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masque railleur dont le disciple d'Althotas avait coutume de couvrir son visage.

Gilbert prit donc le parti d'aborder franchement la question.

-

Comte, observa-t-il, tout ce que vous venez de dire est vrai, je le répète. Maintenant, dans quel but venez-vous me le dire? Sous quel titre vous présentez-vous à moi ? Venez-vous comme un ennemi loyal qui prévient qu'il va combattre? Venez-vous comme un ami qui s'offre à aider ? - Je viens d'abord, mon cher Gilbert, répondit affectueusement Cagliostro, comme vient le maître à l'élève pour lui dire : « Ami, tu as fait fausse route en t'attachant à cette ruine qui tombe, à cet édifice qui s'écroule, à ce principe qui meurt et qu'on appelle la monarchie. Les hommes comme toi ne sont pas les hommes du passé, ne sont pas même les hommes du présent ; ce sont les hommes de l'avenir. Abandonne la chose à laquelle tu ne crois pas, pour la chose à laquelle nous croyons; ne t'éloigne pas de la réalité pour suivre l'ombre, et, si tu ne te fais pas soldat actif de la révolution, regarde-la passer, et ne tente pas de l'arrêter dans sa route; Mirabeau était un géant, et Mirabeau vient de succomber à l'œuvre.

Comte, dit Gilbert, je répondrai à cela le jour où le roi, qui s'est fié à moi, sera en sûreté. Louis XVI m'a pris pour confident, pour auxiliaire, pour complice, si vous voulez, dans l'œuvre qu'il entreprend. J'ai accepté cette mission, je l'accomplirai jusqu'au bout, le cœur ouvert, les yeux fermés. Je suis médecin, mon cher comte, le salut matériel de mon malade avant tout! Maintenant, vous, répondez-moi à votre tour. Dans vos mystérieux projets, dans vos sombres combinaisons, avez-vous besoin que cette fuite réussisse ou avorte? Si vous voulez qu'elle avorte, il est inutile de lutter, dites: Ne partez pas! et nous resterons, et nous courberons la tête, et nous attendrons le coup.

Frère! dit Cagliostro, si, poussé par le Dieu qui m'a tracé ma route, il me fallait frapper ou ceux que ton cœur aime, ou ceux que ton génie protége, je resterais dans l'ombre et je ne demanderais qu'une chose à cette puissance surhumaine à laquelle j'obéis : c'est qu'elle te laissât ignorer de quelle main est parti le coup. Non, si je ne viens pas en ami-je ne puis être l'ami des rois, moi qui ai été leur victime—je ne viens pas non plus en ennemi; je viens, une balance à la main, te disant : J'ai pesé les destins de ce dernier Bourbon, et je ne crois pas que sa mort

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Gilbert essaya une seconde fois de lire jusqu'au fond du cœur de Cagliostro.

Bon! dit celui-ci en reprenant son ton railleur, voilà que tu doutes. Voyons, homme lettré, ne connais-tu pas cette histoire de la lance d'Achille, qui blessait et qui guérissait? Cette lance, je la possède. La femme qui a passé pour la reine dans les bosquets de Versailles, ne peut-elle pas aussi passer pour la reine dans les appartements des Tuileries ou sur quelque route opposée à celle que suivra la vraie fugitive? Voyons, ce n'est point à mépriser, ce que je vous offre là, mon cher Gilbert.

- Soyez franc alors jusqu'au bout, comte, et dites-moi dans quel but vous me faites cette offre.

Mais, mon cher docteur, c'est bien simple: dans le but que le roi s'en aille, dans le but que le roi quitte la France, dans le but qu'il nous laisse proclamer la république.

La république! dit Gilbert étonné. - Pourquoi pas? dit Cagliostro.

Mais, mon cher comte, je regarde en France autour de moi, du midi au nord, de l'orient à l'occident, et je ne vois pas un seul républicain.

- D'abord, vous vous trompez, j'en vois trois : Pétion, Camille Desmoulins et votre serviteur; ceux-là vous pouvez les voir comme moi; puis je vois encore ceux que vous ne voyez pas et que vous verrez quand il sera temps qu'ils paraissent. Alors, rapportez-vous en à moi de faire un coup de théâtre qui vous étonnera; seulement, vous comprenez, je désire que, dans le changement à vue, il n'arrive pas d'accidents trop graves. Les accidents retombent toujours sur le machiniste.

Gilbert réfléchit un instant.

