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usages britanniques qui n'apparaissent pas pour la première fois en Australie. Mais on voit, chose inouïe, la Chambre lever sa séance le jour de la fète du travail et les ministres assister aux banquets des syndicats dès lors, le 1er mai est, chaque année, célébré comme une fête nationale. Le moment est venu où les hommes politiques ont besoin des ouvriers et où ceux-ci commencent à trouver les lois préférables aux contrats particuliers. Cette évolution n'est pas bornée à l'Australasie; c'est par elle que passent à l'heure présente les trade-unions anglaises, jadis indifférentes ou hostiles à l'intervention de l'État. En Australie comme en Angleterre, ce sont les crises industrielles qui ont poussé les ouvriers à réclamer l'appui du gouvernement. La propagande des petits groupes socialistes a donné la conscience à cette tendance d'abord instinctive. L'arrêt des affaires en Australie de 1892 à 1894 a beaucoup contribué à faire entrer des députés ouvriers (labour members) dans les Chambres, et par suite à donner une grande place aux questions sociales dans les débats parlementaires. La force des syndicats australiens s'était révélée déjà. Les syndicats australiens firent alors des réunions et des collectes et réunirent 50 000 livres sterling qu'ils envoyèrent à Londres. Le mouvement de solidarité continua. L'année suivante, une grève des constructions navales ayant éclaté en Australie, elle fut subventionnée par les autres métiers australiens et par les syndicats anglais. Les partis ouvriers commencèrent en 1890 à prendre une importance politique qui, depuis, est allée croissant. En NouvelleGalles, sir Henry Parkes avait accordé au parti ouvrier une modification de la loi Maitre et Serviteur, pour permettre à l'ouvrier de traiter sur un pied d'égalité avec le patron, mais à la veille des élections de 1894 il ne voulut pas promettre la journée de huit heures et le repos du dimanche avec salaire. Le parti ouvrier passa du côté de son adversaire Dibbs, mais, aujourd'hui il est revenu à M. Reid, le successeur plus démocrate de Parkes. Dans presque toutes les colonies, des projets de loi réduisant la journée de travail à huit heures ont été présentés plusieurs fois. Sur d'autres points les gouvernements ont assuré aux ouvriers des avantages plus grands que partout

ailleurs. C'est ainsi que Victoria a établi des conseils mi-partis de patrons et d'ouvriers pour fixer les salaires en chambre comme en fabrique. La Nouvelle-Zélande a rendu la conciliation obligatoire (tandis qu'elle est facultative dans tous les autres pays qui l'ont établie) pour les conflits entre patrons et ouvriers : la partie qui ne se soumet pas aux décisions du tribunal nommé sous le contrôle de l'État est poursuivie en justice et punie d'une amende (1894-95).

Un tel régime suppose que les ouvriers sont groupés et traitent collectivement sous la responsabilité d'un bureau choisi par eux; c'est en quelque sorte le syndicat rendu obligatoire par la loi. Toute la nouvelle législation ouvrière présente en Nouvelle-Zélande le même caractère radical. Ainsi l'Acte pour protéger les enfants mineurs employés dans le commerce (18921894) va beaucoup plus loin que notre législation ou celle des Anglais; il s'applique à tous les magasins, ateliers, boutiques, etc., à partir de deux employés, interdit l'emploi des mineurs avant quatorze ou seize ans suivant le degré d'instruction primaire, fixe la durée maxima de leur travail à huit heures ou neuf heures et demie par jour selon les cas, repas compris, et sans travail de nuit; leur assure le repos du dimanche et, en outre, d'une demi-journée par semaine avant l'âge de dixhuit ans. Les lois sociales australasiennes forment, depuis quelques années, un des chapitres les plus importants des recueils spéciaux. Nous n'avons pu en citer ici que quelquesunes, à titre d'exemple.

L'État et la propriété foncière. La « libre sélection >> est toujours en vigueur; mais l'étendue des bonnes terres vacantes a diminué; les recettes provenant de la vente des lots ont beaucoup baissé; en Nouvelle-Galles, elles représentaient, vers 1877, le quart du revenu total; aujourd'hui elles n'en représentent plus même le huitième. Seuls le Queensland et l'Australie occidentale, étendus et peu peuplés, ont encore beaucoup de terres utilisables à concéder. La situation est gênante pour des budgets en déficit et pour des pays qui cherchent le moyen d'augmenter la densité de leur population. Afin d'y remédier, on a adopté un grand nombre de lois dont les

détails sont très compliqués et dont les dispositions principales peuvent se résumer comme il suit :

1° On a conservé la libre sélection, en diminuant l'étendue des lots et en augmentant les obligations imposées aux concessionnaires, savoir construire une maison, cultiver une partie du sol, élever des clôtures, résider dans sa concession, etc. Ces concessions ne peuvent en aucun cas dépasser une étendue maximum qui est fixée assez largement (de 200 à 800 hectares. environ, suivant la fertilité du sol). La Tasmanie, la NouvelleZélande, pour attirer les émigrants, ont fini par donner des concessions gratuites, moins étendues que les autres (5 à 20 hectares). Mais la règle reste la vente des terres publiques en lots relativement petits. Ces dispositions ne sont que la suite de celles de l'époque précédente et ont pour but de créer une classe de moyens et de petits propriétaires.

