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roi, il avait répondu que, s'il y avait quelque salut pour la royauté en France, c'était, non point à Paris, mais dans la province qu'il le fallait chercher.

D'ailleurs, il ressortirait de cette réunion d'hommes venus de tous les coins de la France un grand avantage : c'est que le roi verrait son peuple et que le peuple verrait son roi. Quand la population tout entière de la France, représentée par trois cent mille fédérés bourgeois, magistrats, militaires, viendrait crier : Vive la nation! au Champ-de-Mars, et unir ses mains sur les ruines de la Bastille, quelques courtisans aveugles ou intéressés à aveugler le roi ne lui diraient plus que Paris, mené par une poignée de factieux, demandait une liberté qu'était loin de réclamer le reste de la France. Non, Mirabeau comptait sur l'esprit judicieux du roi; non,Mirabeau comptait sur l'esprit de royauté encore si vivant au fond du cœur des Français; et il augurait que, de ce contact inusité, inconnu, inouï d'un monarque avec son peuple, résulterait une alliance sacrée qu'aucune intrigue ne saurait plus rompre.

Les hommes de génie sont parfois atteints de ces niaiseries sublimes qui font que les derniers goujats politiques de l'aveniront le droit de rire au nez de leur mémoire.

Déjà une fédération préparatoire avait eu lieu d'elle-même, pour ainsi dire, dans les plaines de Lyon. La France, qui marchait instinctivement à l'unité, avait cru trouver le mot définitif de cette unité dans les campagnes du Rhône; mais là, elle s'était aperçue que Lyon pouvait bien fiancer la France au génie de la liberté, mais qu'il fallait Paris pour la marier.

Quand cette proposition d'une fédération générale fut apportée à l'Assemblée par le maire et par la commune de Paris, qui ne pouvaient plus résister aux demandes des autres villes, il se fit un grand mouvement parmi les auditeurs. Cette réunion innombrable d'hommes, conduite à Paris, ce centre éternel d'agitation, était désapprouvée à la fois par les deux partis qui séparaient la chambre, par les royalistes et les jacobins.

C'était, disaient les royalistes, risquer un gigantesque 14 juillet, non plus contre la Bastille, mais contre la royauté.

Que deviendrait le roi au milieu de cette effroyable mêlée de passions diverses, de cet épouvantable conflit d'opinions différentes ?

D'un autre côté, les jacobins, qui n'ignoraient

pas quelle influence Louis XVI conservait sur les masses, ne redoutaient pas moins cette réunion que leurs ennemis.

Aux yeux des jacobins, une telle réunion allait amortir l'esprit public, endormir les défiances, réveiller les vieilles idolâtries, enfin, royaliser la France.

Mais il n'y avait pas moyen de s'opposer à ce mouvement, qui n'avait pas eu son pareil depuis que l'Europe tout entière s'était soulevée, au onzième siècle, pour délivrer le tombeau du Christ.

Et qu'on ne s'étonne pas; ces deux mouvements ne sont pas aussi étrangers l'un à l'autre qu'on pourrait le croire : le premier arbre de liberté avait été planté sur le Calvaire.

Seulement, l'Assemblée fit ce qu'elle put pour rendre la réunion moins considérable qu'on ne la sentait venir. On traîna la discussion en longueur, de sorte qu'il devait se passer, pour ceux qui viendraient de l'extrémité du royaume, ce qui, à la fédération de Lyon, s'était passé pour les députés de la Corse : ils avaient eu beau se presser, iis n'étaient arrivés que le lendemain.

En outre, les dépenses furent mises à la charge des localités. Or, il y avait des provinces si pauvres, et l'on savait cela, qu'on ne supposait point qu'en faisant les plus grands efforts, elles pussent subvenir aux frais de la moitié du chemin de leurs avaient à faire, puisqu'il leur fallait, non-seuledéputés, ou plutôt du quart de la route qu'ils ment aller à Paris, mais encore en revenir.