Puis, tendant la main à Cagliostro :

Comte, dit-il, s'il ne s'agissait que de moi, s'il ne s'agissait que de ma vie, s'il ne s'agissait que de mon honneur, de ma réputation, de ma mémoire, j'accepterais à l'instant même; mais il s'agit d'un royaume, d'un roi, d'une reine, d'une race, d'une monarchie, et je ne puis pren

dre sur moi de traiter pour eux. Restez neutre, mon cher comte, voilà tout ce que je vous demande.

Cagliostro sourit.

Oui, je comprends, dit-il, l'homme du collier!... Eh bien! mon cher Gilbert, l'homme du collier va vous donner un conseil.

- Silence! dit Gilbert, on sonne.

Qu'importe! vous savez bien que celui qui sonne, c'est M. le comte de Charny. Or, le conseil que j'ai à vous donner, lui aussi peut l'entendre et le mettre à profit. Entrez, M. le comte, entrez.

Charny, en effet, venait de paraître sur la porte. Voyant un étranger où il comptait ne rencontrer que Gilbert, il s'était arrêté inquiet et hésitant.

Ce conseil, continua Cagliostro, le voici : Défiez-vous des nécessaires trop riches, des voitures trop lourdes et des portraits trop ressemblants. Adieu, Gilbert; adieu, M. le comte; et, pour employer la formule de ceux à qui, comme à vous, je souhaite un bon voyage: Dieu vous ait en sa sainte et digne garde!

Et le prophète, saluant amicalement Gilbert et courtoisement Charny, se retira, suivi par le regard inquiet de l'un et l'œil interrogateur de l'autre.

-Qu'est-ce que cet homme, docteur? demanda Charny, lorsque le bruit des pas se fut éteint dans l'escalier.

Un de mes amis, dit Gilbert, un homme qui sait tout, mais qui vient de me donner sa parole de ne pas nous trahir.

Gilbert hésita un instant :

Le baron Zannone, dit-il.

C'est singulier, reprit Charny, je ne connais pas ce nom, et cependant il me semble que je connais ce visage. - Avez-vous le passe-port,

docteur?

Le voici, comte.

Charny prit le passe-port, le déplia vivement et, complètement absorbé par l'attention qu'il donnait à cette pièce importante, il parut avoir oublié, momentanément, du moins, jusqu'au baron Zannone.

LXXXIII.

LA SOIRÉE DU 20 JUIN.

Maintenant nous allons voir ce qui se passait le 20 juin au soir, de neuf heures à minuit, sur divers points de la capitale.

Ce n'était pas sans raison que l'on s'était défié de madame de Rochereul; bien que son service eût cessé le 11, elle avait trouvé, ayant conçu quelque doute, moyen de revenir au château, et elle s'était aperçue que, quoique les écrins de la reine fussent toujours à leur place, les diamants n'y étaient plus; en effet, ils avaient été confiés par Marie-Antoinette à son coiffeur Léonard, lequel devait partir dans la soirée du 20, quelques heures avant son auguste maîtresse, avec M. de Choiseul, commandant les soldats du premier détachement posté à Pont-de-Sommevelle, chargé, en outre, du relais de Varennes, qu'il devait composer de six bons chevaux, et qui attendait chez lui, rue d'Artois, les derniers ordres du roi et de la reine. C'était peut-être un peu indiscret d'embarrasser M. de Choiseul de maître Léonard, et un peu imprudent d'emmener avec soi un coiffeur; mais quel artiste eût entrepris de faire à l'étranger ces admirables coiffures qu'exécutait en se jouant Léonard? Que voulez-vous, quand on a un coiffeur homme de génie, on n'y renonce pas volontiers!

Il en résulta que la femme de chambre de M. le Dauphin, se doutant que le départ était fixé au lundi 20, à onze heures du soir, en avait donné avis, non-seulement à son amant M. de Gouvion, mais encore à M. Bailly.

M. La Fayette avait été trouver le roi pour s'expliquer franchement avec lui de cette dénonciation, et avait haussé les épaules.

M. Bailly avait mieux fait; pendant que La Fayette était devenu aveugle comme un astronome, lui, Bailly, était devenu courtois comme un chevalier : il avait envoyé à la reine la lettre même de madame de Rochereul.

M. de Gouvion, influencé directement, avait seul conservé de plus intenses soupçons; prévenu par sa maîtresse, il avait, sous prétexte d'une petite réunion militaire, attiré chez lui une douzaine d'officiers de la garde nationale; il en avait placé cinq ou six en vedette à différentes portes, et lui-même, avec cinq chefs de bataillon, il s'était chargé de surveiller les portes de l'appartement de M. de Villequier, plus spécialement désignées à son attention.

