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prochant toujours, comme celle d'un ventriloque qui fait semblant d'ouvrir le panneau d'une cave.

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Je ne serais pas étonné, dit Beausire, saisissant dans cette voix ce qu'elle avait de joyeux, je ne serais pas étonné que le miracle se réalisât, et que le petit eût trouvé la bourse dont je parlais tout à l'heure.

En ce moment, l'enfant apparaissait sur la dernière marche de l'escalier, et se précipitait dans la chambre, tenant à la bouche son morceau de sucre d'orge rouge, serrant de son bras gauche un sac de sucreries contre sa poitrine, et montrant dans sa main droite ouverte et étendue un louis d'or qui, à la lueur de la maigre chandelle, reluisait comme l'étoile Aldébaran.

Ah! mon Dieu ! mon Dieu! s'écria Nicole laissant la porte se refermer tout seule. Que t'est-il donc arrivé, pauvre cher enfant ?

Et elle couvrait le visage gélatineux du jeune Toussaint de ces baisers maternels que rien ne dégoûte, parce qu'ils semblent tout épurer.

- Il y a, dit Beausire en s'emparant adroitement du louis et en l'examinant à la chandelle, il y a que c'est un vrai louis d'or valant vingtquatre livres.

Puis, revenant à l'enfant :

Où as-tu trouvé celui-là, marmot, que j'aille chercher les autres?

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- Et qu'a répondu l'épicier, mon fils? demanda Beausire.

- Il a répondu : «Je ne sais pas s'il est gentilhomme, mais il s'appelle, en effet, Beausire.Et ne demeure-t-il pas ici tout près ? demanda le monsieur.-Ici, dans la maison à gauche, au troisième, en haut de l'escalier.-Donnez toutes sortes de bonnes choses à cet enfant; je paye, a dit le monsieur. › Puis, à moi : « Tiens, petit, voilà un louis, a-t-il ajouté ; ce sera pour acheter d'autres bonbons quand ceux-ci seront mangés. › Alors, il m'a mis le louis dans la main; l'épicier m'a mis ce paquet sur le bras, et je suis parti

bien content. Tiens! où est donc mon louis?

Et l'enfant, qui n'avait pas vu l'escamotage de Beausire, se mit à chercher son louis de tous les côtés.

- Petit maladroit, dit Beausire, tu l'auras perdu !

fant.

Mais non! mais non! mais non! dit l'en

Cette discussion eût pu devenir plus sérieuse sans l'événement qui va suivre, et qui devait nécessairement y mettre fin.

Tandis que l'enfant, doutant encore de luimême, cherchait à terre le louis d'or qui reposait déjà dans le double-fond de la poche du gilet de Beausire; tandis que Beausire admirait l'intelligence du jeune Toussaint, qui venait de se manifester par la narration que nous venons de rapporter, et qui s'est peut-être un peu améliorée sous notre plume; tandis que Nicole, tout en partageant l'enthousiasme de son amant pour cette précoce faconde, se demandait sérieusement quel pouvait être ce donneur de bonbons et ce bailleur de louis d'or, la porte s'ouvrit lentement, et une voix pleine de douceur fit entendre ces mots :

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Sur le seuil, la figure souriante à ce tableau de famille, se tenait un homme fort élégamment

vêtu.

Ah! le monsieur aux bonbons! s'écria le jeune Toussaint.

XXXV.

OU LE LECTEUR AURA LE PLAISIR DE RETROUVER

M. DE BEAUSIRE TEL QU'IL L'AVAIT QUITTÉ.

Il y eut, après ces gracieuses paroles du comte, un moment de silence pendant lequel Ca

gliostro s'avança jusqu'au milieu de la chambre et jeta un regard scrutateur autour de lui, sans doute pour apprécier la situation morale, et surtout pécuniaire, des anciennes connaissances au

milieu desquelles ces menées terribles et souterraines dont il était le centre le ramenaient inopinément.

Le résultat de ce coup d'oeil, pour un homme aussi perspicace que l'était le comte, ne pouvait laisser aucun doute.

Un observateur ordinaire eût deviné, ce qui était vrai, que le pauvre ménage en était à sa dernière pièce de vingt-quatre sous.

Des trois personnages au milieu desquels l'apparition du comte avait jeté la surprise, le premier qui rompit le silence fut celui auquel sa mémoire ne rappelait que les événements de la soirée, et auquel, par conséquent, sa conscience n'avait rien à reprocher.

-Ah! monsieur, quel malheur ! dit le jeune. Toussaint, j'ai perdu mon louis.