Mais on avait compté sans l'enthousiasme public. On avait compté sans la cotisation, dans laquelle les riches avaient donné deux fois, une fois pour eux, une fois pour les pauvres. On avait compté sans l'hospitalité, criant le long des chemins Français, ouvrez vos portes, voilà des frères qui vous arrivent du bout de la France!>

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Et ce dernier cri surtout n'avait pas trouvé une oreille sourde, pas une porte rebelle.

Plus d'étrangers, plus d'inconnus ; partout des Français, des parents, des frères. A nous les pélerins de la grande fête! Venez, gardes nationaux ! venez, soldats! venez, marins ! entrez chez nous; vous trouverez des pères et des mères, des épouses dont les fils et les époux trouvent ailleurs l'hospitalité que nous vous offrons!

Pour celui qui eût pu, comme le Christ, être transporté, non pas sur la plus haute montagne de la terre, mais seulement sur la plus haute montagne de la France, c'eût été un splendide spectacle que de voir ces trois cent mille citoyens.

marchant vers Paris, tous ces rayons de l'étoile refluant vers le centre.

Et par qui étaient guidés tous ces pélerins de la liberté ? Par des vieillards, par de pauvres soldats de la guerre de sept ans, par des sous-officiers de Fontenoy, par des officiers de fortune à qui il avait fallu toute une vie de labeur, de courage et de dévouement pour arriver à l'épaulette de lieutenant ou aux deux épaulettes de capitaine ; pauvres mineurs qui avaient été obligés d'user avec leur front la voûte de granit de l'ancien régime militaire; par des mariniers qui avaient conquit l'Inde avec Bussy et Dupleix, et qui l'avaient perdue avec Lally-Tollendal; ruines vivantes, brisées par les canons des champs de bataille, usées au flux et au reflux de la mer. Pendant les derniers jours, des hommes de quatre-vingts ans firent des étapes de dix et douze lieues pour arriver à temps, et ils arrivèrent.

Au moment de se coucher pour toujours et de s'endormir du sommeil de l'éternité, ils avaient retrouvé les forces de la jeunesse.

C'est que la patrie leur avait fait signe, les appelant à elle d'une main, et, de l'autre, moutrant l'avenir de leurs enfants.

L'Espérance. marchait devant eux.

Puis ils chantaient un seul et unique chant, que les pèlerins vinssent du nord ou du midi, de l'orient ou de l'occident, de l'Alsace ou de la Bretagne, de la Provence ou de la Normandie. Qui leur avait appris ce chant, rimé lourdement, pesamment, comme ces anciens cantiques qui guidaient les croisés à travers les mers de l'Ar chipel et les plaines de l'Asie-Mineure? Nul ne le sait : - l'ange de la rénovation, qui secouait, en passant, ses ailes au-dessus de la France.

Elle chantait sur un autre air les paroles suivantes :

Le peuple en ce jour sans cesse répète :
Ah! ça ira, ça ira, ça ira,
Suivant les maximes de l'Evangile.

Ah! ça ira, ça ira, ça ira,
Du législateur tout s'accomplira :
Celui qui s'élève, on l'abaissera ;
Celui qui s'abaisse, on l'élèvera!

Il fallait un cirque gigantesque pour recevoir, province et Paris, cinq cent mille ames; il fallait un amphithéâtre colossal pour étager un million de spectateurs.

Pour le premier, on choisit le Champ-de-Mars. Pour le second, les hauteurs de Passy et de Chaillot.

Seulement, le Champ-de-Mars présentait une surface plane. Il fallait en faire un vaste bassin; il fallait le creuser et en amonceler les terres tout

autour pour former des élévations.