Vers la même heure, rue Coq-Héron, No 9, dans un salon que nous connaissons, assise sur une causeuse où elle nous est déjà apparue, une jeune femme, belle, calme en apparence, mais profondément émue au fond du cœur, causait avec un jeune homme de vingt-trois à vingtquatre ans, debout devant elle, vêtu d'une veste

de peau collant, chaussé d'une paire de bottes à retroussis, et armé d'un couteau de chasse..

de courrier de couleur chamois, d'un pantalon | danger, eût bien certainement répondu que non ; le lendemain, il était couché pâle, inanimé, en travers de la porte de la reine. Le danger, madame, à l'époque où nous sommes, sort de terre, et l'on se trouve parfois face à face avec la mort sans savoir d'où elle vient, ni qui l'a appelée. Andrée pâlit.

Il tenait à la main un chapeau rond galonné. La jeune femme paraissait insister, le jeune homme paraissait se défendre.

- Mais encore une fois, vicomte, disait-elle, pourquoi, depuis deux mois et demi qu'il est de retour à Paris, pourquoi ne pas être venu luimême ?

Mon frère, madame, depuis son retour m'a chargé plusieurs fois d'avoir l'honneur de vous donner de ses nouvelles.

Ainsi, dit-elle, il y a danger de mort, n'estce pas, vicomte?

Je n'ai pas dit cela, madame.
Non, mais vous le pensez.

Je pense, madame, que, si vous avez quel- Je le sais, et je lui en suis bien reconnais- que chose d'important à faire dire à mon frère, sante, ainsi qu'à vous, vicomte; mais il me l'entreprise dans laquelle il se hasarde, ainsi que semble qu'au moment de partir, il eût pu lui-moi, est assez grave pour que, de vive voix ou même me venir dire adieu. par écrit, vous me chargiez de lui transmettre votre pensée, votre désir ou votre recommandation.

--

Sans doute, madame, la chose lui aura été impossible, car c'est moi qu'il a chargé de ce soin.

C'est bien, vicomte, dit Andrée en se le

- Et le voyage que vous entreprenez, sera-t-il vant, je vous demande cinq minutes.

long?

- Je l'ignore, madame.

Je dis vous, vicomte, parce qu'à votre costume, je dois penser que, vous aussi, vous êtes sur votre départ.

--

Selon toute probabilité, madame, j'aurai quitté Paris ce soir à minuit.

Accompagnez-vous votre frère, ou suivezvous une direction opposée à la sienne?

Et, de ce pas lent et froid qui lui était habituel, la comtesse entra dans sa chambre, dont elle referma la porte derrière elle.

La comtesse sortie, le jeune homme regarda sa montre avec une certaine inquiétude.

Neuf heures un quart, murmura-t-il; le roi nous attend à neuf heures et demie... Heureusement qu'il n'y a qu'un pas d'ici aux Tuileries. Mais la comtesse n'usa pas même de la somme

Je crois, madame, que nous suivons le de temps qu'elle avait demandée. même chemin.

- Lui direz-vous que vous m'avez vue?

- Qui, madame, car, à la sollicitude qu'il a mise à m'envoyer près de vous, aux recommandations réitérées qu'il m'a faites de ne pas le rejoindre sans vous avoir vue, il ne me pardonnerait pas d'avoir oublié une pareille mission.

La jeune femme passa la main sur ses yeux, poussa un soupir, et, après avoir réfléchi un instant:

– Vicomte, dit-elle, vous êtes gentilhomme, vous allez comprendre toute la portée de la demande que je vous fais; répondez-moi comme vous me répondriez si j'étais véritablement votre sœur, répondez-moi comme vous répondriez à Dieu. Dans ce voyage qu'il entreprend, M. de Charny court-il quelque danger sérieux ?

- Qui peut dire, madame, répliqua Isidore essayant d'éluder la question, où est et où n'est pas le danger dans l'époque où nous vivons? Le 5 octobre, au matin, notre pauvre frère Georges, interrogé s'il croyait courir quelque

Au bout de quelques secondes, elle rentra tenant à la main une lettre cachetée.

Vicomte, dit-elle avec solennité, à votre honneur je confie ceci. Isidore allongea la main pour prendre la lettre.