Nicole ouvrait la bouche pour rétablir les faits dans vérité; mais elle réfléchit que son silence vaudrait peut-être un second louis à l'enfant, et que, ce second louis, ce serait elle qui en hériterait.

Nicole ne s'était pas trompée.

Tu as perdu ton louis, mon pauvre enfant ?` dit Cagliostro; eh bien, en voici deux : tâche de ne pas les perdre cette fois-ci.

Et, tirant d'une bourse, dont la rotondité alluma les regards cupides de Beausire, deux au- tres louis d'or, il les laissa tomber dans la petite

main collante de l'enfant.

- Tiens, maman, dit celui-ci courant à Nicole, en voilà un pour toi et un pour moi.

Et l'enfant partagea son trésor avec sa mère Cagliostro avait remarqué la ténacité avec laquelle le regard du faux sergent avait suivi sa

Le comte de Cagliostro! dirent ensemble bourse, qu'il venait d'éventrer pour donner pas

Nicole et Beausire.

Vous avez là un charmant enfant, M. de Beausire, dit le comte, et vous devez vous trou ver bien heureux d'être père !

sage aux quarante-huit livres, dans les différentes évolutions qu'elle avait faites depuis la sortie de sa poche jusqu'à sa rentrée.

En la voyant disparaître dans les profondeurs

Toussaint-cette fois l'allégation passa sans récrimination-contre la position précaire dont je

de la veste du comte, l'amant de Nicole poussa

un soupir.

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Eh! quoi, M. de Beausire, dit Cagliostro, suis heureux d'avoir contribué à vous tirer? toujours mélancolique ?

-Et vous, M. le comte, toujours millionnaire?

Eh! mon Dieu! vous qui êtes un des plus grands philosophes que j'aie connus, tant dans les derniers siècles que dans l'antiquité, vous devez connaître cet axiôme qui fut en honneur à toutes les époques: L'argent ne fait pas le bonheur. › Je vous ai connu riche relativement.

Oui, répondit Beausire, c'est vrai ; j'ai eu jusqu'à cent mille francs.

— C'est possible; seulement, à l'époque où je vous ai retrouvé, vous en aviez déjà mangé quarante mille à peu près ; de sorte que vous n'en aviez plus que soixante mille, ce qui, vous en conviendrez, était encore une somme assez ronde pour un ancien exempt.

Beausire poussa un soupir.

Qu'est-ce que soixante mille livres, dit-il, comparées aux sommes dont vous disposez, vous ?

A titre de dépositaire, M. de Beausire; car, si nous comptions bien, je crois que ce serait vous qui seriez saint Martin et moi qui serais le pauvre, et que vous seriez obligé, pour ne pas me laisser geler de froid, de me donner la moitié de votre manteau. Eh bien, mon cher M. de Beausire, rappelez-vous les circonstances dans lesquelles je vous ai rencontré. Vous aviez alors, comme je vous le disais tout à l'heure, à peu près soixante mille livres dans votre poche; en étiez-vous plus heureux?

-

- Non, M. le comte, dit Beausire; en effet, vous avez raison, je ne changerais pas. Hélas! à cette époque, j'étais séparé de ma chère Nicole !

Et puis légèrement traqué par la police, à propos de votre affaire du Portugal... Que diable est devenue cette affaire, M. de Beausire ?... Vilaine affaire, autant que je puis me le rappeler !

Elle est tombée à l'eau, M. le comte, répondit Beausire.

- Ah! tant mieux, car elle devait fort vous inquiéter; cependant, ne comptez pas trop sur cette noyade. Il y a de rudes plongeurs à la police, et, si trouble ou si profonde que soit l'eau, une vilaine affaire est toujours plus facile à pêcher qu'une belle perle.

- Enfin, M. le comte, sauf la misère à laquelle nous sommes réduits...

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- Comme Cincinnatus...

Tandis que Nicole se livrerait tout entière

Beausire poussa un soupir rétrospectif qui à l'éducation de notre enfant ! pouvait passer pour un gémissement.

- Voyons, répondez, insista Cagliostro; voudriez-vous changer votre position actuelle, quoique vous ne possédiez que ce malheureux louis que vous avez pris au jeune Toussaint ?...

Monsieur! interrompit l'ancien exempt.

