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Thiers avait le droit de garder le pouvoir exécutif et de changer de ministère en attendant la dislocation inévitable d'une majorité hétérogène si faible; il préféra donner sa démission et abandonner le pouvoir aux ennemis de la République. L'Assem. blée tint une troisième séance le soir, accepta la démission de Thiers, par 365 voix contre 331, et élut président de la République le maréchal de Mac-Mahon, candidat des Droites, par 390 voix; les Gauches s'abstinrent (24 mai 1873). Le duc de Broglie, l'organisateur de la coalition, devenu chef du gouvernement, forma un ministère de coalition où le Centre droit dominait.

Tentative de restauration légitimiste. - Mac-Mahon, en prenant le pouvoir, annonça que rien ne serait changé aux lois et aux institutions existantes, et le ministère déclara qu'il << ne sortirait pas de la légalité la plus stricte ». Mais il expulsa une partie des fonctionnaires républicains et les remplaça par des royalistes ou des impérialistes. La session de l'Assemblée sepassa en conflits sur des questions du jour; l'acte le plus significatif fut le vote d'une loi qui autorisait les expropriations nécessaires pour construire l'église du Sacré-Cœur à Montmartre; c'était l'exécution d'un vou fait, dit-on, par saint Ignace, fondateur des Jésuites. En même temps s'organisaient les grands pèlerinages à Paray-le-Monial en l'honneur du SacréCœur de Jésus; la foule, où figuraient des députés de la Droite, chantait le cantique : « Sauvez Rome et la France, Au nom du Sacré-Cœur! » On parlait de restaurer le pouvoir temporel à Rome et la monarchie légitime en France.

L'action commune des royalistes pour rétablir la monarchie avait été paralysée jusque-là par le désaccord entre les partisans des deux branches : les légitimistes soutenaient le dernier descendant de la branchę aînée, Henri V, comte de Chambord; les orléanistes, le petit-fils de Louis-Philippe, le comte de Paris. Le désaccord se compliquait d'un conflit entre deux symboles : les orléanistes tenaient au drapeau tricolore sous lequel leurs princes avaient combattu dans l'armée française; le comte de Chambord, à plusieurs reprises (juillet 1871, janvier et févr. 1872), avait déclaré que l'honneur lui interdisait d'abandonner le drapeau blanc « reçu comme un dépôt sacré du vieux roi son aïeul mou

rant en exil, et d'accepter le tricolore symbole de la Révolution ».

Après le 24 mai, les deux partis se rapprochèrent et la fusion fut décidée. Elle se manifesta par la visite du comte de Paris au comte de Chambord, alors en Autriche, à Frohsdorf (5 août). « Je viens, dit-il, en mon nom et au nom de tous les membres de ma famille, vous présenter nos respectueux hommages non seulement comme au chef de notre maison, mais encore comme au seul représentant du parti monarchique en France. » Le comte de Chambord, n'ayant pas d'héritier, serait roi de France, le comte de Paris lui succéderait.

Pendant les vacances de l'Assemblée, les trois groupes de droite déléguèrent un comité de 9 membres (3 par groupe) pour négocier avec le roi les conditions de la restauration. Ce comité envoya à Henri V, en Autriche, deux délégations, une en septembre, une en octobre. On s'entendit sur la question de fond. L'Assemblée devait, non pas élire le roi, mais déclarer qu'Henri V était appelé au trône comme chef de la maison de France en vertu d'un droit héréditaire. La constitution serait présentée par le roi et votée par l'Assemblée sous la sanction du roi; elle donnerait au roi le pouvoir exécutif, au roi et à deux Chambres l'exercice collectif du pouvoir législatif; elle garantirait, comme la Charte de 1814, l'égalité devant la loi, la liberté civile et religieuse, le vote de l'impôt par la Chambre.

La question du drapeau resta en suspens; déjà elle avait failli faire rompre les négociations en septembre : le Centre droit exigeait le maintien du drapeau tricolore. On se décida à ajourner la solution jusqu'au retour du roi; mais le procès-verbal du 16 octobre, rendu public, annonçait que le drapeau tricolore était maintenu «< et ne pourrait être modifié que par l'accord du roi et de l'Assemblée ». Mac-Mahon annonçait qu'ayant été « nommé par la majorité des conservateurs », il « ne s'en séparerait pas ». La restauration semblait donc certaine et les royalistes faisaient déjà leurs préparatifs pour la rentrée du roi, quand une lettre du comte de Chambord, du 27 octobre, apprit qu'il y avait eu malentendu, et que le roi restait fidèle au drapeau blanc.

Le Septennat. Le Centre droit, obligé de renoncer à la restauration, résolut de consolider son pouvoir en prolongeant

les pouvoirs du président Mac-Mahon, au nom duquel il gouvernait. Le Centre gauche, pour empêcher toute restauration, consentit à ce compromis; le Centre droit demandait dix ans, le Centre gauche cinq; on s'entendit pour voter la loi dite du septennat, qui <«< confiait le pouvoir exécutif pour sept ans au maréchal de Mac-Mahon », « avec le titre de Président de la République et dans les conditions actuelles », et créait une commission de 30 membres « pour l'examen des lois constitutionnelles ». La loi passa (20 nov.) par 383 voix, malgré les légitimistes qui espéraient encore faire rappeler le roi (le comte de Chambord était venu à Versailles s'entendre avec ses partisans). Mais la Commission fut formée de 25 membres de la Droite contre 5 républicains; au lieu de préparer les lois constitutionnelles, elle discuta la loi électorale et évita de rédiger aucun projet. On resta dans un régime provisoire.