--

Attendez, dit Andrée, et comprenez bien ce que je vais vous dire si votre frère, si M. le comte de Charny, accomplit sans accident l'entreprise qu'il poursuit, il n'y a rien à lui dire autre chose que ce que je vous ai dit : sympathie pour sa loyauté, respect pour son dévouement, admiration pour son caractère... S'il est blessé

la voix d'Andrée s'altéra légèrement — s'il est blessé grièvement, vous lui demanderez de m'accorder la grâce de le rejoindre, et, s'il m'accorde cette grâce, vous m'enverrez un messager qui me dise sûrement où le trouver, car je partirai à l'instant même. S'il est blessé à mort... - l'émotion fut près de couper la voix d'Andrée-vous lui remettrez cette lettre ; s'il ne peut plus la lire lui-même, vous la lui lirez, car, avant

qu'il meure, je veux qu'il sache ce que contient cette lettre. Votre foi de gentilhomme que vous ferez comme je le désire, vicomte?

main.

Sur l'honneur, madame! dit-il.

Alors, prenez cette lettre, et allez, vicomte. Isidore prit la lettre, baisa la main de la comtesse, et sortit.

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Isidore, aussi ému que la comtesse, tendit la MM. de Malden et de Valory, excusez-moi d'avoir disposé de vous sans votre permission, mais je vous tenais pour de fidèles serviteurs de la royauté : vous sortiez de mes gardes. Je vous ai invités à passer chez un tailleur dont je vous ai fait donner l'adresse, à vous y faire faire à chacun un costume de courrier, et à vous trouver ce soir aux Tuileries, à neuf heures et demie; votre présence me prouve que, quelle qu'elle soit, vous voulez bien accepter la mission dont j'ai à vous charger.

Oh! s'écria Andrée en retombant sur son canapé, s'il meurt, je veux au moins qu'en mourant, il sache que je l'aime !

Juste au même moment où Isidore quittait la comtesse, et plaçait la lettre sur sa poitrine, à côté d'une autre lettre dont, à la lueur du̟ réverbère allumé au coin de la rue Coquillière, il venait de lire l'adresse, deux hommes vêtus absolument du même costume que lui s'avançaient vers un lieu de réunion commun, c'est-à-dire vers ce boudoir de la reine où nous avons déjà introduit nos lecteurs par deux passages différents; l'un suivait la galerie du Louvre qui longe le quai, cette galerie où est aujourd'hui le musée de peinture, et à l'extrémité de laquelle Weber l'attendait; l'autre montait par le petit escalier que l'on a vu prendre à Charny, à son arrivée de Montmédy. Au haut de cet escalier, de même que son compagnon était attendu au bout de la galerie du Louvre par Weber, le valet de chambre de la reine, celui-ci était attendu par François Hue, le valet de chambre du roi.

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On les introduisit tous les deux, et presque en même temps, par deux portes différentes; le premier introduit était M. de Valory.

Quelques secondes après, comme nous l'avons dit, une seconde porte s'ouvrit, et, avec un certain étonnement, M. de Valory vit entrer un autre lui-même.

Les deux officiers ne se connaissaient pas; cependant, présumant qu'ils étaient appelés tous deux pour une même cause, ils allèrent l'un à l'autre, et se saluèrent.

En ce moment, une troisième porte s'ouvrit, et le vicomte de Charny parut.

C'était le troisième courrier, aussi inconnu aux deux autres que les deux autres lui étaient inconnus à lui-même.

Isidore seul savait dans quel but ils étaient rassemblés, et quelle œuvre commune ils allaient accomplir.

Sans doute, il se disposait à répondre aux questions qui lui étaient adressées par ses deux

Les deux anciens gardes du corps s'inclinerent.

Sire, dit M. de Valory, Votre Majesté sait qu'elle n'a pas besoin de consulter ses gentilshommes pour disposer de leur dévouement, de leur courage et de leur vie.

Sire, dit à son tour M. de Malden, mon collègue, en répondant pour lui, a répondu pour moi, et, je le présume, pour notre troisième compagnon.

Votre troisième compagnon, messieurs, avec lequel je vous invite à faire connaissance, la connaissance étant bonne à faire, est M. le vicomte Isidore de Charny, dont le frère a été tué en défendant, à Versailles, la porte de la reine; nous sommes habitué aux dévouements des gens de sa famille, et ces dévouements nous sont maintenant chose si familière, que nous ne les en remercions même plus.

D'après ce que dit le roi, reprit M. de Valory, le vicomte de Charny sait, sans doute, le motif qui nous rassemble, tandis que nous l'ignorons, sire, et avons hâte de l'apprendre.

