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réforme, plus nécessaire encore à la sécurité économique et financière du pays : la reprise des payements en espèces. Les négociations entamées sous Dunajewski avec le gouvernement hongrois aboutirent sous son successeur Steinbach, en 1892 : un ensemble de lois furent votées, qui établirent en principe un nouveau système monétaire, à étalon d'or, dont l'unité fut la couronne au lieu du florin '; mais la réforme n'est pas encore entièrement réalisée. Un réseau d'État autrichien fut reconstitué par des saisies et des rachats, d'abord dans l'Ouest de l'Empire, entre Vienne et la frontière bavaroise : l'ouverture, en 1884, du tunnel de l'Arlberg lui procura un débouché nouveau extrêmement important vers l'Europe occidentale. De lourds crédits militaires, à diverses reprises, chargèrent le budget: en particulier une loi de 1883 réorganisa la landwehr cisleithane sur le modèle des honvéd, et la mit, aux dépens des droits du Parlement, dans une dépendance plus étroite du souverain, moins économe que les Chambres.

Le ministère Taaffe, conservateur avant tout, inaugura en Autriche la politique sociale conservatrice : envers les ouvriers, selon la formule bismarckienne, d'une part par l'institution d'un système d'assurances ouvrières imité de l'allemand, de l'autre, par des lois répressives, dont une série d'attentats pseudoanarchistes fournit le prétexte; envers les agriculteurs, en limitant la faculté de diviser et d'hypothéquer les petites propriétés rurales; - envers les artisans, par le rétablissement des corporations et de la maîtrise. Dans l'ensemble, ces mesures étaient dirigées contre l'influence économique de la bourgeoisie capitaliste et libérale. Contre son influence politique, le gouvernement appuya l'amendement de 1882 à la loi électorale, qui abaissa à 5 florins d'impôts directs le cens dans les curies des villes et des campagnes la réforme profila surtout aux artisans, dociles aux conseils politiques de l'Église. Sous l'influence de ces réformes, des partis économiques et sociaux commencèrent à apparaître à côté des partis nationaux. Devant la persécution, les socialistes s'unirent et tinrent à Hainfeld

1. Le florin or valait 2 fr. 50. Il ne circulait que des florins de papier à un cours oscillant autour de 2 fr. 10. La couronne en valut la moitié, 1 fr. 05.

(1888) leur premier congrès général. Ils y réclamèrent la laïcisation de l'État, l'obligation et la gratuité de l'instruction, le suffrage universel pur et simple, et se constituèrent en parti international, le premier en Autriche. Sous la direction du clergé et des grands propriétaires terriens s'organisèrent un parti agrarien, qui manifesta dans des congrès de paysans ses exigences réactionnaires, et un groupement des artisans et des petits commerçants, hostile à l'extension croissante du capitalisme. Ce dernier mouvement, peu à peu, prit une tendance nettement antisémite. Le parti antisémite-clérical ou chrétiensocial conquit sur l'ancien parti démocratique les faubourgs de Vienne. Dans l'avocat Lueger, transfuge de la démocratie, il trouva un agitateur incomparable, qui le mena par étapes à la mairie de Vienne.

Dans les faveurs du gouvernement, chaque groupe de la majorité choisit sa part. Les Polonais, en possession d'une autonomie politique presque complète, exigèrent des avantages économiques sous couleur d'intérêt stratégique, l'État leur construisit de coûteux chemins de fer; des remises d'impôts considérables leur furent accordées (75 millions de florins en une seule fois). Les Tchèques avaient besoin, avant tout, de concessions nationales: une réforme électorale leur assura la majorité dans la Diète de Prague et dans la députation bohème à Vienne; ils obtinrent une Université, par le partage en deux de l'ancienne Université allemande de Prague (1882), et de nombreuses subventions pour leurs écoles secondaires. Les ordonnances de 1880 et 1886 rapprochèrent la condition du tchèque et celle de l'allemand (jusque-là seule langue officielle) dans la vie publique en Bohème et en Moravie. L'effort des cléricaux allemands se porta tout entier sur l'école une loi de 1883 réduisit de huit à six ans la durée de l'obligation scolaire, et rétablit, par un détour, le principe de l'école confessionnelle. En 1888, ils jugèrent possible de le rétablir directement leur chef, le prince Aloïs Liechtenstein, déposa une proposition en ce sens. Mais cette fois l'opinion publique résista énergiquement; l'empereur en personne conseilla le retrait de la proposition. Le coup avait manqué : mais le

ministère en fut ébranlé, et ce fut la cause directe de sa chute.