« L'ordre moral ». - Le ministère, soutenu par la coalition. de tous les groupes de droite, réunissait une majorité sur une politique de combat contre les républicains. C'est ce qu'il appelait rétablir l'ordre moral; le nom en resta à ce gouvernement.

Le gouvernement maintint en état de siège 39 départements, ce qui lui permettait de supprimer arbitrairement les journaux. Aux réclamations de la Gauche il répondit que ce régime était justifié par un état véritablement exceptionnel et effroyable des esprits ». Il fit enlever dans les mairies les bustes de la République; il évita avec affectation dans les actes officiels d'employer le mot république. Il destitua ou disgracia les fonctionnaires républicains et nomma des fonctionnaires monarchistes. Dans les élections, il ordonna à ses agents de soutenir le candidat du ministère. Il se servit du régime qui donnait aux préfets le pouvoir de fermer les débits de boissons, pour menacer de fermer les débits où se réunissaient des partisans de l'opposition. Pour enlever le pouvoir municipal aux républicains il fit voter la loi de janvier 1874, qui donnait au gouvernement le droit de nommer les maires dans toutes les

communes.

Contre ces attaques tous les groupes républicains s'unirent et concertèrent leurs votes. Gambetta, qui dirigeait l'Extrême

gauche radicale, se mit à recommander la prudence; le Centre gauche devint et resta jusqu'à la fin de l'Assemblée le groupe directeur de la coalition républicaine, qui n'eut plus d'autre politique que de sauver la République et de défendre les libertés individuelles contre le gouvernement.

La division se mit entre les légitimistes et le Centre droit sur l'interprétation du septennat; les journaux légitimistes disaient que cette loi n'empêchait pas de restaurer le roi avant la fin des sept ans; le ministère fit déclarer par Mac-Mahon: «Pendant sept ans, je saurai faire respecter de tous l'ordre de choses légalement établi» (février 1874).

Après trois mois de conflits parlementaires avec les Gauches, le Centre droit essaya de s'assurer les Chambres de l'avenir en proposant une loi électorale qui exigeait trois ans de domicile pour être électeur, et la création d'un grand conseil nommé par le Président de la République. La Droite s'unit aux gauches pour rejeter la priorité de la loi électorale par 381 voix contre 317 (16 mai 1874).

Le ministère de Broglie fut remplacé par un ministère Cissey (le 24 mai; réorganisé en juillet), formé d'une coalition entre les partis monarchiques. Les impérialistes, qui venaient de s'organiser en parti d'action avec un comité central présidé par Rouher, entrèrent dans le ministère. Mais la domination resta au Centre droit orléaniste; Mac-Mahon continuait à obéir aux avis des chefs de ce parti qui l'avait porté au pouvoir.

Les électeurs continuaient à manifester leur hostilité pour le gouvernement; sur 29 élections complémentaires faites de mai 1873 à janvier 1875, 23 furent favorables aux républicains, 6 aux impérialistes, pas une seule aux partis royalistes. La majorité de l'Assemblée cherchait à perpétuer son pouvoir en évitant d'organiser un régime définitif. Pourtant une fraction du Centre droit, n'osant plus différer indéfiniment la discussion des lois constitutionnelles, s'unit aux Gauches pour faire passer par 345 voix contre 341 la proposition Casimir-Perier. L'Assemblée, voulant mettre un terme aux inquiétudes du pays », ordonnait à la commission des Trente de prendre pour base de ses travaux le projet déposé par Thiers en 1873 (15 juin 1874).

Les républicains demandaient une constitution définitive pour organiser la République; la Droite légitimiste voulait le « septennat personnel », c'est-à-dire le gouvernement du Maréchal, avec faculté de se retirer à tout moment pour faire place au roi légitime; le Centre droit orléaniste voulait le « septennat impersonnel », c'est-à-dire un gouvernement provisoire immuable jusqu'en 1880. Aucun des projets ne réunissait une majorité.

Alors commença une période de discussions confuses, aboutissant à des votes contradictoires et entrecoupées d'interpellations, qui dura jusqu'au compromis d'où la constitution sortit enfin, au printemps de 1875. Des scènes violentes éclatèrent entre les républicains et les impérialistes, à propos de la loi électorale de juin, à propos de la découverte du comité impérialiste dont Rouher avait nié l'existence sur son honneur (9 juin), à propos de l'enquête sur une élection impérialiste (déc. 1874). La renaissance du parti impérialiste paraît avoir effrayé quelques membres libéraux du Centre droit et les avoir décidés à se résigner enfin à la République.

L'œuvre de la constitution resta en suspens. La commission rejeta la proposition Casimir-Perier et proposa d'organiser un régime provisoire, avec une Chambre et un Sénat, jusqu'à l'expiration du septennat de Mac-Mahon; le régime définitif ne serait établi qu'en 1880; c'est ce qu'on surnomma le « ventavonat »>, du nom du rapporteur Ventavon. L'Assemblée rejeta la proposition Casimir-Perier, par 374 voix contre 333; elle rejela par 369 contre 340 la proposition de convoquer les électeurs, elle ajourna la discussion après les vacances. Mais le ministère mécontenta l'Extrême droite en reconnaissant le gouvernement espagnol et en gardant la neutralité entre le Pape et le gouvernement italien. L'Extrême droite, volant avec les groupes républicains, fit rejeter le septennat impersonnel. Le ministère donna sa démission (6 janvier 1875); mais il resta en fonctions jusqu'à la formation d'un nouveau cabinet, que Mac-Mahon fit attendre jusqu'en mars.

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Vote des lois constitutionnelles. La discussion sur les projets de loi relatifs à « l'organisation des pouvoirs publics: commença enfin en janvier 1875. Le projet de la commission

HISTOIRE GÉNÉRALE. XII.

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