Quinze mille ouvriers de ces hommes qui se plaignent éternellement tout haut de chercher en vain de l'ouvrage, et qui, tout bas, prient Dieu de n'en point trouver quinze mille ouvriers furent lancés, avec bêches, pioches et hoyaux, par la ville de Paris, pour transformer cette plaine en un vallon bordé d'un large amphithéâtre. Mais, à ces quinze mille ouvriers, trois semaines seulement restaient pour accomplir cette œuvre de Titans ; et, au bout de deux jours de travail, on s'aperçut qu'il leur faudrait trois mois.

Peut-être, d'ailleurs, étaient-ils plus chèrement payés pour ne rien faire qu'ils ne l'étaient pour

travailler.

Alors se produisit une espèce de miracle auquel on put juger de l'enthousiasme parisien. Le labeur immense que ne pouvaient pas ou ne voulaient pas exécuter quelque milliers d'ou

Ce chant c'était le fameux Ça ira, non pas celui de 93; -93 a tout interverti, tout changé : levriers fainéants, la population tout entière l'enrire en larmes, la sueur en sang.

Non, cette France tout entière, s'arrachant à elle-même pour venir apporter à Paris le serment universel, elle ne chantait point des paroles de menaces, elle ne disait point:

Ah! ça ira, ça ira, ça ira,
Les aristocrates à la lanterne ;
Ah! ça ira, ça ira, ça ira,
Les aristocrates, on les pendra!

Non, son chant, à elle, ce n'était point un chant de mort, c'était un chant de vie; ce n'était point l'hymne de désespoir, c'était le cantique de l'espérance.

treprit. Le jour même où le bruit se répandit que le Champ-de-Mars ne serait pas prêt pour le 14 juillet, cent mille hommes se levèrent et dirent, avec cette certitude qui accompagne la volonté d'un peuple ou la volonté d'un Dieu : « II le sera.

Des députés allèrent trouver le maire de Paris au nom de ces cent mille travailleurs, et il fut convenu avec eux que, pour ne pas nuire aux travaux de la journée, on leur donnerait la nuit.

Le même soir, à sept heures, un coup de canon fut tiré, qui annonçait que, la besogne du jour étant finie, l'œuvre nocturne allait commen

cer.

leurs.

Et, au coup de canon, par ses quatre faces, du | s'escrimant de leur mieux au milieu des travailcôté de Grenelle, du côté de la rivière, du côté du Gros-Caillou et du côté de Paris, le Champde-Mars fut envahi.

Chacun portait son instrument : hoyau, bêche, pelle ou brouette.

D'autres roulaient des tonneaux pleins de vin, accompagnés de violons, de guitares, de tambours et de fifres.

Tous les âges, tous les sexes, tous les états étaient confondus; citoyens, soldats, abbés, moines,belles dames,dames de la halle, sœurs de charité, actrices, tout cela maniait la pioche, roulait la brouette ou menait le tombereau ; les enfants marchaient devant portant des torches ; les orchestres suivaient, jouant de toutes sortes d'instruments, et, planant sur tout ce bruit, sur tout ce vacarme, sur tous ces instruments, s'élevait le Ça ira, chœur immense chanté par cent mille bouches, et auquel répondaient trois cent mille voix venant de tous les points de la France.

Au nombre des travailleurs les plus acharnés, on en remarquait deux arrivés des premiers et en uniforme : l'un était un homme de quarante ans, aux membres robustes et trapus, mais à la figure sombre.

Lui ne chantait pas et parlait à peine.

L'autre était un jeune homme de vingt ans, à la figure ouverte et souriante, aux grands yeux bleus, aux dents blanches, aux cheveux blonds, d'aplomb sur ses grands pieds et sur ses gros genoux ; il soulevait de ses larges mains des fardeaux énormes, roulait charette et tombereau sans jamais s'arrêter, sans jamais se reposer, chantant toujours, veillant du coin de l'œil sur son compagnon, lui disant une bonne parole à laquelle celui-ci ne répondait pas, lui portant un verre de vin qu'il repoussait, revenant à sa place en levant tristement les épaules, et se remettant à travailler comme dix, et à chanter comme vingt. Ces deux hommes, c'étaient deux des députés du nouveau département des l'Aisne qui, éloignés de dix lieues seulement de Paris, et ayant entendu dire que l'on manquait de bras, etaient accourus en toute hâte pour offrir, l'un son silencieux travail, l'autre sa bruyante et joyeuse coopéra

tion.