La gauche allemande après s'être divisée, puis réunie, se constitua définitivement, après que les élections de 1885 eurent encore renforcé la majorité slave, en deux clubs: la gauche allemande unie, avec 112 membres, et les Allemands nationaux, qui n'étaient que 16. Le programme de ces derniers comportait la défense avant tout des intérêts nationaux des Allemands, les intérêts de l'État autrichien ne devant venir qu'en seconde ligne. Le petit groupe extrême de M. de Schönerer se prononçait ouvertement pour la réunion à l'Allemagne de toute l'Autriche allemande. Même les anciens libéraux, à combattre dans l'opposition, devenaient plus radicaux et plus nationaux. Aux premières ordonnances pour la Bohême (1880), ils répondirent par la motion Wurmbrand, qui voulait faire proclamer l'allemand langue d'État en Cisleithanie et fut rejetée en 1884; à celles de 1886, par un exode de la Diète de Bohême, où ils ne rentrèrent qu'en 1890; à la proposition Liechtenstein, par la menace de sortir tous du Reichsrath, de le réduire ainsi à moins des deux tiers de ses membres ils étaient résolus à ne point laisser toucher à la loi scolaire, leur œuvre, leur seul moyen de défense et leur seul espoir de revanche contre le cléricalisme. Leur résistance fut appuyée d'ailleurs : la Bohême, devant cette menace de réaction cléricale, retrouva l'esprit hussite. Les Jeunes-Tchèques menèrent contre les Vieux, inféodés à la noblesse et à l'Église, une furieuse campagne, et leur enlevèrent, aux élections provinciales de 1889, presque toute la curie rurale. La cour et le gouvernement furent effrayés de ce résultat démocrates, radicaux, adversaires des féodaux et de l'alliance allemande, les Jeunes-Tchèques étaient très mal notés à Vienne. « Une singulière compagnie qui prend maintenant le dessus! » dit publiquement l'empereur. « Il faudra énergiquement réagir là contre. » Pour réagir, le gouvernement essaya de ménager un compromis entre les Allemands et les VieuxTchèques, de coaliser tous les éléments « patriotiques et modérés contre le danger radical. Le ministère et les grands propriétaires jouèrent les médiateurs aucun Jeune-Tchèque

ne fut invité à assister aux conférences. A celte provocation, l'opinion tchèque répondit comme il convenait devant ses manifestations, la plupart des députés vieux-tchèques reprirent leur parole, et passèrent aux Jeunes. Le compromis, dont l'empereur avait fait son affaire personnelle, échoua piteusement; et les élections de 1891 pour le Reichsrath balayèrent en Bohême les Vieux-Tchèques jusqu'au dernier.

La coalition des éléments patriotiques et modérés devint alors le mot d'ordre au Reichsrath. C'était un non-sens : il fut impossible, faute de majorité, de voter une adresse en réponse au discours du trône d'avril 1891; le Parlement dut se contenter d'affirmer son loyalisme. Le gouvernement présenta un programme purement économique. Les ministres slaves, Dunajewski et Pražák, donnèrent leur démission; un ministre allemand entra dans le cabinet. A la première question à demi politique qui fut soulevée, il démissionna, et la gauche revint à l'opposition. Ne pouvant plus trouver de majorité dans ce Parlement, le comte Taaffe essaya d'en faire un autre, et il présenta brusquement, par surprise, un projet de réforme électorale qui, sans toucher au privilège des grands propriétaires, ouvrait les curies des villes et des campagnes à un suffrage presque universel. Tous les partis « patriotiques et modérés » s'émurent; les Polonais, les cléricaux, la gauche, également menacés dans leurs positions, s'entendirent pour en finir avec le comte Taaffe. Il prit les devants, et donna sa démission le 28 octobre 1893.

Le ministère Tisza (1879-1890). En Hongrie, la crise de l'occupation n'entraîna qu'un changement de personne : Széll donna sa démission pour ne point prêter la main à la ruine des finances qu'il avait restaurées; il fut remplacé par le comte Szapary, et celui-ci, quelques années après, par Tisza lui-même, sous le nom duquel l'habile secrétaire d'État Wekerle géra le ministère. L'équilibre budgétaire fut rétabli à la même date qu'en Autriche. La nationalisation des chemins de fer fut poursuivie avec ampleur et énergie: l'État hongrois se rendit maître surtout des grandes lignes qui devaient servir d'amorce aux chemins de fer orientaux, et commanda ainsi la voie commer

ciale par terre entre l'Ouest et l'Est du continent. Par un coup de génie, le ministre des travaux publics, Báross, dota le réseau d'État hongrois du célèbre tarif par zones: le prix des voyages fut diminué, pour certains trajets jusqu'à 85 p. 100, et dès la première année le nombre des voyageurs tripla. L'exploitation du réseau devint enfin productive; la circulation plus intense profita à l'industrie, que le gouvernement cherchait par des encouragements de toute sorte à faire naître et prospérer; les facilités offertes à la population rurale pour se rendre dans les villes et dans la capitale, qui sont des centres de magyarisation, servirent la politique nationale du ministère.

Les Slovaques et les Roumains persistèrent dans l'attitude passive qu'ils avaient adoptée depuis le compromis, et que leur imposait la loi électorale. Les Saxons de Transylvanie menèrent à diverses reprises de rudes campagnes contre le gouvernement. Les plus grandes difficultés furent suscitées par les Croates. En 1877-79, ils s'étaient trouvés, comme les Tchèques, parmi les plus chauds partisans de l'occupation, demandant même l'annexion : car les Bosniaques étaient, en grande partie, leurs frères de langue et de religion, et l'annexion les rapprochait de leur rêve, la Grande Croatie et le trialisme. Contre ces ambitions bien connues, et contre les prétentions qu'ils élevèrent à propos du renouvellement du compromis hongrois-croate, le gouvernement de Pest afficha d'abord des intentions énergiques; le ban Mazuranic, nationaliste modéré, fut remplacé par le comte Pejacevic, magnat d'opinions très hongroises. Le compromis fut conclu après de longues négociations. La Croatie renonça à ses exigences, au prix de l'incorporation dans son territoire civil des anciens Confins croates, qui augmentèrent sa population de 700 000 habitants. En 1883, l'affaire des écussons d'Agram fit éclater de nouveau les rancunes et les haines. Un fonctionnaire trop zélé ayant essayé de remplacer les écussons à inscriptions croates des bâtiments officiels d'Agram par des écussons à inscriptions bilingues, magyares-croates, le peuple se souleva, les arracha; même la majorité gouvernementale de la diète protesta; le ban, « magyaron » déclaré pourtant, démissionna plutôt que de faire replacer les nouveaux écussons; des

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