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Il demeure à Sèvres, sire, juste en face de l'endroit, continua Favras, qui espérait, par ce coup d'éperon, donner un peu d'ardeur au che

prendre l'entretien au moment où le roi aurait la faiblesse de le laisser tomber.

Au reste, cette intervention de la reine et cette façon dont elle relevait la conversation en

taient au roi de tout entendre, sous le voile transparent de l'allégorie, même les offres que venait lui faire Favras sur sa propre fuite, à lui Louis XVI.

val fourbu, juste en face de l'endroit où la voi-la rattachant à la fuite du roi Stanislas, permetture de Vos Majestés était arrêtée, le 6 octobre, pendant le retour de Versailles, quand les égorgeurs conduits par Marat, Verrières et M. le duc d'Aiguillon, faisaient, dans le petit cabaret du pont de Sèvres, friser par le coiffeur de la reine les deux têtes coupées de Varicourt et de Deshuttes.

Le roi pâlit, et, si à ce moment il eût tourné les yeux vers l'alcôve, il eût vu le rideau mobile s'agiter plus nerveusement encore cette seconde fois que la première.

Favras, de son côté, comprit à l'instant même le moyen qui lui était offert de développer son plan, et, quoique aucun de ses ancêtres ni de ses parents n'eût concouru à la fuite du roi de Pologne, il se hâta de répondre en s'inclinant :

Votre Majesté veut sans doute parler de mon cousin, le général Steinflicht, qui doit l'il

Il était évident que cette conversation lui pe-lustration de son nom à cet immense service rensait, et qu'il eût voulu pour beaucoup ne pas l'avoir engagée.

Aussi résolut-il de la terminer au plus tôt.

- C'est bien, monsieur, dit-il, je vois que vous êtes un fidèle serviteur de la royauté, et je vous promets de ne pas l'oublier dans l'occasion.

Et il fit ce geste de la tête qui, chez les princes, signifie Il y a assez longtemps que je vous fais l'honneur de vous écouter et de vous répondre; vous êtes autorisé à prendre congé. Favras comprit parfaitement.

Pardon, sire, dit-il, mais je croyais que Votre Majesté avait encore autre chose à me demander?

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-

Vous vous trompez, monsieur, dit une voix qui fit retourner le roi et le marquis du côté de l'alcôve. Vous désiriez savoir comment l'aïeul de M. le marquis de Favras s'y était pris pour faire sauver le roi Stanislas de Dantzig, et le conduire sain et sauf jusqu'à la frontière prussienne.

Tous deux jetèrent un cri de surprise : cette troisième personne, qui apparaissait tout à coup se mêlant à la conversation, c'était la reine; la reine, pâle et les lèvres crispées et tremblantes; la reine, qui ne se contentait pas des quelques renseignements fournis par Favras, et qui, se doutant que le roi, abandonné à lui-même, n'oserait aller jusqu'au bout, était venue, par l'escalier dérobé et par le corridor secret, pour re

du à son roi; service qui a eu cette heureuse influence sur le sort de Stanislas de l'arracher d'abord aux mains de ses ennemis, et ensuite, par un concours providentiel de circonstances, de faire de lui l'aïeul de Votre Majesté ?

C'est cela! c'est cela! monsieur, dit vivement la reine, tandis que Louis XVI regardait, en poussant un soupir, le portrait de Charles Stuart.

Eh bien, dit Favras, Votre Majesté sait... pardon, sire, Vos Majestés savent que le roi Stanislas, libre dans Dantzig, mais cerné de tous côtés par l'armée moscovite, était à peu près perdu, s'il ne sè décidait à une prompte

fuite.

Oh! tout à fait perdu, interrompit la reine, vous pouvez dire tout à fait perdu, M. de Fa

vras !

Madame, dit Louis XVI avec une certaine sévérité, la Providence, qui veille sur les rois, fait qu'ils ne sont jamais tout à fait perdus. Eh! monsieur, dit la reine, je crois être tout aussi religieuse et tout aussi croyante que vous dans la Providence, mais cependant mon avis est qu'il faut l'aider un peu.

C'était aussi l'avis du roi de Pologne, sire, ajouta Favras, car il déclara positivement à ses amis que, ne regardant plus la position comme tenable et croyant sa vie en danger, il désirait qu'on lui soumît plusieurs projets de fuite. Mal-: gré la difficulté, trois projets lui furent présentés; je dis malgré la difficulté, sire, parce que Votre Majesté remarquera qu'il était bien autrement difficile au roi Stanislas de sortir de Dantzig qu'il ne le serait à vous, par exemple, si la fantaisie en prenait à Votre Majesté, de sor

Et ces moyens étaient ?...