Ces deux hommes, c'étaient Billot et Pitou. Disons ce qui se passait à Villers-Côterèts pendant la troisième nuit de leur arrivée à Paris, c'est-à-dire pendant la nuit du 5 au 6 juillet, au moment juste où nous venons de les reconnaître,

LXVIII.

OU L'ON VOIT CE QU'ÉTAIT DEVENUE CATHERINE, MAIS OU L'ON ignore ce qu'ELLE DEVIENDRA.

Pendant cette nuit du 5 au 6 juillet, vers onze heures du soir, le docteur Raynal, qui venait de se coucher dans l'espérance si souvent déçue chez les chirurgiens et les médecins de dormir sa grasse nuit, le docteur Raynal, disons-nous, fut réveillé par trois coups vigoureusement frap; pés à sa porte.

C'était, on le sait, l'habitude du bon docteur, quand on frappait ou quand on sonnait la nuit, d'aller ouvrir lui-même, afin d'être plus vite en contact avec les gens qui pouvaient avoir besoin de lui.

Cette fois comme les autres, il sauta à bas de son lit, passa sa robe de chambre, chaussa ses pantoufles, et descendit aussi rapidement que possible son étroit escalier.

Quelque diligence qu'il eût faite, sans doute, il paraissait trop lent encore au visiteur nocturne, car celui-ci s'était remis à frapper, mais, cette fois, sans nombre et sans mesure, lorsque tout à coup la porte s'ouvrit.

Le docteur Raynal reconnut ce même laquais qui l'était venu chercher, une certaine nuit, pour le conduire près du vicomte Isidore de Charny.

-Oh! oh! dit le docteur à cette vue, encore vous, mon ami? Ce n'est point un mot de reproche, entendez-vous bien? mais, si votre maître était encore blessé de nouveau, il faudrait qu'il y prît garde: il ne fait pas bon aller ainsi aux endroits où il pleut des balles.

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ner à gauche en sortant de chez lui, comme il avait fait la première fois, tourna à droite, suivant le laquais qui lui indiquait le chemin.

C'était donc du côté opposé à Boursonnes qu'on le conduisait, cette fois.

Il traversa le parc, s'enfonça dans la forêt, laissant Haramont à sa gauche, et se trouva bientôt dans une partie du bois si accidentée, qu'il était difficile d'aller plus loin à cheval.

Tout à coup, un homme caché derrière un arbre se démasqua en faisant un mouvement.

Est-ce vous, docteur ? demanda-t-il.

Le docteur, qui avait arrêté son cheval, ignorant les intentions du nouveau venu, reconnut à ces mots le vicomte Isidore de Charny.

- Oui, dit-il, c'est moi. Où diable me faitesvous donc mener, M. le vicomte?

Vous allez voir, dit Isidore. Mais descendez de cheval, je vous prie, et suivez-moi. Le docteur descendit; il commençait à tout comprendre.

- Ah! ah! dit-il, il s'agit d'un accouchement, je parie?

Isidore lui saisit la main.

Oui, docteur, et, par conséquent, vous me promettez de garder le silence, n'est-ce pas ?

Le docteur haussa les épaules en homme qui voulait dire : «Eh! mon Dieu, soyez donc tranquille, j'en ai vu bien d'autres !>

coup d'œil jeté dans l'intérieur de cette petite chambre.

