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y.I.

CHAPITRE IV.

C'Et pourquoi, mes freres très-chers &

très-defirez, qui étes ma joie & macouronne, continuez de demeurer fermes dans le Seigneur, mes bien aimez.

2. Jefuplie Evodie conjure Syntiche de n'être toutes deux qu'un efprit & qu'un cœur en Jefus Christ.

4. Rejoüiffez-vous fans ceße dans le Seigneur : je vous le repete encore, rejoüiffez-vous.

5. Que vôtre modeftie foit connue à tous les hommes: le Seigneur eft proche.

S.demeurer fermes dans l'interieur, à continuer à aller dans la voie qu'il leur a enfeignée, & exhorte fur tout les deux fideles compagnes de fes travaux à n'avoir qu'un cœur & qu'un efprit; parce que cette unité de cœur & d'efprit eft une marque de l'unité que l'on a avec Dieu. S. Paul recommande cela en quantité d'endroits. Tous les troubles qui arrivent dans le monde & dans la religion, ne viennent que des diffenfions. Lors que l'efprit eft uni, le cœur l'eft pour l'ordinaire.

S. Paul veut auffi que l'on fe rejoüiffe: Lajoie eft une marque de la paix de l'ame & de la bonne confcience. Mais de quelle maniere veut-il que l'on fe rejoüiffe? non dans les diffolutions, ni avec les mondains, mais dans le Seigneur, dans fa joie qu'il communique à ceux qui font à lui fans referve.

Mais pour faire voir en même tems que cette

joie n'a rien de diffolu, il veut qu'elle foit pleine de modeftie, & qu'en même tems que la joie fe fera paroître la modeftie fe false distinguer. Mais pourquoi, ô Paul, voulez-vous que vos enfans foient fi pleins de joie, que vous le leur recommandez fi fortement ? C'eft dit-il, que le Seigneur est proche. La prefence de ce Dieu d'amour, que l'ame fent fi proche qu'elle l'éprouve dans fon fond d'une maniere admirable, eft ce qui doit caufer fa joie & fon plaifir. Toutes les ames interieures doivent être dans la joie, parce qu'elles ont le Seigneur tout proche: il ne peut être plus proche que d'être en nous cette prefence de Dieu remplit l'ame de joie & de modeflie: On ne fait fi c'eft une joie modette, ou une modeftie pleine de joie. Quoi que la joie & la gaieté de ces perfonnes foit très-grande, elle eft pourtant fans diffolution: elle imprime le refpect, & la retenue aux libertins, loin de donner quelque occafion à leur liberté.

.6. Ne nous inquietez de rien: mais dans toutes vos oraifons, vos prieres, vos actions de graces, expofez à Dieu ce que vous defirez.

7. Et que la paix de Dieu, qui furpasse tout entendement, garde vos cœurs & vos pensées en Jefus Christ.

L'inquietude étant abfolument opofée à la joie, elle l'eft auffi à l'interieur. L'inquietude ne vient que du defaut d'abandon & de foumiffion à toutes les volontez de Dieu: une ame bien abandonnée ne s'inquiete de rien, parce qu'elle eft fortement perfuadée qu'il n'arrive rien que ce que Dieu fait & permet; & ne voulant que cette volonté de Dieu fans nulle diftinction, elle eft

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contente de tout; & quoi qui lui arrive, rien ne Ja trouble ni ne l'inquiete. Le trouble eft un effet de l'orgueil comme la paix vient de l'humilité & de l'anéantiffement. Une ame veritablement humble ne s'inquiete de rien quoi qui lui puiffe arriver, foit du dehors ou du dedans, de Dieu, des creatures ou d'elle-même; mais elle fuporte tout avec paix, abandon & refignation, croiant que tout mépris, toute croix, toutes miferes, lui font dûes, & qu'elle ne merite aucune grace ni de Dieu ni des hommes. Que faut-il donc faire dans les chagrins & les sujets d'inquietude? ce que dit S. Paul, qui eft, que dans toutes les prieres, oraifons & actions de graces, fans demander à Dieu d'être delivré de ce que l'on fouffre, il faut expofer fimplement devant lui ce que l'on peut defirer, & lui laiffer le foin de faire tout réuffir felon fes volontez. Mon Dieu ! que cette priere de fimple expofition a de force & d'efficace! C'eft la priere de l'Evangile, qui eft toujours exaucée: (a) Seigneur, fi vous voulez, vous pouvez me guerir: d'autres fe contentoient fans rien dire de fe prefenter à Jefus Chrift, avec tous leurs maux, & s'expofer devant fes yeux.