Le premier, sire, était de se déguiser en paysan; la comtesse Chapska, Palatine de Poméranie, qui parlait l'allemand comme sa langue maternelle, lui offrait se fiant à un homme qu'elle avait éprouvé et qui connaissait parfaite

tir de Paris... Avec une voiture de poste-si Votre Majesté voulait partir, sans bruit et sans esclandre avec une voiture de poste Votre Majesté pourrait, en un jour et une nuit, gagner la frontière; ou bien, si elle voulait quitter Paris en roi, donner ordre à un gentilhomme qu'elle honorerait de sa confiance de réunir trente millement le pays-de se déguiser en paysanne et de hommes et de la venir prendre au palais même des Tuileries... Dans l'un ou l'autre cas, la réussite serait sûre, l'entreprise certaine...

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le faire passer pour son mari. C'était le moyen dont je parlais tout à l'heure au roi de France en lui disant quelle facilité il y aurait pour lui, dans le cas où il voudrait fuir incognito et nuitamment...

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Le roi Stanislas ne risquait que la prison, puis le premier jusqu'au dernier, sans parvenir à la mort peut-être, tandis que nous...

Un regard du roi l'arrêta.

faire une trouée, mais seulement avec deux ou trois hommes sûrs qui passent toujours partout. Ce troisième moyen était proposé par M. Monti, l'ambassadeur de France, et appuyé par mon

Au reste, continua la reine, vous êtes le maître, sire; c'est donc à vous de décider. Et elle alla, impatiente, s'asseoir en face du parent le général Steinflicht. portrait de Charles Ier.

- M. de Favras, dit-elle, je viens de causer avec la marquise et avec votre fils aîné. Je les ai trouvés tous deux pleins de courage et de résolution, comme il convient à la femme et au fils d'un brave gentilhomme; quelque chose qu'il arrive en supposant qu'il arrive quelque choseils peuvent compter sur la reine de France; la reine de France ne les abandonnera pas : elle est fille de Marie-Thérèse, et sait apprécier et récompenser le courage.

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- Ce fut celui qui fut adopté?

Oui, sire; et si un roi, se trouvant ou croyant se trouver dans la situation du roi de Pologne, s'arrêtait à ce parti et daignait m'accorder, à moi, la même confiance que votre auguste aïeul accordait au général Steinflicht, je croirais pouvoir répondre de lui sur ma tête, surtout si les chemins étaient aussi libres que le sont les chemins de France, et si ce roi était aussi bon cavalier que l'est Votre Majesté.

Certes! dit la reine. Mais, dans la nuit du

Le roi reprit, comme stimulé par cette bou- 5 au 6 octobre, le roi m'a juré, monsieur, de ne tade de la reine :

- Vous dites, monsieur, que trois moyens d'évasion avaient été proposés au roi Stanislas ?

- Oui, sire.

jamais partir sans moi, et même de ne jamais faire un projet de départ où je ne fusse de moitié. La parole du roi est engagée, monsieur, et le roi n'y manquera pas.

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plus difficile, mais ne le rend pas impossible, et, | si j'avais l'honneur de conduire une pareille expédition, je répondrais de porter la reine, le roi et la famille royale sains et saufs à Montmédy ou à Bruxelles, comme le général Steinflicht a rendu le roi Stanislas sain et sauf à Marienwerder.

- Vous entendez, sire! s'écria la reine, je crois, moi, qu'il y a tout à faire et rien à craindre avec un homme comme M. de Favras.

--

— Oui, madame, répondit le roi, c'est aussi mon avis; seulement, le moment n'est pas encore arrivé.

C'est bien, monsieur, dit la reine, attendez comme a fait celui dont le portrait nous regarde, et dont la vue-je l'avais cru du moins-vous devait donner un meilleur conseil... attendez que vous soyez forcé d'en venir à une bataille; attendez que cette bataille soit perdue; attendez que vous soyez prisonnier; attendez que l'échafaud se dresse sous votre fenêtre, et, alors, vous qui dites aujourd'hui : « Il est trop tôt ! vous serez bien forcé de dire: «Il est trop tard !... » En tout cas, sire, à quelque heure que ce soit, et à son premier mot, le roi me trouvera prêt, dit Favras en s'inclinant; car il craignait que sa présence, qui avait amené cette espèce de conflit entre la reine et Louis XVI, ne fatiguât ce dernier. Je n'ai que mon existence à offrir à mon souverain, et je ne dirai pas que je la lui offre, je dirai que de tout temps il a eu et aura le droit d'en disposer, cette existence étant à lui.