- Ne nous fàchons pas, M. de Beausire; nous nous sommes fachés une fois, et vous avez été forcé d'aller chercher dans la rue votre épée qui avait sauté par la fenêtre ; vous le rappelezvous?... Vous vous le rappelez, n'est-ce pas ? continua le comte qui s'apercevait que Beausire ne répondait point; c'est déjà quelque chose d'avoir de la mémoire. Eh bien, je vous le demande encore, voudriez-vous changer votre position actuelle, quoique vous ne possédiez que ce malheureux louis que vous avez pris au jeune

Comme Cornélie... Mordieu! M. de Beausire, non-seulement ce serait exemplaire, mais encore ce serait touchant; vous n'espérez donc point gagner cela dans l'affaire que vous menez en ce moment?

Beausire tressaillit.

Quelle affaire ? demanda-t-il.

Mais l'affaire où vous vous produisez comme sergent aux gardes; l'affaire, enfin, pour laquelle vous avez rendez-vous ce soir sous les arcades de la place Royale.

Beausire devint pâle comme un mort.
-Oh! M. le comte, dit-il en joignant les
mains d'un air suppliant.
Quoi ?

- Ne me perdez pas !

Bon! Voilà que vous divaguez à présent!

Est-ce que je suis le lieutenant de police pour faire vos preuves, ce qui serait long peut-être; vous perdre ?

-Là! je te l'avais bien dit, s'écria Nicole, que tu te fourrais dans une mauvaise affaire ! -Ah! vous la connaissez, cette affaire, mademoiselle Legay? demanda Cagliostro.

-Non, M. le comte, mais c'est pour cela... quand il me cache une affaire, c'est qu'elle est mauvaise; je puis être tranquille!

- Eh bien, en ce qui concerne celle-ci, chère demoiselle Legay, vous vous trompez : elle peut être excellente, au contraire.

-Ah! n'est-ce pas ? s'écria Beausire. M. le comte est gentilhomme, et M. le comte comprend que toute la noblesse est intéressée...

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- Eh! sans doute, pour toi, dit Nicole. Pardien! tu as assez pensé aux autres, il est temps de penser à toi!

- Vous l'entendez, elle parle comme saint Jean Bouche d'Or. Rappelez-vous ceci, M. de Beausire, toute affaire a un bon et un mauvais côté bon pour les uns, mauvais pour les autres. Une affaire, quelle qu'elle soit, ne peut être mauvaise pour tout le monde ou bonne pour tout le monde; eh bien, il s'agit uniquement de se trouver du bon côté.

Ah! ah! et il paraîtrait que je ne suis pas du bon côté, hein?...

-

assez long pour ennuyer le tribunal qui pourrait bien ordonner provisoirement que vous fussiez pendu. Après cela, vous me direz que, quand la cause est belle, peu importe le sup-plice.

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Malheureux! fit Oliva; c'était donc sur cet enlèvement que tu bâtissais tes rêves d'or?

- Et il n'avait pas tout à fait tort, ma chère demoiselle; seulement, comme j'avais l'honneur de vous le dire tout à l'heure, il y a à chaque chose un bon et un mauvais côté, une face éclairée et une face sombre. M. de Beausire a eu le tort de caresser la face sombre, d'adopter le

Pas tout à fait, M. de Beausire; non, il s'en faut du tout au tout. J'ajouterai même que, si vous vous y entêtez-vous savez que je me mêle de faire le prophète-j'ajouterai même que, si vous vous y entêtez, cette fois, ce ne serait pas risque de l'honneur, ce ne serait pas ris-mauvais côté : qu'il se retourne, voilà tout. que de la fortune que vous courriez, ce serait risque de la vie... Oui, vous seriez probablement pendu!

Monsieur, dit Beausire en tâchant de faire contenance, mais en essuyant la sueur qui roulait sur son front, on ne pend pas un gentilhomme.

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Est-il encore temps? demanda Nicole. - Oh! certainement.

Que faut-il que je fasse, M. le comte? demanda Beausire.

Supposez une chose, mon cher monsieur, dit Cagliostro en se recueillant.

- Laquelle ?

Supposez que votre complot échoue; supposez que les complices de l'homme masqué et

de l'homme au manteau brun soient arrêtés; | Cagliostro.-Je le connais, répondriez-vous; un

supposez... il faut tout supposer dans le temps où nous vivons... supposez qu'ils soient condamnés à mort... Eh! mon Dieu! on a bien acquitté Besenval et Augeard: vous voyez qu'on peut tout supposer... Supposez que ces complices soient condamnés à mort; supposez... ne vous impatientez pas de suppositions en suppositions, nous arriverons à un fait-supposez que vous soyez un de ces complices; supposez que vous ayez la corde au cou, et que l'on vous dise, pour répondre à vos doléances, car, en pareille situation, si courageux qu'il soit, eh! mon Dieu, un homme se lamente toujours peu ou prou, n'est-ce pas ?...