2° Une nouvelle méthode a été inaugurée par la NouvelleZélande. Cette colonie, tout en continuant de vendre des terres, s'est mise à faire des concessions de neuf cent quatre-vingt-dixneuf ans moyennant une rente annuelle équivalant à 4 pour 100 de la valeur du sol (1892). Ainsi l'État ne perd pas à tout jamais la propriété des terres, et il s'assure un revenu moins. élevé, mais plus régulier.

3° La Nouvelle-Zélande encore a imaginé d'appliquer l'expropriation pour cause d'utilité publique aux propriétés trop grandes (1894). Une Cour spéciale en fixe la valeur; le gouvernement les rachète et les vend ou les loue en morceaux plus petits. Dans le même esprit, l'État néo-zélandais s'est fait donner le droit d'intervenir pour imposer aux grands propriétaires des conditions raisonnables pour leurs fermiers, et de leur reprendre, contre indemnité, leurs propriétés s'ils ne veulent faire aucune diminution (1895). La Nouvelle-Galles a imité le système de concession à longue échéance et l'expropriation forcée des grands propriétaires.

Ces mesures tendent toujours, comme les anciennes, à rendre les propriétés plus petites pour accroître le nombre des propriétaires, mais elles ont un caractère original et révolutionnaire. Elles ne s'attaquent plus seulement au squatter, locataire de

territoires étendus, comme la libre sélection, mais elles sont dirigées contre la grande propriété que la législation précédente n'avait pas osé attaquer. En outre, par l'emploi de la concession de neuf cent quatre-vingt-dix-neuf ans, elles tendent à habituer une partie des nouveaux concessionnaires à se considérer simplement comme les locataires de l'État. Il faut y voir sans doute l'influence des théories de Henry George, le propagandiste américain de la nationalisation du sol, dont les écrits ont eu en Australasie autant de succès qu'en Angleterre. Les «< georgistes >> anglais ou américains louent beaucoup la nouvelle législation foncière néo-zélandaise et en recommandent l'introduction dans leurs pays comme un acheminement à la nationalisation définitive. L'État devrait, d'après eux, avoir le monopole de la propriété et concéder à chaque individu la possession de l'étendue nécessaire à son existence et à celle des siens, à condition qu'il la travaille lui-même. Si c'est là le but de l'État néo-zélandais, il y marche par une série de mesures légales à très longue échéance. On a cru trouver des tentatives plus révolutionnaires, des essais de communisme dans certains types de colonies agricoles créés par la Nouvelle-Zélande, la Victoria, l'Australie du Sud et plus tard par le Queensland. Dans les plus originales de ces installations, la terre était concédée à une association de cultivateurs qui devaient la cultiver en commun, se partager les fruits de leur travail après avoir prélevé sur eux une rente pour le gouvernement et le prix des premières avances faites par lui. Ces colonies comprenaient de 20 à 300 personnes. Celles de l'Australie du Sud ont complètement échoué et se sont presque toutes dispersées. Il ne s'agissait là que d'un expédient pour transformer en paysans les sans-travail qu'on ne pouvait plus employer dans les villes.

Les fonctions de l'État en Australasie. —- Les colonies australasiennes ont créé plus de services publics que les pays européens. Elles n'ont rejeté qu'une seule des charges de ces derniers, le budget des cultes. Les Églises et les États sont séparés partout, sauf en Tasmanie. Il faut ajouter que le budget de la guerre est, relativement à ceux de l'Europe, presque insignifiant en Australasie. Mais aucun autre pays ne

dépense autant pour l'instruction, pour les travaux d'utilité publique, ne prend autant d'initiatives que les principales colonies australasiennes.

Partout, sauf en Tasmanie, on a abandonné le système anglais d'avant 1870 qui consistait à laisser l'enseignement à l'initiative privée en le secondant par des subventions : les colonies australiennes ont un ministère de l'Instruction primaire, des écoles nationales obligatoires pour les enfants de six à quatorze ans, laïques et gratuites, tout au moins pour les pauvres. L'enseignement confessionnel est libre, mais n'est pas subventionné. Les colonies australasiennes dépensent un dixième de leurs revenus pour l'instruction publique. Victoria a consacré à ce service un tiers des siens dans les premières années. En France, la part de l'instruction publique est à peine un seizième du budget.

L'alcoolisme a été combattu dans toutes les colonies. Des mesures ont été prises pour ne pas augmenter le nombre des débits d'alcool et pour les fermer de bonne heure en semaine et toute la journée le dimanche. Les défenseurs de la tempérance en Nouvelle-Zélande sont constitués en parti politique. Ils réclament, comme en Angleterre, le droit pour les administrations locales de réglementer et même d'interdire le débit de l'alcool.

Nulle part l'intervention de l'État n'a été aussi importante que dans l'exécution des travaux publics; la plupart des chemins de fer ont été achetés ou construits par les États. Victoria possède tout son réseau ferré; dans les autres colonies les lignes appartenant à des particuliers représentent une faible longueur par rapport aux lignes nationales. Les routes, les ports, jusqu'à des usines à congeler la viande ont été construits aux frais des États; les entreprises de ce genre sont devenues considérables pendant la crise de 1893, alors que beaucoup d'ouvriers étaient sans travail; mais ce ne sont pas de simples expédients comme les colonies agricoles. Les États australiens ont voulu, presque en chaque matière, faire mieux que l'initiative privée, devenir soit des patrons modèles, soit des entrepreneurs et des fournisseurs modèles. Pour faire connaître la multiplicité de leurs fonctions, il suffira d'énumérer celles du

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