C'est bien, monsieur, dit le roi, et, le cas échéant, je vous renouvelle à l'endroit de la marquise et de vos enfants la promesse que vous a faite la reine.

Cette fois, c'était un vrai congé ; le marquis fut obligé de le prendre, et, quelque envie qu'il eût peut-être d'insister, ne trouvant d'autre encouragement que le regard de la reine, il se retira à reculons.

La reine le suivit des yeux jusqu'à ce que la tapisserie fût retombée devant lui.

-

Ah! monsieur, dit-elle en étendant la main

vers la toile de Van Dyck, quand j'ai fait pendre ce tableau dans votre chambre, j'avais cru qu'il vous inspirerait mieux.

Favras n'est point la première personne que vous ayez reçue ce matin.

Non, madame, vous avez raison; avant le marquis de Favras, j'ai reçu le docteur Gilbert. La reine tressaillit.

Ah! dit-elle, je m'en doutais! Et le docteur Gilbert, à ce qu'il paraît...

Est de mon avis, madame, que nous ne devons pas quitter la France.

Mais, n'étant point d'avis que nous devons la quitter, monsieur, sans doute donne-t-il un conseil qui nous en rend le séjour possible? malheureuOui, madame, il en donne un ; sement, je le trouve, sinon mauvais, du moins impraticable.

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Enfin, quel est ce conseil ?

Il veut que nous achetions Mirabeau pour

- Et à quel prix ? demanda la reine.

Avec six millions... et un sourire de vous. La physionomie de la reine prit un caractère profondément pensif.

Au fait, dit-elle; peut-être serait-ce un moyen...

Oui, mais un moyen auquel vous vous refuseriez, pour votre part, n'est-ce pas, madame?

- Je ne réponds ni oui ni non, sire, fit la reine avec cette expression sinistre que prend l'ange du mal sûr de son triomphe; c'est à y songer... Puis, plus bas en se retirant : -Et j'y songerai ! ajouta-t-elle.

XXI.

OU LE ROI S'OCCUPE D'AFFAIRES DE FAMILLE

Le roi, resté seul, demeura debout et immobile un instant; puis, comme s'il eût craint que la retraite de la reine ne fût que simulée, il alla à la porte par où elle était sortie, l'ouvrit, et plongea son regard dans les antichambres et les corridors.

N'apercevant que les gens de service :

François ! fit-il à demi-voix.

Un valet de chambre, qui s'était levé quand la porte de l'appartement royal s'était ouverte, et qui se tenait debout attendant les ordres, s'approcha aussitôt, et, le roi étant rentré dans sa

Et, hautaine et comme dédaignant de pour-chambre, y entra derrière lui. suivre la conversation, elle s'avança vers la porte de l'alcôve; puis, s'arrêtant tout à coup :

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Sire, avouez, dit-elle, que le marquis de

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Allez me quérir M. de Charny; je désire lui parler.

Le valet de chambre sortit, tirant la porte derrière lui, et monta à la mansarde de M. de Charny, qu'il trouva appuyé à la barre de sa fenêtre, les yeux fixés sur cet océan de toits qui se perd à l'horizon en flots de tuiles et d'ardoises.

Deux fois le valet frappa sans que M. de Charny, plongé dans ses réflexions, l'entendît; ce qui le détermina, la clef étant sur la porte, à entrer de lui-même, fort qu'il était de l'ordre du roi.

Au bruit qu'il fit en entrant, le comte se retourna.

- Ah! c'est vous, M. Hue, dit-il ; vous venez me chercher de la part de la reine?

- Non, M. le comte, répondit le valet de chambre, c'est de la part du roi.

- De la part du roi ! reprit M. de Charny avec un certain étonnement.

---

bre.

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- De la part du roi, insista le valet de cham

- C'est bien, M. Hue; ditès à Sa Majesté que je suis à ses ordres.

Le valet de chambre se retira avec la roideur commandée par l'étiquette, tandis que M. de Charny, avec cette courtoisie qu'avait l'ancienne et vraie noblesse pour tout homme venant de la part du roi, portât-il au cou la chaîne d'argent, ou fût-il couvert de la livrée, le reconduisait jusqu'à la porte.

