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se rangea sous les drapeaux de Buonaparte, débarqué à Cannes le 1 ". mars. Il siégea à la chambre des pairs instituée par le gouvernement impérial.

Dans la courte et dernière campagne du mois de juin dernier, le maréchal Ney eut de nouveau l'occasion de signaler sa valeur accoutumée; nous allons emprunter ses propres paroles pour raconter le résultat de la désastreuse journée de Waterloo.

(Pour l'intelligence du lecteur, il faut rappeler que dans une séance de la Chambre des Pairs de Buonaparte, le maréchal Ney avait fait le tableau le plus effrayant de notre situation. Son récit, dans lequel il avait mis peutêtre un excès de franchise, produisit sur quelques personnes un fâcheux effet; il crut devoir se justifier, en adressant la lettre suivante au duc d'Otrante, alors président de la commission de gouvernement.)

Lettre de M. le maréchal prince de la Moskowa à S. Exc. M. le duc d'Otrante.

Monsieur le duc,

Les bruits les plus diffamans et les plus mensongers se répandent, depuis quelques jours, dans le public, sur la conduite que j'ai tenue dans cette courte et malheureuse campagne; les journaux les répètent et semblent accréditer la plus odieuse calomnie. Après avoir combattu pen

dant vingt-cinq ans, et versé mon sang pour la gloire et l'indépendance de ma patrie, c'est moi que l'on ose accuser de trahison; c'est moi que l'on signale au peuple, à l'armée même, comme l'auteur du désastre qu'elle vient d'essuyer!

Forcé de rompre le silence, car s'il est toujours pénible de parler de soi, c'est surtout lorsque l'on a à repousser la calomnie, je m'adresse à vous, Monsieur le duc, comme président du gouvernement provisoire, pour vous tracer un exposé fidèle de ce dont j'ai été témoin.

Le 11 juin, je reçus l'ordre du ministre de la guerre de me rendre au quartier impérial; je n'avais aucun commandement, ni aucunes données sur la composition et la force de l'armée; l'empereur ni le ministre ne m'avaient jamais rien dit précédemment qui pût même me faire pressentir que je dusse être employé dans cette campagne ; j'étais conséquemment pris au dépourvu, sans chevaux, sans équipages, sans argent, et je fus obligé d'en emprunter pour me rendre à ma destination. Arrivé le 12 à Laon, le 13 à Avesnes, et le 14 à Beaumont, j'achetai, dans cette dernière ville, de M. le maréchal duc de Trévise, deux chevaux, avec lesquels je me rendis, le 15, à Charleroi, accompagné de mon premier aide-de-champ, le seul officier que j'eusse auprès de moi. J'y arrivai au moment où l'ennemi, attaqué par nos troupes légères, se repliait sur Fleurus et Gosselies.

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L'empereur m'ordonna aussitôt d'aller me mettre à la tête des premier et deuxième corps d'infanterie, commandés par les lieutenans-généraux d'Erlon et Reille; de la division de cavalerie légère du lieutenant-général Piré;

d'une division de cavalerie légère de la garde, sous les ordres des lieutenans-généraux Lefebvre-Desnouettes et Colbert; et de deux divisions de cavalerie du comte de Valmy: ce qui formait huit divisions d'infanterie, et quatre de cavalerie. Avec ces troupes, dont cependant je n'avais encore qu'une partie sous la main, je poussai l'ennemi et l'obligeai d'évacuer Gosselies, Frasnes, Mellet et Heppignies: là, elles prirent position le soir, à l'exception du premier corps qui était encore à Marchiennes, et qui ne me rejoignit que le lendemain.