Un joli papier tendu sur la muraille, des rideaux d'étoffe pareille à ce papier pendants aux deux fenêtres; entre ces deux fenêtres, une glace élégante; au-dessous de cette glace, une toilette garnie de tous ses ustensiles en porcelaine; deux chaises, deux fauteuils, un petit canapé et une petite bibliothèque : tel était l'intérieur, presque comfortable, comme on dirait aujourd'hui, qui s'offrait à la vue en entrant dans cette petite chambre.

Mais le regard du bon docteur ne s'arrêta sur rien de tout cela. Il avait vu la femme étendue sur le lit; il allait droit à la souffrance.

En apercevant le docteur, Catherine avait caché son visage entre ses deux mains, qui ne pouvaient contenir ses sanglots, ni cacher ses larmes.

Isidore s'approcha d'elle et prononça son nom; elle se jeta dans ses bras.

- Docteur, dit le jeune homme, je vous confie la vie et l'honneur de celle qui n'est aujourd'hui que ma maîtresse, mais qui, je l'espère, sera un jour ma femme.

-Oh! que tu es bon, mon cher Isidore, de est impossible qu'une pauvre fille comme moi me dire de pareilles choses! car tu sais bien qu'il soit jamais vicomtesse de Charny. Mais je ne t'en remercie pas moins; tu sais que je vais avoir Alors, venez par ici, dit Isidore répondant besoin de forces, et tu veux m'en donner; sois à sa pensée.

Et, au milieu des houx, sur les feuilles sèches et criantes, perdus sous l'obscurité des hêtres gigantesques, à travers le feuillage frémissant desquels on apercevait de temps en temps le scintillement d'une étoile, tous deux descendirent dans les profondeurs où nous avons dit que le pas des chevaux ne pouvait pénétrer.

Au bout de quelques instants, le docteur aperçut le haut de la pierre Clouïse.

- Oh! oh! dit-il, serait-ce dans la hutte du bonhomme Clouïs que nous allons?

Pas tout à fait, dit Isidore, mais bien près. Et, faisant le tour de l'immense rocher, il conduisit le docteur devant la porte d'une petite bâtisse en briques adossée à la hutte du vieux garde, si bien qu'on aurait pu croire, et que l'on croyait effectivement dans les environs, que le bonhomme, pour plus grande commodité, avait ajouté cette annexe à son logement.

Il est vrai que, à part même Catherine gisante sur un lit, on eût été détrompé par le premier

tranquille, j'aurai du courage, et le premier, le plus grand que je puisse avoir, c'est de me montrer à vous à visage découvert, cher docteur, et de vous offrir la main.

Et elle tendit la main au docteur Raynal

Une douleur plus violente qu'aucune de celles qu'avait encore éprouvées Catherine, crispa sa main au moment même où celle du docteur Raynal la toucha.

Celui-ci fit du regard un signe à Isidore, qui comprit que le moment était venu.

Le jeune homme s'agenouilla devant le lit de la patiente.

Catherine, mon enfant chérie, lui dit-il, sans doute je devrais rester là près, de toi, à te soutenir et à t'encourager; mais, j'en ai peur, la force me manquerait; si, cependant, tu le désires...

Catherine passa son bras autour du cou d'Isidore.

- Va, dit-elle, va; je te remercie de tant m'aimer, que tu ne puisses pas me voir souffrir.

Isidore appuya ses lèvres contre celles de la pauvre enfant, serra' encore une fois la main du docteur Raynal, et s'élança hors de la chambre.

Pendant deux heures, il erra comme ces ombres dont parle Dante, qui ne peuvent s'arrêter pour prendre un instant de repos, et qui, si elles s'arrêtent, sont relancées par un démon qui les pique de son trident de fer. A chaque instant, après un cercle plus ou moins grand, il revenait à cette porte derrière laquelle s'accomplissait le douloureux mystère de l'enfantement. Mais presque aussitôt un cri poussé par Catherine, en pénétrant jusqu'à lui, le frappait comme le trident de fer du damné, et le forçait de reprendre sa course errante, s'éloignant sans cesse du but où elle revenait sans cesse.