Quand il fut seul, M. de Charny resta un moment la tête serrée entre ses deux mains, comme pour forcer ses idées confuses et agitées à reprendre leur place; puis, l'ordre rétabli dans son cerveau, il ceignit son épée, jetée sur un fauteuil, prit son chapeau sous son bras et descendit.

Il trouva dans sa chambre à coucher Louis

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C'est vrai, sire.

Pourquoi cela, comte?

Mais, sire... parce que, seul, et n'ayant d'autre importance que celle que la faveur de Leurs Majestés veut bien me donner, je n'ai pas jugé utile de priver M. le gouverneur du palais d'un appartement, lorsqu'une simple mansarde était tout ce qu'il me fallait.

- Pardon, mon cher comte, vous répondez à votre point de vue, et comme si vous étiez toujours simple officier et garçon; mais vous avez et au jour du danger vous ne l'oubliez pas, Dieu merci une charge importante près de nous; en outre, vous êtes marié : que ferez-vous de la comtesse dans votre mansarde ?

Sire, répondit Charny avec un accent de mélancolie qui n'échappa point au roi, si peu accessible qu'il fût à ce sentiment, je ne crois pas que madame de Charny me fasse l'honneur de partager mon appartement, soit-il grand, soit-il petit.

Mais enfin, M. le comte, madame de Charny, sans avoir de charge près de la reine, est son amie; la reine, vous le savez, ne peut se passer de madame de Charny quoique, depuis quel-` que temps, j'aie cru remarquer qu'il existait entre elles un certain refroidissement. Quand

madame de Charny viendra au palais, où logera-t-elle ?

- Sire, je ne pense pas que, sans un ordre exprès de Votre Majesté, madame de Charny revienne jamais au palais.

- Ah! bah? Charny s'inclina.

- Impossible! dit le roi.

- Que Sa Majesté me pardonne, dit Charny, mais je crois être sûr de ce que j'avance.

-Eh bien, cela m'étonne moins que vous ne pourriez le supposer, mon cher comte; je viens de vous dire, il me semble, que je m'étais aperçu d'un refroidissement entre la reine et son amie... - En effet, Sa Majesté a bien voulu le remarquer.

· Bouderie de femmes ! nous tâcherons de raccommoder tout cela. Mais, en attendant, il paraît que, bien sans le savoir, je me conduis d'une façon tyrannique envers vous, mon cher comte !

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-Tant mieux; cela m'explique que vous n'ayez qu'un pied-à-terre aux Tuileries.

-La chambre que j'ai aux Tuileries, sire, répondit Charny avec ce même accent mélancolique que le roi avait déjà pu remarquer dans sa voix, n'est point un simple pied-à-terre; tout au contraire, c'est un logement fixe où l'on me trouvera à quelque heure du jour ou de la nuit que Sa Majesté me fasse l'honneur de m'envoyer chercher.

Oh! oh! dit en se renversant dans son fauteuil le roi, dont le déjeuner tirait à sa fin; que veut dire cela, M. le comte?

- Le roi m'excusera, mais je ne comprends pas très-bien l'interrogation qu'il me fait l'honneur de m'adresser.

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térieur de mon palais que de l'extérieur de mon royaume?... Que veut dire cela, mon cher comte? après trois ans de mariage à peine, M. le comte de Charny a un logement fixe aux Tuileries, et madame la comtesse de Charny un logement fixe rue Coq-Héron !

Sire, je ne saurais répondre à Votre Majesté autre chose que ceci : ‹ Madame de Charny désire habiter seule. >

Mais enfin, vous l'allez voir tous les jours? Non... deux fois par semaine?...

Sire, je n'ai pas eu le plaisir de voir madame de Charny depuis le jour où le roi m'a ordonné d'aller prendre de ses nouvelles.

- Eh bien!... mais il y a plus de huit jours de cela! - Il y en dix, sire, répondit Charny d'une voix légèrement émue.

Le roi comprenait mieux la douleur que la mélancolie, et il saisit, dans l'accent du comte, cette nuance d'émotion qu'il avait laissé échapper.

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Mademoiselle de Taverney ou madame la comtesse de Charny, c'est tout un, je présume. Oui et non, sire.

- Eh bien, j'ai dit que madame de Charny vous aimait, et je ne m'en dédis pas.

Sire, vous savez qu'il n'est point permis de démentir un roi.

Oh! démentez tant que vous voudrez, je m'y connais.

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