Le 16, je reçus l'ordre d'attaquer les Anglais dans leur position des Quatre-Bras; nous marchâmes à l'ennemi avec un enthousiasme difficile à dépeindre: rien ne rẻsistait à notre impétuosité. La bataille devenait générale, et la victoire n'était pas douteuse, lorsqu'au moment où j'allais faire avancer le premier corps d'infanterie, qui jusque-là avait été laissé par moi en réserve à Frasnes, j'appris que l'empereur en avait disposé sans m'en prévenir, ainsi que de la division Girard du deuxième corps, pour les diriger sur Saint-Amand, et appuyer son aile gauche qui était fortement engagée contre les Prussiens. Le coup que me porta cette nouvelle fut terrible; n'ayant plus sous mes ordres que trois divisions, au lieu de huit sur lesquelles je comptais, je fus obligé de laisser échapper la victoire, et malgré tous mes efforts, malgré la bravoure et le dévouement de mes troupes, je ne pus parvenir dès-lors qu'à me maintenir dans ma position jusqu'à la fin de la journée. Vers neuf heures du soir, le premier corps me fut renvoyé par l'empereur, auquel il n'avait été d'aucune utilité; ainsi, vingt-cinq à trente mille hommes

ont été pour ainsi dire paralysés, et se sont promenés. pendant toute la bataille, l'arme au bras, de la gauche à la droite, et de la droite à la gauche, sans tirer un seul coup de fusil.

Il m'est impossible de ne pas suspendre un instant ces détails, pour vous faire remarquer, Monsieur le duc, toutes les conséquences de ce faux mouvement, et en général, des mauvaises dispositions prises pendant cetre journée.

Par quelle fatalité, par exemple, l'empereur, au lieu de porter toutes ses forces contre lord Wellington, qui aurait été attaqué à l'improviste et ne se trouvait point en mésure, a-t-il regardé cette attaque comme secondaire? Comment l'empereur, après le passage de la Sambre, a-t-il pu concevoir la possibilité de donner deux batailles le même jour ? C'est cependant ce qui vient de se passer contre des forces doubles des nôtres, et c'est ce que les militaires qui l'ont vu ont encore peine à comprendre.

Au lieu de cela, s'il avait laissé un corps d'observation pour contenir les Prussiens, et marché avec ses plus fortes masses pour m'appuyer, l'armée anglaise était indubitablement détruite entre les Quatre-Bras et Genappe; et cette position, qui séparait les deux armées alliées, une fois en notre pouvoir, donnait à l'empereur la facilité de déborder la droite des Prussiens, et de les écraser à leur tour. L'opinion générale en France, et surtout dans l'armée, était que l'empereur ne voulait s'attacher qu'à détruire d'abord l'armée anglaise, et les circonstances étaient bien favorables pour cela: mais les destins en ont ordonné

autrement.

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Le 17, l'armée marcha dans la direction de Mont-Saint

Jean.

Le 18, la bataille commença vers une heure, et quoique le bulletin qui en donne le récit ne fasse aucune mention de moi, je n'ai pas besoin d'affirmer que j'y étais présent.

M. le lieutenant général comte Drouot a déjà parlé de cette bataille dans la chambre des pairs; sa narration est exacte, à l'exception toutefois de quelques faits importans qu'il a tus ou qu'il a ignorés, et que je dois faire connaître. Vers sept heures du soir, après le plus affreux carnage que j'aie jamais vu, le général Labédoyère vint me dire, de la part de l'empereur, que M. le maréchal Grouchy arrivait à notre droite, et attaquait la gauche des Anglais et Prussiens réunis; cet officier général, en parcourant la ligne, répandit cette nouvelle parmi les soldats, dont le courage et le dévouement étaient toujours les mêmes, et qui en donnèrent de nouvelles preuves en ce moment, malgré la fatigue dont ils étaient exténués; cependant, quel fut mon étonnement, je dois dire mon. indignation, quand j'appris, quelques instans après, que non-seulement M. le maréchal Grouchy n'était point arrivé à notre appui, comme on venait de l'assurer à toute l'armée, mais que quarante à cinquante mille Prussiens attaquaient notre extrême droite et la forçaient à se replier! Soit que l'empereur se fût trompé sur le moment où M. le maréchal Grouchy pouvait le soutenir, soit que la marche de ce maréchal eût été plus retardée qu'on l'avait présumé par les efforts de l'ennemi, le fait est qu'au moment où l'on nous annonçait son arrivée, il n'é

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