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réchal Ney, de ne pas reconnaître de juridiction militaire ?

» Je vous ai, Messieurs, longuement occupés de la réclamation du maréchal Ney contre l'ordre de juridiction que l'on a prétendu créer pour lui, et dans lequel, par le fait, demeureraient à jamais absorbés ses droits les plus positifs ; ceux qui résultent de la nature de la prévention de délit commun, politique ou d'opinion, et réputé crime d'état; ceux attachés à ses dignités, diverses, de pair, de maréchal de France, prince, grand-cordon de la Légion-d'Honneur; ceux encore qui ressortent de l'illégalité de votre propre constitu

tion.

>> Ce sont les intérêts d'un homme, mais d'un homme accusé, d'un homme que vingt-cinq années des plus nobles travaux, des plus éclatans services, de gloire acquise, de titres amassés, ont mis au premier rang entre les guerriers français; d'un Français, en un mot, que tant d'actions soutenues; avouées par tous les partis, recommanderont à jamais, et qui n'a pas cessé de l'être de cœur et d'intention, à ce jour même, à ce jour fatal où ce fut encore l'amour de la patrie qui manifestement produisit son erreur : ce sont tant et de si grands intérêts que je viens de stipuler.

>> Grâces en soient rendues au prince juste, qui

désormais invariablement règle les destinées de la France! Le temps a été laissé au maréchal Ney de se faire entendre, de donner de premières explications, d'assembler ses moyens de défense: heureux si un choix plus légal de la juridiction lui eût permis de ne proposer que ceux directement justificatifs, et si l'homme de guerre eût appelé à son secours un plus habile organe!

» Vous avez, Messieurs, pour vous fixer sur cet important déclinatoire, le livre saint de nos libertés ouvert sous vos yeux, la charte où sont gravés les titres du maréchal Ney à cette exception. Vos valeureuses consciences sentent le prix du dépôt qui leur est confié.

>> Prononcez. >>

Le mémoire qui suit n'a point été lu devant le conseil de guerre ; mais, comme il avait été antérieurement distribué aux juges, et qu'il a été invoqué par M. Berryer, nous croyons devoir le mettre sous les yeux du lecteur.

Question de droit pour M. le maréchal Ney, sur l'exception d'incompétence, tirée particulièrement de la qualité de pair de France à lui conférée par le Roi.

« L'affaire de M. le maréchal Ney présente la question de savoir s'il peut être justiciable d'un

conseil de guerre, et s'il n'est pas, au contraire, fondé à demander son renvoi à la chambre des pairs, pour y étre jugé conformément à

la Charte constitutionnelle.

» Depuis la promulgation de la Charte, aucune question de ce genre n'a encore été soumise à l'appréciation des jurisconsultes et des tribunaux. Sous ce rapport, la question peut paraître neuve.

Mais, à défaut d'exemples récens qui puissent nous guider dans son examen, nous trouvons dans les fastes de notre histoire des lumières qui jetteront le plus grand jour sur sa solution.

>> Cette marche a paru d'autant plus naturelle, qu'elle s'accorde parfaitement avec l'esprit de la Charte. En effet, dans le préambule, où Sa Majesté daigne nous expliquer ses intentions paternelles, on trouve ces paroles royales : « Nous avons cher» ché les principes de la Charte constitutionnelle » dans le caractère français, et dans les monu» mens vénérables des siècles passés. Ainsi nous >> avons vu dans le renouvellement de la pairie >> une institution vraiment nationale, et qui doit »lier tous les souvenirs à toutes les espérances, » en réunissant les temps anciens et les temps » modernes. »>

» Or, si les principes n'ont pas changé, les conséquences restent nécessairement les mêmes; et

ce qu'on jugeait autrefois dans les causes intéressant les pairs, on devra le juger encore aujourd'hui.

» On décidera, par conséquent, que le maréchal Ney, ayant été créé pair de France par le Roi, ne peut être jugé que par la chambre des pairs.

» La preuve de cette proposition sera séparée en deux parties.

>> Dans la première, nous rapporterons les monumens historiques qui établissent qu'autrefois un pair ne pouvait être jugé que par la cour des pairs, et non par des commissaires ou autres juges délégués.

» Dans la seconde, nous démontrerons, par analogie de principes et de conséquences, que le maréchal Ney doit être jugé par la chambre des pairs, et non par un conseil de guerre.

S. Ier,

Preuves qu'autrefois les causes intéressant la personne, la vie, l'état et l'honneur d'un pair de France, ne pouvaient être jugées que par le parlement de Paris, qui alors était la cour des pairs du royaume.

>> Les Francs ont apporté avec eux la règle que chacun ne peut être jugé que par ses pairs.

» Cette règle a subi des modifications; et ce qui, dans le principe, était un droit national commun à tous, s'est trouvé, avec le temps, être

l'apanage exclusif des princes en vertu de leur naissance, et des pairs du royaume en vertu de leur dignité.

» Mais, au moins, il est demeuré bien constant que ces illustres personnes ont conservé, comme privilége, le droit de ne pouvoir être jugées, dans les causes intéressant leur vie, leur état ou leur honneur, que par le parlement de Paris, comme étant, ledit parlement, la cour naturelle des pairs de France. (Lettres-patentes de Henri II, du 19 mars 1551.)

>> Ce droit qu'avaient les pairs de n'être jugés qu'au parlement de Paris, suffisamment garni de pairs, et le droit réciproque qu'avait le parlement de juger seul les matières touchant les pairs et pairies de France, ne peut pas être taxé d'usurpation.

>> Nous allons au-devant de cette objection, parce que certaines personnes, prévenues contre les parlemens, ne manqueraient pas de rappeler à quel point ces compagnies étaient entreprenantes, pour en conclure contre les exemples que nous rapporterons bientôt, qu'ils ne peuvent être d'aucune considération dans la cause.

» Or, nous ne craignons pas d'affirmer que, de tous les droits des parlemens, il n'y en a pas de plus certain, de mieux établi, de plus légalement

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