O que cette profonde refignation donne de paix à l'ame! S.Paul l'apelle une paix de Dieu, qui furpalle tout entendement; parce qu'il eft impoffible de comprendre ce que c'est que cette paix par tout le raifonnement humain: il n'y a que l'experience qui le puiffe faire comprendre. C'eft cette paix quigarde le cœur & l'esprit en Jefus Chrift, empêchant le cœur de fe corrompre par le tumulte des affections dereglées, & l'ef

(a) Matth. 8. . 2.

prit

prit par les reflexions & penfées inutiles. Cette paix eft également dans l'efprit & dans le cœur, l'un & l'autre étant dans une netteté admirable.

Cette paix furpaffe auffi tout entendement: elle immerge & fubmerge toutes les puiffances dans une abondance de paix, qui fe peut bien apeller fans exageration, un fleuve de paix. C'est dans cette paix que les puiffances fe noient, & meurent, pour ainfi dire, à toute operation a&tive, pour fe laiffer remplir de l'influence des graces & de la paix qui opere & met l'ame dans le commencement du paffif, [les puiffances] fe laiffant abforber & noier dans cette paix, qui leur faifant perdre toute action propre, comme le vouloir, le raifonnement, & le fouvenir, les fait paffer admirablement dans l'ufage des trois vertus theologales, foi, efperance & charité. La memoire perd tout fouvenir, tout foin & fouci de ce qui concerne l'ame, n'aiant plus que la feule efperance & confiance en Dieu: l'entendement perd tout raifonnement, toute vûe, toute lumiere propre, particuliere & diftincte, & reçoit en échange la lumiere generale & folide de la foi; on croit, on efpere, on ne raifonne fur rien & on ne pense à rien: la volonté se perd de telle forte dans le pur amour, qu'il ne refte plus à cette ame de volonté pour quoi que ce foit ni en quoi que ce foit; mais elle est toute volonté de Dieu, la charité lui faifant perdre ce qu'elle a de propre pour la penetrer de tout ce qui eft de Dieu; de forte que cette volonté perdant ce qu'elle a de propre & de la volonté de l'homme, devient la volonté de Dieu, qui la meut & gouverne à fon gré; fi bien que cette a

me diftingue peu à peu qu'elle ne peut plus rien vouloir ni defirer, qu'elle ne peut plus choisir ni pancher, jufqu'à ce qu'enfin elle s'aperçoit (fans s'apercevoir cependant autrement que par l'ufage) que la perte de fa volonté, loin de la gêner ou rendre captive, la met en plus grande liberté, parce qu'il lui eft donné un ufage fi libre, fi propre, & fi naturel de la volonté de Dieu, qu'elle ne peut plus diftinguer fi la volon té de Dieu eft devenue la fienne, ou fi elle eft elle-même volonté de Dieu.

.8. Au reste, mes freres, que tout ce qui eft veritable, tout ce qui eft chaste, tout ce qui est juste, tout ce qui eft faint, tout ce qui eft aimable, tout ce qui eft d'édification de bonne odeur, tout ce qui eft vertueux, tout ce qui eft loüable, soit le Jujet de vos pensées.

Il eft de grande confequence dans le commencement de la vie fpirituelle, de n'admettre dans nôtre efprit aucune mauvaife penfée, ni inutile: & pour en venir facilement à bout, il ne faut pendant un long-tems, admettre aucune efpece; en forte que fi-tôt qu'une penfée ou une efpece fe prefente à notre efprit, il faut la laiffer évacuer, & n'en retenir aucune. Ceux qui n'en ufent pas comme cela dans le commencement, ont des perfecutions terribles dans la fuite, tant des mauvaises pensées que des reflexions: mais ceux qui en ufent comme j'ai dit, en font delivrez, & n'en fouffrent pas la moitié tant de peine. Il ne faut pas croire que lors que l'efprit demeure vuide d'efpeces, il foit pour cela inutile; non, c'eft alors que Dieu lui fait par le moien de la foi les plus pures communications; & en

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