Enfin, il s'entendit appeler au milieu de la nuit par la voix du docteur et par une voix plus douce et plus faible. En deux bonds il fut à la porte, ouverte cette fois, et sur le seuil de laquelle le docteur l'attendait, élevant un enfant entre ses bras.

-Hélas! hélas ! Isidore, dit Catherine, maintenant, je suis doublement à toi... à toi comme maîtresse, à toi comme mère !

Huit jours après, à la même heure, dans la nuit du 13 au 14 juillet, la porte se rouvrait; deux hommes portaient dans une litière une femme et un enfant qu'un jeune homme escortait à cheval en recommandant aux porteurs les plus grandes précautions. Arrivé à la grande route d'Haramont à Villers-Côterèts, le cortége trouva une bonne berline attelée de trois chevaux, dans laquelle montèrent la mère et l'enfant.

dore s'était décidé à ce voyage, rendu nécessaire d'ailleurs par le prochain retour de Billot et de Pitou.

Dieu, qui, jusqu'à un certain moment, veille parfois sur ceux que plus tard il semble abandonner, avait permis que l'accouchement eût lieu en l'absence de Billot, qui, d'ailleurs, ignorait la retraite de sa fille, et de Pitou, qui, dans son innocence, n'avait pas même soupçonné la grossesse de Catherine.

Vers cinq heures du matin, la voiture arrivait à la porte Saint-Denis, mais elle ne pouvait traverser les boulevards à cause de l'encombrement occasionné par la fête du jour.

Catherine hasarda sa tête hors de la portière, mais elle la rentra à l'instant même en poussant un cri, et en se cachant dans la poitrine d'Isidore.

Les deux premières personnes qu'elle venait de reconnaître parmi les fédérés étaient Billot et Pitou.

LXIX.

LE 14 JUILLET 1790.

Ce travail qui, d'une plaine immense, devait faire une immense vallée entre deux collines, avait, en effet, grâce à la coopération de Paris tout entier, été achevé dans la soirée du 13 juillet.

Beaucoup de travailleurs, afin d'être sûrs d'y avoir leur place le lendemain, y avaient couché, comme des vainqueurs couchent sur le champ de bataille.

Le jeune homme donna, alors, quelques ordres Billot et Pitou étaient allés rejoindre les fédéà son domestique, mit pied à terre, lui jeta aux rés, et avaient pris place au milieu d'eux sur le mains la bride de son cheval, et monta à son boulevard. Le hasard fit, comme nous l'avons tour dans la voiture, qui, sans s'arrêter à Vil vu, que la place assignée aux députés du délers-Côterèts et sans le traverser, longea seule-partement de l'Aisne était justement celle où ment le parc depuis la Faisanderie jusqu'au bout de la rue de Largny, et, arrivée là, prit au grand trot la route de Paris.

Avant de partir, le jeune homme avait laissé une bourse d'or à l'intention du père Clouïs, et la jeune femme une lettre à l'adresse de Pitou.

Le docteur Raynal avait répondu que, vu la prompte convalescence de la malade et la bonne constitution de l'enfant, qui était un garçon, le voyage de Villers-Côterèts à Paris pouvait, dans une bonne voiture, se faire sans aucun accident.

alla se heurter la voiture qui amenait à Paris Catherine et son enfant.

Et, en effet, cette ligne, composée de fédérés seulement, s'étendait de la Bastille au boulevard Bonne-Nouvelle.

Chacun avait fait de son mieux pour recevoir ces hôtes bien-aimés. Quand on sut que les Bretons, ces aînés de la liberté, arrivaient, les vainqueurs de la Bastille allèrent au-devant d'eux jusqu'à Saint-Cyr, et les gardèrent comme leurs hôtes.

Il y eut, alors, des élans étranges de désintéC'était en vertu de cette assurance qu'Isi- ressement et de patriotisme.

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