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tait encore que vers Wavres sur la Dyle: c'était pour nous comme s'il se fût trouvé à cent lieues de notre champ de bataille.

Peu de temps après, je vis arriver quatre régimens de la moyenne garde, conduits par l'empereur en personne, qui voulait, avec ces troupes, renouveler l'attaque et enfoncer le centre de l'ennemi; il m'ordonna de marcher à leur tête avec le général Friant: généraux, officiers, soldats, tous montrèrent la plus grande intrépidité; mais ce corps de troupes était trop faible pour pouvoir résister long-temps aux forces que l'ennemi lui opposait, et il fallut bientôt renoncer à l'espoir. que cette attaque avait donné pendant quelques instans. Le général Friant a été frappé d'une balle à côté de moi; moi-même, j'ai eu mon cheval tué, et j'ai été renversé sous lui. Les braves qui reviendront de cette terrible affaire me rendront, j'espère, la justice de dire qu'ils m'ont vu à pied, l'épée à la main, pendant toute la soirée, et que je n'ai quitté cette scène de carnage que l'un des derniers, et au moment où la retraite a été forcée.

Cependant les Prussiens continuaient leur mouvement offensif, et notre droite pliait sensiblement les Anglais marchèrent à leur tour en avant. Il nous restait encore quatre carrés de la vieille garde, placés avantageusement pour protéger la retraite; ces braves grenadiers, l'élite de l'armée, forcés de se replier successivement, n'ont cédé le terrain que pied à pied, jusqu'à ce qu'enfin, accablés par le nombre, ils ont été presque entièrement détruits. Dès-lors, le mouvement rétrograde fut prononcé, et l'armée ne forma plus qu'une colonne confuse; il n'y a

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cependant jamais eu de déroute ni de cri sauve qui peut, ainsi qu'on en a osé calomnier l'armée dans le bulletin. Pour moi, constamment à l'arrière-garde, que je suivis à pied, ayant eu tous mes chevaux tués, exténué de fatigue, couvert de contusions, et ne me sentant plus la force de marcher, je dois la vie à un caporal de la garde qui me soutint dans ma marche, et ne m'abandonna point pendant cette retraite. Vers onze heures du soir je trouvai le lieutenant-général Lefebvre-Desnouettes; et l'un de ses officiers, le major Schmidt, eut la générosité de me donner le seul cheval qui lui restât. C'est ainsi que j'arrivai à Marchienne-au-Pont, à quatre heures du matin, seul, sans officiers, ignorant ce qu'était devenu l'empereur, que, quelque temps avant la fin de la bataille, j'avais entièrement perdu de vue, et que je pouvais croire pris ou tué. Le général Pamphile Lacroix, chef de l'état-major du deuxième corps, que je trouvai dans cette ville, m'ayant dit que l'empereur était à Char→ leroi, je dus supposer que S. M. allait se mettre à la tête du corps de M. le maréchal Grouchy, pour couvrir la Sambre, et faciliter aux troupes les moyens de se rallier vers Avesnes, et, dans cette persuasion, je me rendis à Beaumont; mais des partis de cavalerie nous suivant de très-près, et ayant déjà intercepté les routes de Maubeuge et de Philippeville, je reconnus qu'il était de toute impossibilité d'arrêter un seul soldat sur ce point, et de s'opposer aux progrès d'un ennemi victorieux. Je continuai ma marche sur Avesnes, où je ne pus obtenir aucuns renseignemens sur ce qu'était devenu l'empereur.

Dans cet état de choses, n'ayant de nouvelles ni de

S. M., ni du major-général, le désordre croissant à chaque instant, et, à l'exception des débris de quelques régimens de la garde et de la ligne, chacun s'en allant de son côté, je pris la détermination de me rendre sur-lechamp à Paris, par Saint-Quentin, pour faire connaître le plus promptement possible au ministre de la guerre la véritable situation des affaires, afin qu'il pût au moins envoyer au-devant de l'armée quelques troupes nouvelles, et prendre rapidement les mesures que nécessitaient les circonstances. A mon arrivée au Bourget, à trois lieues de Paris, j'appris que l'empereur y avait passé le matin à neuf heures.

Voilà, Monsieur le duc, le récit exact de cette funeste campagne.

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Maintenant, je le demande à ceux qui ont survécu à cette belle et nombreuse armée: de quelle manière pourrait-on m'accuser du désastre dont elle vient d'être victime et dont nos fastes militaires n'offrent point d'exemple? J'ai, dit-on, trahi la patrie, moi qui, pour la servir, ai toujours montré un zèle que peut-être j'ai poussé trop loin, et qui a pu m'égarer; mais cette calomnie n'est et ne peut être appuyée d'aucun fait, d'aucune circonstance, d'aucune présomption. D'où peuvent cependant provenir ces bruits odieux qui se sont répandus tout à coup avec une effrayante rapidité? Si, dans les récherches que je pourrais faire à cet égard, je ne craignais presque autant de découvrir que d'ignorer la vérité, je dirais que tout me porte à croire que j'ai été indignement trompé, et qu'on cherche à envelopper du voile de la trahison les fautes et les extravagances de cette cam

pagne, fautes qu'on s'est bien gardé d'avouer dans les bulletins qui ont paru, et contre lesquelles je me suis inutilement élevé avec cet accent de la vérité que je viens encore de faire entendre dans la Chambre des Pairs.

J'attends de la justice de V. Ex., et de son obligeance pour moi, qu'elle voudra bien faire insérer cette lettre dans les journaux, et lui donner la plus grande publicité. Je renouvelle à V. Ex., etc.

Le maréchal prince de la Moscowa,

Paris, le 26 juin 1815.

Signé NEY.

Les troupes alliées, en vertu de la convention signée le 3, occupèrent Paris dans les premiers jours de juillet.

Le Roi rentra dans la capitale le 8 du même mois.

Le maréchal Ney crut devoir s'en éloigner: il paraît qu'il avait eu d'abord l'intention de se réfugier en pays étranger; mais, ayant éprouvé des difficultés pour franchir la frontière, il se retira en Auvergne, dans les environs d'Aurillac, chez une parente-de sa femme: c'est là que, compris dans l'ordonnance du 14 juillet, il fut arrêté le 5 août.

Un officier de gendarmerie (M. Jaumard), entre les mains duquel il fut remis, fut chargé de le conduire à Paris.

Avant de se mettre en route, le maréchal donna sa parole d'honneur à l'officier de ne faire aucune tentative pour s'évader. Cet officier avait autrefois servi sous les ordres du maréchal, et il crut devoir s'en rapporter à la parole de son ancien général: il n'eut point à se repentir de la confiance qu'il lui témoigna dans le voyage.

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de

Entre Moulins et Aurillac, le maréchal Ney et ses conducteurs s'arrêtèrent dans un village pour prendre quelques instans repos. Après le Après le repas, un fonctionnaire public des environs vint prévenir l'officier de gendarmerie, qu'à quelque distance de là il trouverait sur la route des gens apostés, qui avaient formé le projet d'enlever le maréchal. Celui-ci était dans la même pièce où cette confidence avait lieu: quelques mots qu'il entendit lui firent facilement deviner le sujet de la conversation; il s'avança, prit la parole, et dit à

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