que le maréchal Ney est » accusé d'avoir trahi le roi ; c'est comme général » commandant un corps d'armée; c'est d'un délit >> militaire qu'il est prévenu. »

» Messieurs, en principes constitutionnels, je n'ai qu'un mot à opposer à toute cette argumentation : seul il suffirait, tant il est tranchant.

» L'art. 34 de la charte statue que le pair de France doit être jugé par la chambre des pairs en matière criminelle. J'ai déjà fait ressortir cette généralité d'expression; il n'y a pas à la contourner. Les délits des militaires, comme les délits des particuliers non militaires, constituent la matière criminelle. La compétence de la chambre des pairs s'exerce et doit s'exercer partout où il y a crime commis ou dénoncé à l'égard d'un pair.

>> Il serait donc fort inutile pour la réfutation d'aller jusqu'à développer les inconséquences majeures du système objecté. Mais, dans une dissertation dont l'objet est si important, c'est un devoir d'offrir les masses nous sommes au commencement d'une nouvelle campagne politique : il y aurait insouciance envers la patrie et témérité; il y aurait, de ma part, comme défenseur d'un accusé aussi remarquable légèreté de commettre le sort de l'action engagée à une seule arme, quoique tranchante.

» Encore, dans l'objection discutée, même abus du raisonnement: et n'est-il pas, à bien dire, plus intolérable? Quoi! parce qu'un pair de France aura été chargé d'un commandement militaire, il y aura risqué de perdre le bénéfice de la pairie ; son statut personnel l'abandonnera à l'entrée des camps; il sera effacé, il sera détruit, il n'en restera ni vestige, ni souvenir! Tandis que le général bravera le fer impitoyable mais visible de l'ennemi, le pair de France tombera victime sous le fer assassin et caché de la calomnie! Il n'aura plus à en appeler à la sauve-garde des siens. Ceux-ci à ses cris plaintifs répondront avec un froid stoïque: « Mili» taire, vous n'êtes plus des nôtres. D'après » un tel emploi, nous vous répudions. »

>> Effrayante perspective! scandaleuse dissonance! étrange altération des élémens primitifs de la pairie

française! langage irritant pour un peuple dont l'instinct, plus heureusement conduit désormais par la sagesse, será toujours essentiellement guerrier; qui, au sein de la paix la plus désirable, ne se défendra contre l'apathie que par le souvenir de ses exploits, et, Messieurs, par celui des noms qui dans cette noble profession des armes lui furent les plus chers!

Inconséquence suprême d'ailleurs! Comment l'emploi passager, révocable de général, absorberait-il donc le titre stable, à vie, héréditaire aujourd'hui, irrévocable toujours, de noble pair de France? Depuis quand la dignité qui appelle l'emploi, serait-elle moins que lui recommandable, lui serait-elle inférieure? Quoi! la fonction accidentelle et secondaire l'emporterait sur la condition, sur l'état civil, sur le statut du dignitaire! l'instant sur la durée, l'accessoire sur le principal!

>> Et, ce que les hommes d'état compteront pour quelque chose de pis, indicible faute, impolitique souveraine, discrédit incalculable jeté sur la pairie! car si l'on cesse d'en faire partie, de jouir de ses priviléges par l'acceptation d'un commandement militaire quelconque, jeunes et vieux, voilà les pairs dès leur début éloignés à jamais de la carrière des héros ; les voilà qui tremblent de marcher sur les traces de ceux qui ont illustré leur nom.

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