Achevez, M. le comte, je vous en supplic; il me semble déjà que j'étrangle.

Pardieu! ce n'est pas étonnant, je vous suppose la corde au cou! Eh bien, supposez qu'on vienne vous dire: Ah! pauvre M. de Beausire, cher M. de Beausire, c'est votre faute!

Comment cela ? s'écria Beausire.

seigneur étranger qui habite Paris pour son plaisir, et qui s'y ennuie à pâmer quand il manque de nouvelles.-C'est cela même. Eh bien, vous n'aviez qu'à aller le trouver et lui dire :M. le comte... >

Mais je ne savais pas où il demeurait, s'écria Beausire; je ne savais pas qu'il fût à Paris, je ne savais pas même qu'il vécût encore !

Aussi, mon cher M. de Beausire, vous répondrait la voix, c'est pour cela qu'il est venu vous trouver; et, du moment où il est venu vous trouver, convenez-en, là, vous n'avez plus d'excuse. Eh bien! vous n'aviez qu'à lui dire : « M. › le comte, je sais combien vous êtes friand de › nouvelles ; j'en ai et des plus fraîches. Mon> sieur, frère du roi, conspire...-Bah ?...-Oui, › avec le marquis de Favras.-Pas possible !-Si › fait ; j'en parle savamment, puisque je suis un › des agents de M. de Favras.-Vraiment? Et › quel est le but du complot ?-D'enlever le roi > et de le conduire à Péronne. Eh bien, M. le › comte, pour vous distraire, je vais, jour par

– Là, vous voyez bien que, de suppositions, jour, heure par heure, si vous le désirez, minute en suppositions, nous arrivons à une réalité, puisque vous me répondez à moi, comme si déjà vous en étiez là.

Je l'avoue.

⚫ Comment cela? vous répondrait la voix; parce que, non-seulement vous pouviez échapper à cette malemort qui vous tient en ses griffes, mais encore gagner mille louis avec lesquels vous eussiez acheté cette petite maison aux charmilles vertes où vous deviez vivre en compagnie de mademoiselle Oliva et du petit Toussaint, de cinq cents louis de rente que vous vous fussiez constitués avec les douze mille livres qui n'eussent point été employées à l'achat de la maison... vivre, comme vous le disiez, en bon cultivateur, chaussé de pantoufles l'été et de sabots l'hiver; tandis qu'au lieu de ce charmant horizon, nous avons là, vous surtout, devant les yeux la place de Grève, plantée de deux ou trois vilaines potences dont la plus haute vous tend les bras. Pouah! mon pauvre M. de Beausire, la laide perspective! ›

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Mais, enfin, comment aurais-je pu échapper à cette malemort? Comment aurais-je pu gagner ces mille louis qui assuraient ma tranquillité, celle de Nicole et celle de Toussaint ?... Demanderiez-vous toujours, n'est-ce pas ? Rien de plus facile, répondrait la voix; vous aviez là, près de vous, à deux pas, le comte de

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› par minute, s'il le faut, vous dire où en est › l'affaire. Alors, mon cher ami, le comte, qui est un seigneur généreux, vous eût répondu : < Voulez-vous réellement faire cela, M. de Beausire?-Oui.-Eh bien, comme toute peine mérite salaire, si vous tenez la parole donnée, j'ai là, dans un coin, vingt-quatre mille livres que je comptais employer à une bonne action; ma foi, je les passerai à ce caprice, et, le jour où le roi sera enlevé ou M. de Favras pris, vous viendrez me trouver, et, foi de gentilhomme, les vingtquatre mille livres vous seront remises, comme vous sont remis ces dix louis, non pas à titre d'avance, non pas à titre de prêt, mais à titre de simple don!

Et, à ces paroles, comme un acteur qui répète avec les accessoires, le comte de Cagliostro tira de sa poche le pesante bourse, y introduisit le pouce et l'index, et, avec une dextérité qui témoignait de son habitude à ce genre d'exercice, il y pinça juste dix louis, ni plus ni moins, que, de son côté, Beausire, il faut lui rendre cette justice, avança la main pour recevoir.

Cagliostro écarta doucement cette main.

Pardon, M. de Beausire, dit-il; nous faisons, je crois, des suppositions?

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Qui; mais, dit Beausire, dont les yeux brillaient comme deux charbons ardents, n'aviez

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