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furent républicains dans 39 départements sur 45. Paris, encore sous le coup de la répression, élut, sur 21 députés, 16 candidats de l'Union de la presse, partisans de Thiers. Il devenait évident que l'Assemblée ne représentait pas l'opinion du pays. Mais la durée de son mandat n'ayant pas été limitée, il n'existait aucun procédé légal pour l'obliger à se démettre du pouvoir. Elle le conserva près de cinq ans, et se chargea de donner à la France une constitution.

Sur la proposition des partisans de Thiers fut votée (par 491 voix contre 94) la loi du 31 août 1871 (loi Rivet-Vitet). L'Assemblée déclarant qu'elle avait « le droit d'user du pouvoir constituant, attribut essentiel de la souveraineté dont elle est investie », décidait que « le chef du pouvoir exécutif prendrait le titre de Président de la République française », avec le droit de nommer et révoquer les ministres; comme dans les monarchies constitutionnelles, chacun de ses actes devait être contresigné par un ministre. Mais la loi déclarait « responsables devant l'Assembléc » à la fois le conseil des ministres, les ministres et le Président de la République. La loi du 8 septembre fixa à Versailles la résidence de l'Assemblée et des ministres. C'était une constitution provisoire, la constitution définitive devait se faire attendre quatre ans encore.

Les partis se constituèrent en groupes, formés des députés d'une même opinion qui décidaient entre eux la conduite à tenir en séance. Il y eut une Extréme gauche républicaine, une Gauche républicaine, un Centre gauche formé de républicains et d'orléanistes ralliés à la République sous la direction de Thiers, un Centre droit orléaniste libéral, une Droite, une Extrême droite légitimiste; sans compter de petits groupes flottants entre le Centre droit et le Centre gauche. Plus tard les impérialistes, renforcés par les élections complémentaires jusqu'à une trentaine de membres, se constituèrent en groupe de l'Appel au peuple. Il n'y eut jamais de majorité ferme dans l'Assemblée nationale, la majorité ne se fit jamais que par des coalitions de groupes, toujours précaires. Or, l'Assemblée appliqua toujours strictement la règle parlementaire, le ministère se retirant dès qu'il était mis en minorité. La direction de

la politique dépendit donc toujours du groupement des fractions nécessaires pour former une majorité.

Thiers, par son ascendant personnel sur les conservateurs libéraux, parvint à maintenir pendant deux ans des ministères mixtes appuyés sur les deux Centres et acceptés par la Gauche. C'est dans cette période d'accord que Thiers et l'Assemblée, remettant à plus tard la Constitution, réorganisèrent le crédit et les institutions de la France.

L'évacuation des départements occupés par les Allemands était subordonnée au paiement de l'indemnité de guerre de 5 milliards. Un emprunt de 2 milliards émis en juin 1871 fut couvert deux fois et demie, et l'évacuation commença. La convention d'octobre 1871 réduisit l'armée d'occupation à 50 000 hommes. - Un second emprunt, de 3 milliards, fut émis en juillet 1872 et couvert douze fois. Cette manifestation financière produisit l'effet moral cherché par le gouvernement en montrant la puissance du crédit de la France. La « libération du territoire » fut achevée en 1873. Le cours forcé des billets de banque avait permis d'attendre le retour du numéraire; on put l'abolir.

Pour couvrir les dépenses de la guerre et de l'indemnité des 5 milliards, la France avait contracté une dette dont il fallait servir les intérêts en créant des impôts nouveaux. L'Assemblée refusa toute réforme fiscale d'ensemble, elle rejeta l'impôt sur le revenu proposé par les républicains. Elle maintint le système, traditionnel en France, qui consiste à tirer le principal revenu de l'impôt indirect que le contribuable paie par petites sommes sans le distinguer du prix d'achat. Elle créa environ 800 millions d'impôts nouveaux sur les transports, les quittances, les papiers, les allumettes, les cercles. Thiers la força même, en donnant sa démission (qu'il retira sur la prière de l'Assemblée), à voter un impôt sur les matières premières. On arriva ainsi à dresser un budget en équilibre.

Dans l'administration locale l'Assemblée introduisit le régime réclamé sous l'Empire par l'opposition libérale, la décentralisation. La loi municipale d'avril 1871 avait donné aux conseils municipaux élus pour trois ans au suffrage universel le pouvoir d'élire eux-mêmes leur maire, excepté dans les chefs-lieux

d'arrondissement. Par la loi organique de 1871, le conseil général de département devint une assemblée à séance publique tenant deux sessions par an, élisant une commission départementale chargée de surveiller l'exécution de ses décisions dans l'intervalle entre les sessions,

La réorganisation militaire commença (août 1871) par l'abolition des gardes nationales, vieille institution de 1789 devenue suspecte depuis la Commune. Puis l'armée fut organisée sur le modèle prussien. La loi de 1872 établit le service obligatoire pour tous sans remplacement, mais en conservant la dispense totale pour les membres de l'enseignement et du clergé et pour les fils de veuves. Le service fut divisé, comme en Prusse, en quatre périodes: 1o dans l'armée active de 20 à 25 ans ; 2o dans la réserve de l'armée active de 25 à 29 ans; 3° dans l'armée territoriale de 29 à 34 ans; 4° dans la réserve de l'armée territoriale de 34 à 40 ans. L'Assemblée aurait voulu le service de trois ans dans l'armée active comme en Prusse; mais Thiers, resté partisan du service de sept ans, la décida à accepter un compromis, le service de cinq ans. Comme on ne pouvait maintenir à la fois cinq classes complètes sous les armes, on divisa le contingent de chaque classe en deux portions, l'une obligée à cinq ans de service, l'autre à six mois seulement, et on revint au tirage au sort pour répartir les conscrits entre les deux portions du contingent. - Pour les jeunes gens de la bourgeoisie on introduisit l'institution prussienne des volontaires d'un an; les jeunes gens bacheliers, ou pourvus d'un certificat après un examen spécial, avaient le droit de devancer l'appel et de ne faire qu'un an comme « engagés conditionnels ». Mais, au lieu de les laisser s'équiper à leurs frais comme en Prusse, la loi fixa une somme de 1500 francs qu'ils devaient verser.