Messieurs, reprit le roi, vous n'ignorez pas que je suis prisonnier, prisonnier du commandant de la garde nationale, prisonnier du président de l'Assemblée, prisonnier du maire de Paris, prisonnier du peuple, prisonnier de tout le monde enfin. Eh bien ! messieurs, j'ai compté sur vous pour m'aider à secouer cette humiliation, et à reprendre ma liberté. Mon sort, celui de la reine, celui de mes enfants, est entre vos mains; tout est prêt pour que nous puissions fuir ce soir; chargez-vous seulement, vous, de nous sortir d'ici.

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elle-même.

Et elle soulignait les sept mots suivants :

caise, où M. le comte de Charny nous attendra | reine, avait reçu l'ordre de lui obéir comme à avec un remise; vous, vicomte, vous vous chargerez de la reine, et vous répondrez au nom de Melchior; vous, M. de Malden, vous vous chargerez de madame Elisabeth et de Madame Royale, et vous vous appellerez Jean; vous, M. de Valory, vous vous chargerez de madame de Tourzel et du Dauphin, et vous vous appellerez François. N'oubliez pas vos nouveaux noms, messieurs, et attendez ici d'autres instructions.

Le roi présenta tour à tour sa main aux trois jeunes gens, et sortit, laissant dans cette pièce trois hommes disposés à mourir pour lui.

Cependant, M. de Choiseul, qui avait déclaré au roi la veille, de la part de M. de Bouillé, qu'il était impossible d'attendre plus tard que le 20, à minuit, et qui avait annoncé que, le 21, à quatre heures du matin, il partirait s'il n'avait pas de nouvelles, et ramènerait avec lui tous les détachements à Dun, à Stenay et à Montmédy; M. de Choiseul, ainsi que nous l'avons dit, était chez lui, rue d'Artois, où devaient venir le chercher les derniers ordres de la cour, et, comme il était neuf heures du soir, il commençait à désespérer, lorsque le seul de ses gens qu'il eût gardé, et qui le croyait sur le point de partir pour Metz, vint le prévenir qu'un homme demandait à lui parler, de la part de la reine.

Il ordonna de faire monter.

Un homme entra avec un chapeau rond enfoncé sur ses yeux, et enveloppé dans une énorme houppelande.

- C'est vous, Léonard, dit-il, je vous attendais avec impatience.

-Si je vous ai fait attendre, M. le duc, ce n'est point ma faute, c'est celle de la reine, qui m'a prévenu, il y a dix minutes seulement, que j'eusse à venir chez vous.

- Elle ne vous a rien dit autre chose? -Si fait, M. le duc; elle m'a chargé de prendre tous ses diamants, et de vous apporter cette lettre.

- Donnez donc, fit le duc avec une légère impatience que ne put lui faire entièrement contenir l'immense crédit dont jouissait l'important personnage qui lui remettait la dépêche royale.

La lettre était longue, pleine de recommandations; elle annonçait que l'on partait à minuit ; elle invitait le duc de Choiseul à partir à l'instant même, et elle lui faisait de nouveau la prière d'emmener Léonard, lequel, ajoutait la

Je lui renouvelle encore ici cet ordre. Le duc leva les yeux sur Léonard, qui attendait avec une inquiétude visible; le coiffeur dans son immense houppelande. était grotesque sous son énorme chapeau et

Voyons, dit le duc, rappelez bien tous vos souvenirs; que vous a dit la reine?

Je vais répéter mot pour mot ses paroles à M. le duc.

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Continuez, Léonard, continuez.

La reine m'a donc dit à voix basse: Léonard, je puis compter sur vous ? Ah! madame, ai-je répondu, disposez de moi; Votre Majesté sait que je lui suis dévoué corps et ame. Prenez ces diamants et fourrez-les dans vos poches; prenez cette lettre, et portezla rue d'Artois, au duc de Choiseul, surtout ne la remettez qu'à lui; s'il n'est pas rentré, vous le trouverez chez la duchesse de Grammont. › Puis, comme je m'éloignais déjà pour obeir aux ordres de la reine, Sa Majesté me rappella :

Mettez un chapeau à grands bords et une large redingote, afin de ne pas être reconnu, mon cher Léonard, a-t-elle ajouté, et surtout obéissez à M. de Choiseul comme à moi-même. ▸ Alors, je suis monté chez moi, j'ai pris le chapeau et la redingote de mon frère, et me voilà. Ainsi, dit M. de Choiseul, la reine vous a bien recommandé de m'obéir comme à ellemême ?

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