-

L'opposition et les manifestations. Le gouvernement de Thiers avait deux sortes d'adversaires : les partisans de la monarchie qui ne voulaient pas laisser se consolider la République; les républicains de l'Extrême gauche mécontents de voir le pays gouverné par d'anciens orléanistes.

Pour satisfaire le Centre droit, l'Assemblée avait voté le rappel des princes d'Orléans (juin 1871), puis leur avait rendu en 1872

les domaines confisqués en 1852. Mais le gouvernement avait mécontenté tous les groupes de droite en repoussant la pétition des catholiques qui demandaient d'intervenir pour rétablir le pouvoir temporel du Pape (juillet 1871). Dès le printemps de 1872, une fraction du Centre gauche avait passé au Centre droit et les attaques contre Thiers devenaient vives elles furent interrompues par les vacances de l'Assemblée (avrilnovembre).

Du côté gauche, l'opposition ne pouvait se produire par le moyen habituel de la presse et des réunions : l'état de siège était maintenu dans les grandes villes (il dura à Paris jusqu'en 1876), ce qui mettait les journaux à la discrétion du gouvernement. Gambetta, en se retirant en Espagne pendant la Commune, avait évité de se compromettre; ce fut lui qui organisa l'opposition républicaine. Il prit la direction du groupe d'Extrême gauche à l'Assemblée, fonda un journal, la République française, en 1871, et en 1872 commença une campagne de discours dans les villes républicaines. A Toulon (janvier), il demanda « la dissolution de cette Assemblée », qui, née d'une surprise, « ne tient compte ni des avertissements ni des manifestations de la souveraineté du peuple ». A Angers et au Mans (avril), il dénonça les attaques contre la société laïque et demanda la dissolution de l'Assemblée pour fonder « la République républicaine ». A Grenoble (septembre), il déclara qu'« une couche sociale nouvelle » faisait son entrée dans la politique et voulait faire l'expérience de la République, et il annonça la dissolution, prête « comme le fossoyeur à jeter une dernière pelletée de terre sur le cadavre de l'Assemblée de Versailles ».

Le gouvernement, dès la rentrée (nov. 1872), essaya de calmer la colère de la majorité par un ordre du jour contre le discours de Gambetta. Thiers déclara: « La République sera conservatrice ou elle ne sera pas» (13 novembre), et condamna la campagne pour la dissolution comme une « politique de fou furieux. Mais la majorité voulait des mesures de répression contre l'agitation « radicale ». « radicale ». Batbie, du Centre droit, réclamait un gouvernement de combat ». Thiers obtint que l'Assemblée élût une commission pour préparer un projet de constitution:

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mais la « Commission des Trente» fut composée en majorité de membres des Droites adversaires de la République.

«

Elle rejeta le projet de Thiers par lequel l'Assemblée devait s'engager à régler « dans un bref délai» l'organisation définitive du pays; elle fit voter (13 nov. 1872) une résolution contre << l'intervention personnelle du chef du pouvoir exécutif dans les débats ». Pour empêcher Thiers d'agir sur l'Assemblée par sa parole, il fut décidé que désormais le Président de la République ne communiquerait plus que par un message écrit, après lequel la séance serait levée. Thiers protesta contre ces «< chinoiseries », mais se soumit.

La rupture entre la majorité et Thiers se manifesta à propos d'un incident de séance; Grévy, président de la Chambre, blâmé par la majorité, donna sa démission et fut remplacé par Buffet, orléaniste du Centre droit (par 305 voix contre 285). La crise, retardée par les vacances de Pâques, devint aiguë quand un candidat radical soutenu par l'Extrême gauche fut élu député à Paris (27 avril 1873) contre Rémusat, candidat de Thiers et de la Gauche; les monarchistes déclarèrent que le gouvernement de Thiers était incapable d'arrêter les progrès du radicalisme.

Le 24 mai. A la rentrée des vacances de Pâques, un des chefs du Centre droit, le duc de Broglie, au nom de 320 députés, interpellait le ministère « sur la nécessité de faire prévaloir dans le gouvernement une politique résolument conservatrice ». La discussion dura deux jours. Le deuxième jour (24 mai), Thiers parla pour défendre sa politique; l'ordre du jour pur et simple, accepté par le ministère, fut repoussé dans l'après-midi par 362 voix contre 348; le petit groupe Target (d'une quinzaine de membres), en se tournant contre le ministère l'avait mis en minorité. Puis l'Assemblée, par 360 voix contre 345, vota l'ordre du jour de la Droite: «Considérant que la forme du gouvernement n'est pas en discussion, que l'Assemblée est saisie des lois constitutionnelles... mais que dès aujourd'hui il importe de rassurer le pays, en faisant prévaloir dans le gouvernement une politique résolument conservatrice, regrette que les récentes modifications ministérielles n'aient pas donné aux intérêts conservateurs la satisfaction qu'elle avait le droit d'attendre ».

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